On trouvera les données biographiques dans la brève autobiographie intitulée «Ma vie» par laquelle débute l'oeuvre de Louise Ackermann, intitulée Ma vie, premières poésie, poésies philosophiques, Paris, Lemerre, 1893, Paris, L'Harmattan, 2005. «Cet ouvrage regroupe les oeuvres complètes de Louise Ackermann. Poésies philosophiques [est] son oeuvre la plus aboutie. L'originalité de sa poésie s'exprime par un lyrisme qui énonce une pensée philosophique prenant sens dans la foi en l'esprit humain et en son indépendance. Influencée par les Pensées philosophiques de Diderot* et par les Romantiques, Louise Ackermann laisse entendre une voix qui fustige les prétentions de la religion* et de la science à connaître la Vérité.» (L'Harmattan).
Nous empruntons à cette autobiographie les événements les plus marquants de la vie de cette poétesse solitaire dont la pensée lucide révèle une sensibilité éthique sans cesse sollicitée par les épreuves existentielles d'une humanité en quête de vérité. Louise Ackermann, née Louise-Victorine Choquet, a vu le jour à Paris le 30 novembre 1813 de parents parisiens, mais d'origine picarde. Son père, agréé au tribunal de commerce de la Seine, quitta les affaires à trente-trois ans et se retira à la campagne avec sa jeune femme, sa bibliothèque et ses trois petites filles dont Louise est l'aînée. L'enfance de Louise fut triste. «Il me semble que le soleil n'a jamais lui dans ce temps-là», écrit-elle.
Son père, «voltairien de vieille roche», avait soustrait Louise à tout enseignement religieux. Mais sa mère, qui avait un sentiment très vif des convenances mondaines, tint à la préparer à la première communion en la mettant en pension dans une petite ville voisine, à Montdidier. À son retour à la maison, son père fut effrayé des ravages que la religion avait exercés sur un enfant de son âge. Il lui glissa Voltaire* entre les mains. Une traduction de Platon* l'enchanta et Époques de la Nature de Buffon élargit tout à coup son horizon. En 1829, Louise fut mise en pension à Paris dans un grande institution dirigée par la mère de l'abbé Saint-Léon Daubrée. Le professeur de littérature, Biscarat, ami intime de la famille Hugo*, lui fait découvrir un nouveau monde poétique grâce aux auteurs anglais et allemands, Byron, Shakespeare, Goethe et Schiller. De son côté l'abbé Daubrée lui communiqua quelques chapitres de ses cahiers de théologie. Ces dogmes lui apparurent «dans leur monstrueuse absurdité, écrit-elle, je ne pus que les repousser en bloc». Au bout de trois ans de pension, elle rentra dans sa famille où, dans les réunions de lecture, elle introduit les auteurs du jour: Sénancour*, Hugo, Vigny*, Musset,* etc.
À la mort de son père, Louise perdait en lui «le meilleur des pères. Nous avions le même caractère, les mêmes goûts», écrit-elle. En 1838, sa mère la laisse partir à Berlin pour un an, dans une institution modèle de jeunes filles dirigée par Félix Schubart qui «donna tous ses soins» à son allemand et elle ne sortit «de ses mains que complètement germanisée». Elle revint à Paris non sans regret. «Le Berlin d'alors était bien la ville de mes rêves. [...] Les questions philosophiques et littéraires y passionnaient seules les esprits. Hegel était mort, il est vrai, mais Schelling faisait mine de le ressusciter.» Louise y retournera trois ans plus tard, après le décès de sa mère. Elle y rencontra Paul Ackermann, un jeune pasteur protestant ami de Proudhon, doux et austère, qui se prit pour elle «d'une passion profonde». Cet amour, elle n'eut pas le courage de le repousser. Elle fit simplement «un mariage de convenance morale». À sa grande surprise, ce mariage sera, selon ses propres mots, «exquis»: «Nous voyions que peu de monde, mais ce peu était d'élite: Alexandre de Humboldt, Varnhagen, Jean Müller, Boekh, etc. Tout ce qui passait à Berlin de Français intellectuellement distingués ne manquait de nous visiter. Ce bonheur intime et tranquille ne dura guère plus de deux ans.» Paul Ackermann décède le 26 juillet 1846 à l'âge de 34 ans. Très éprouvée par son veuvage, Louise rejoindra une de ses sœurs à Nice où elle s'achètera une ancienne propriété de Dominicains. C'est alors qu'un beau matin, elle entendit «des rimes bourdonner dans ses oreilles» et qu'elle commença à se livrer à l'écriture poétique. Voici son propre témoignage:
«Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais écrit qu'à bâtons rompus, au hasard de mes admirations et de mes émotions, le plus souvent pour moi seule. Mes tentatives de publicité n'avaient pas réussi. [...] Je me taisais donc, ou à peu près. Entre une pièce et l'autre il y avait souvent des années de silence. C'est seulement lorsque j'étais trop fortement saisie par une idée que je me décidais à l'exprimer; je n'avais que ce moyen de m'exprimer; je n'avais que ce moyen de m'en délivrer. [...] Considéré de loin, à travers mes méditations solitaires, le genre humain m'apparaissait comme le héros d'un drame lamentable qui se joue dans un coin perdu de l'univers, en vertu de lois aveugles, devant une nature indifférente, avec le néant pour dénouement. L'explication que le christianisme s'est imaginé d'en donner n'a apporté à l'humanité qu'un surcroît de ténèbres, de luttes et de tortures. [...] Contemplateur à la fois compatissant et indigné, j'étais parfois trop émue pour garder le silence. Mais c'est au nom de l'homme collectif que j'ai élevé la voix; je crus même faire oeuvre de poète en lui prêtant des accents en accord avec les horreurs de sa destinée.» (Nice, ce 20 janvier 1874)
Plusieurs critiques ont attribué le pessimisme de Louise à l'influence qu'aurait exercée sur elle la philosophie allemande. Une de ses soeurs pourtant avait découvert dans de vieux papiers de famille un poème intitulé l'Homme daté de 1830:
Misérable grain de poussière
Que le néant a rejeté,
Ta vie est un jour sur la terre:
Tu n'es rien dans l'immensité.
Ta mère en gémissant te donna naissance:
Tu fus le fils de ses douleurs;
Et tu saluas l'existence
Par des cris aigus et des pleurs
[...]
Sous le poids de tes mots ton corps usé est succombé,
En goûtant de la nuit le calme avant-coureur,
Ton oeil se ferme enfin du sommeil de la tombe;
Réjouis-toi, vieillard, c'est ton premier bonheur.
Et la poétesse d'y ajouter ce commentaire: «Ce dernier trait prouve suffisamment que mon pessimisme n'avait pas attendu Schopenhauer* pour se déclarer.» (Paris, mai 1877)