Paru à Cologne en 1666 dans Divers traités de piété, cette prière adressée à Dieu associe la destruction du corps et de la vie individuelle à la destruction du monde et de toutes les choses du monde. Dans cette prière, d'un ton presque apocalyptique, Pascal établit un lien non seulement entre la destruction de son propre corps par la maladie et l'entière destruction de la vie et du monde, mais également entre le jugement qu'il porte sur sa propre vie à la veille de sa mort et le jugement de Dieu à la fin des temps. Devant la rigueur de la sentence qu'il attend, il implore la miséricorde de Dieu.
Ô Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions à la fin de ma vie et à la fin du monde! Ô Dieu, qui ne laissez subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exercer vos élus, ou pour punir les pécheurs! Ô Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans l'usage délicieux et criminel du monde! Ô Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui, à l'heure de la mort, détachez notre âme de tout ce qu'elle aimait au monde! Ô Dieu, qui m'attacherez, à ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attaché, et où j'ai mis mon cœur! Ô Dieu, qui devez consumer au dernier jour le ciel et la terre et toutes les créatures qu'ils contiennent, pour montrer à tous les hommes que rien ne subsiste que vous, et qu'ainsi rien n'est digne d'amour que vous puisque rien n'est durable que vous! Ô Dieu, qui devez détruire toutes ces vilaines idoles et tous ces funestes objets de nos passions! Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu prévenir en ma faveur ce jour épouvantable, en détruisant à mon égard toutes choses, dans l'affaiblissement où vous m'avez réduit. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous il a plu me réduire dans l'incapacité de jouir des douceurs de la santé et des plaisirs du monde, et de ce que vous avez anéanti en quelque sorte, pour mon avantage, les idoles trompeuses que vous anéantirez effectivement pour la confusion des méchants, au jour de votre colère. Faites, Seigneur, que je me juge moi-même ensuite de cette destruction que vous avez faite à man égard, afin que vous ne me jugiez pas vous-même ensuite de l'entière destruction que vous ferez de ma vie et du monde. Car, Seigneur, comme à l'instant de ma mort je me trouverai séparé du monde, dénué de toutes choses, seul en votre présence, pour répondre à votre justice de tous les mouvements de mon cœur, faites que je me considère en cette maladie comme en une espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre présence, pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon cœur; et qu'ainsi j'aie une extrême consolation de ce que vous m'envoyez maintenant une espèce de mort pour exercer votre miséricorde, avant que vous m'envoyiez effectivement la mort pour exercer votre jugement. Faites donc, ô mon Dieu, que comme vous avez prévenu ma mort, je prévienne la rigueur de votre sentence, et que je m'examine moi-même avant votre jugement, pour trouver miséricorde en votre présence.