Historique de la discipline scientifique
La science humaine de l'anthropologie médicale émergea d'abord timidement sous la plume d'anthropologues tels que W.H.R Rivers «Medicine, Magic and Religion'»(1924) ou Evans-Pritchard's 'Witchcraft, Oracles and Magic among the Azande' (1937) pour qui religion et maladie entretenaient, dans les sociétés dites primitives, un lien étroit dans l'explication du malheur en général, possédant dans ce contexte de croyances, leur valeur rationnelle, en tant que système culturel spécifique.
Au milieu des années 60, le développement de l'anthropologie médicale nord américaine répond à la nécessité de comprendre l'influence de la culture sur les rapports de l'homme à la santé et à la maladie. Le courant de l'ethnomédecine, principalement axé sur l'étude des systèmes médicaux indigènes, s'enrichit alors des questionnements de l'ethnopsychiatrie (Foster, 1978) sur les relations entre culture et psychologie (Mead 1963, Devereux 1972, Laplantine 1988…) et trouve ainsi un terrain d'investigation occidental.
Ces deux sources de l'anthropologie médicale contribuent au développement d'une discipline holistique et systémique qui permet l'analyse contextuelle des rapports de l'homme à sa santé et plus largement, à son existence dans un univers communément partagé. Science sociale par excellence, elle attira très vite l'intérêt scientifique français, qui la désigne alors comme une anthropologie de la maladie et/ou de la santé afin de sortir du vocabulaire classificatoire anglo-saxon (Augé 1986, Laplantine 1986, Fainzang 1989…). L'introduction du terme santé dans l'intitulé de la discipline fut le signe d'une évolution paradigmatique du champs de recherche. Désormais, l'anthropologie de la santé entre dans le cadre de la santé publique et ne consiste plus seulement à décrire les croyances et pratiques relatives à la maladie, mais à les analyser en vue d'améliorer l'efficacité des programmes médicaux. La tendance actuelle de l'anthropologie médicale s'élargit aux problématiques de la mondialisation tout en conservant la valeur relativiste et contextuelle de son objet d'étude: la culture d'une société donnée, à une époque donnée.
Définitions de l'anthropologie médicale
Anthropologie : «L'anthropologie est la discipline qui, à partir des données de l'ethnographie, vise à établir les lois générales de la vie en société, aussi bien chez nous que dans les populations […] traditionnelles.» (Gresle et al., 1990).
Parmi ces lois générales, l'anthropologie médicale porte une attention spécifique aux modalités de penser la maladie et de la soigner, c'est à dire aux «conceptions populaires et professionnelles, aux causes des problèmes de santé, à la nature des traitements […], aux thérapeutes qui appliquent ces traitements, aux processus par lesquels les individus recherchent de l'aide et aux institutions qui régissent l'espace socioculturel de la santé". (Massé, 1995).
Trois approches principales ont formé le champs d'investigation qui caractérise aujourd'hui la recherche en anthropologie médicale:
- une approche microsociale des systèmes de santé, fondée sur les données ethnographiques et le relativisme culturel
- une approche collective et étatique de la santé, ancrée dans l'étude des soins en institutions et le développement de la santé publique
- une approche globale et homogène de la santé, issue des problématiques de la mondialisation et de l'analyse statistique à visée prédictive.
Progressivement, la finalité première de l'anthropologie à caractère théorique, s'est associée à des objectifs appliqués, visant l'efficacité des programmes de santé dans le contexte de leur mise en œuvre. «L'anthropologie de la santé se définit donc comme une discipline à la fois théorique et appliquée» (Foster et Anderson, 1978). La santé publique représente un domaine privilégié dans l'utilisation des connaissances fondamentales à travers leur transformation en modes d'intervention spécifiques.
Les concepts clefs de l'anthropologie médicale traduisent une volonté d'élargir l'analyse de la santé et de la maladie - domaine privilégié du savoir médical- aux données populaires. Pour ce faire, deux grandes distinctions sont utilisées dans l'analyse des comportements et des conceptions relatives à la maladie :
la distinction émique/éthique :
• l'approche
émique respecte «les principes et les valeurs propres à un acteur donné dans une culture donnée» (Massé, 1995) ; elle reflète les conceptions populaires de la maladie et de la santé dans un contexte culturel donné.
• l'approche
éthique respecte les conditions de la recherche scientifique caractérisée par une connaissance rationnelle, objective et indépendante de l'observateur ; elle renvoie à la dimension universelle du savoir médical (Massé, 1995).
la distinction anglo-saxone entre les termes disease/illness/sickness :
le terme
disease «renvoie aux anormalités dans la structure ou le fonctionnement des organes ou du système physiologique et à tout état organique ou fonctionnel pathologique. Il s'agit de la maladie dans son acception biologique» (Massé, 1995).
le terme
illness «évoque les perceptions et les expériences vécues par l'individu relativement aux problèmes de santé d'ordre biomédical (
diseases) ou à tout autre état physique ou psychologique socialement stigmatisé'» (Massé, 1995). Il correspond au vécu subjectif individuel d'un état de perturbation pathologique.
le terme
sickness correspond à la description de la maladie socialisée, «du fait qu'elle est abordée comme représentation sociale et charge symbolique par l'ensemble du groupe social et qu'elle sous-tend les modèles étiologiques et les comportements préventifs ou de recherche d'aide» (Massé, 1995).
La méthodologie de l'anthropologie de la santé s'appuie sur l'analyse qualitative des données de terrain. Issue de l'ethnologie, elle fonde son argumentation sur l'approche ethnographique qui consiste à recueillir les données dans un échantillon restreint de population, à l'échelle de la communauté, du village ou du groupe social. L'anthropologie de la santé travaille à partir de l'interprétation de ces données qu'elle relie à leur contexte économique, social, religieux, historique, politique, etc. Chacun de ces aspects se rapportant sans exclusive à l'interprétation de la santé. Les entretiens semi directifs ou ouverts, ainsi que l'observation participante, qui suppose au chercheur de séjourner sur son terrain d'enquête, fondent la démarche méthodologique de l'anthropologie de la santé
Texte intégral:
www.lemedicaldelareunion.com/anthropologie%20medicale.doc
Liens
J. P. Olivier de Sardan, «Anthropologie de la santé»,
Le dictionnaire des sciences humaines dans S. Mesure et P. Savidan,(dir.), Paris, Puf, 2006, p. 1039-1041.
http://www.lasdel.net/cours%20ue/(anthropo-sant_351-puf).pdf
Fatoumata Ouattara, «Anthropologie de la santé et de la maladie»,
Journal des anthropologues, numéro 60, printemps 1995, AFA.,
Le bulletin de l'APAD, n° 9, Numéro 9 , [En ligne], mis en ligne le : 26 juillet 2007.
URL :
http://apad.revues.org/document1671.html. Consulté le 9 novembre 2009.
Claude Raynaut, «L'anthropologie de la santé, carrefour de questionnements: l'humain et le naturel, l'individuel et le social»
Le Cerce, n°
3, automne 2001,
Santé et maladie: questions contemporaines
http://alor.univ-montp3.fr/cerce/r3/c.r.htm
Marc-Adélard Tremblay, «L'anthropologie de la santé en tant que représentation»,
Recherches sociographiques, vol. 23, n° 3, 1982, p. 253-273
, Imaginaire social et représentations collectives, II. Mélanges offerts à Jean-Charles Falardeau
Rédacteurs : Nicole Gagnon et Claude Corrivault
Éditeur : Département de sociologie, Faculté des sciences sociales, Université Laval
ISSN : 0034-1282 (imprimé) 1705-6225 (numérique)
http://www.erudit.org/revue/rs/1982/v23/n3/055985ar.html