Selon la croyance populaire, l’anorexie et la boulimie* sont deux troubles alimentaires opposés et constituent respectivement un refus et un besoin excessif de manger. Or, ces deux conduites extrêmes* relèvent de facteurs similaires. L’anorexie mentale, dite aussi «nerveuse», est caractérisée par une importante perte de poids découlant d’un régime amaigrissant et, parfois, d’exercices physiques intenses. Neuf fois plus de femmes que d’hommes en souffrent; 18% des anorexiques meurent par sous-alimentation ou par suicide. La boulimie est caractérisée par des crises de suralimentation, suivies en général d’activités purgatives (vomissements provoqués, abus de laxatifs, période de jeûne et, parfois, exercices physiques excessifs). Le sujet est déprimé et dégoûté de son comportement compulsif. On retrouve 1% ou 2% d’anorexiques et 3% ou 4% de boulimiques chez les 14-25 ans nord-américains. La population à risque est composée à 90% d’adolescentes. Les filles d’environ douze ans sont les plus exposées à l’anorexie, car la transformation de leur corps à la puberté les rend vulnérables à des complexes d’infériorité. La minceur est présentée comme idéal de santé et de beauté, tandis que l’embonpoint est présenté comme symbole de laideur et de maladresse. Il n’est donc pas étonnant que l’anorexie révèle une faible estime de soi et un sentiment d’inefficacité. Les anorexiques se sentent peu aptes à envisager la transition de l’enfance à l’âge adulte. Des mauvais traitements sexuels ou le manque de communication à l’intérieur de la famille sont également des facteurs qui contribuent aux obsessions d’ordre alimentaire. Des parents manifestent parfois de la rigidité à l’égard des comportements anorexiques ou, par mesure de surprotection, refusent de reconnaître le développement de leur enfant vers l'autonomie*. L’anorexie est souvent un cri d’alarme, mais parfois aussi un long processus de mort volontaire, voie que le sujet emprunte dans le désir de disparaître ou de s’effacer, au sens littéral du terme. On rencontre dans certaines familles des antécédents d'alcoolisme*, de dépression* ou de troubles alimentaires. Les traumatismes, associés à des situations de deuil* ou de divorce, peuvent être à l’origine des troubles alimentaires.
Solemn, fille de Patrick Poivre d’Arvor*, souffrant d’anorexie, s’est suicidée en 1995. Son père lui dédie deux livres Lettres à l'absente en 1993 et Elle n'était pas d'ici (Paris, Albin Michel, 1995) où il avoue: «Il est si difficile de parler de la boulimie*. Davantage encore de sa sœur jumelle, l’anorexie. L’anorexique même squelettique, aime son corps, le juge parfois encore trop plein, accepte l’image que lui renvoie son miroir. La boulimique, elle a honte de son enveloppe charnelle. Elle est prête à tout pour que cesse cette haine. Et ne peut pourtant s’empêcher de remplir ce corps martyrisé par les excès alimentaires. Elle dénichera dans le moindre recoin de la maison chaque miette de nourriture qu’on place sous clé ou que l’on cache soigneusement. L’entourage assiste impuissant à cette déchéance. Et souffre pour elle, comme elle» (p. 78-79). L’anorexie «n’est pas une grève de la faim, consciente et organisée, explique le professeur Bourguignon, elle se caractérise par le refus d’alimentation, l’amaigrissement et l’aménorrhée. Il existe autant de théories que de théoriciens. Même parmi les psychanalystes: le refus d’identification à la mère, le refus de devenir femme. Celui de la sexualité. On invoque aussi le désir de prolonger l’enfance et de rester petite fille» (p. 95). Dans le même livre, on peut lire un extrait d’une lettre d’adieu*: «Merci pour tout mais je n’aime pas la vie. Je veux être incinérée et gardée dans une petite boîte, mais pas jetée à la mer» (p. 62).
Nathalie Fraise fait une étude comparative entre l'anorexie mentale et le jeûne mystique du Moyen Âge: «Que les anorexiques soient en majorité des femmes est un fait bien connu. Mais sait-on aussi communément qu'au Moyen Age, ce sont également des femmes, des mystiques, qui jeûnent à l'extrême? Quelles conclusions peut-on tirer de cette répétition historique de la faim féminine ? C'est ce que tente d'expliquer cette étude qui explore et compare la situation sociale et psychologique des femmes à deux époques de 1 'histoire pourtant très éloignées.
Il est certain que les mystiques désirent avant tout se rapprocher de Dieu en jeûnant, alors que les anorexiques tentent de se rapprocher d'un idéal physique. Mais les similarités dans la manière dont les femmes des deux époques vivent leur féminité n'en sont pas moins frappantes. Elles expliquent avec éloquence pourquoi ce sont principalement les femmes qui, à travers les siècles, se privent de nourriture. Entre rébellion et obéissance, la privation alimentaire apparaît comme un moyen essentiellement féminin de dire par le corps ce qui ne peut être exprimé par des mots : les désirs d'indépendance, d'expression de soi et de contrôle sur sa vie.» (L'anorexie mentale et le jeûne mystique du Moyen Âge. Faim, foi et pouvoir, Paris-Montréal, L'Harmattan, «Psychologiques», 2000, page couverture).
Outre des références au Moyen-Âge et aux femmes mystiques (vie et oeuvres), la bibliographie de ce livre comporte des oeuvres réparties selon les divisions suivantes: Femmes et anorexie: témoignages; Femmes et spiritualité chrétienne; Symbolique de la nourriture; L'anorexie: approche sociale et médicale; Le pouvoir et le genre.