Mozart Wolfgang Amadeus
Vuillermoz parle à son sujet de génie instinctif. «Rien de cérébral dans ce génie instinctif. Mozart composait comme l'oiseau chante. La rapidité avec laquelle, dans une aussi courte carrière, il écrivit en se jouant ses quinze messes, ses vingt ouvrages scéniques, ses quarante symphonies, ses cinquantes concertos et ses cent oeuvres de musique de chambre prouve bien la divine facilité d'élocution dont il avait été doué par la nature».
Les génies s'imposent à nous et en nous, au sommet de notre hiérarchie intérieure, à la façon d'un grand vin qui annihile, lorsqu'on le déguste, jusqu'au souvenir des boissons antérieures. Sont-ils accessibles à tous? Existe-t-il dans la sensibilité humaine des formes telles qu'elles ne sont éveillées que par des formes musicales correspondantes? Un écrivain québécois raconte comment, étant adolescent et écoutant distraitement à Radio-Canada une émission connue il y a une trentaine d'années sous le nom "Les chefs-d'oeuvre de la musique", il eut la révélation de Mozart: «J'écoutai attentivement les premières mesures lentes et solennelles, que je sus, par la suite, être l'ouverture de l'opéra La Flûte enchantée. Et ce fut le choc esthétique, l'éblouissement. Pour la première fois de ma vie, se produisait en moi le miracle de la musique... J'étais transporté dans un univers, dont je soupçonnais sans doute l'existence depuis un certain temps, mais dont l'accès m'avait été à ce jour interdit. Mozart coulait dans tout mon être comme un sang généreux et vivifiant. J'entrai dans cette musique, un peu comme on entre en religion, tant elle m'apparut déjà, à cette époque, évadée des sphères célestes... Ce fut ma passion première et elle garde encore aujourd'hui dans ma mémoire l'éclat inaltérable de ses premiers feux»
Un trait déconcertant chez Mozart, si on en juge par la correspondance qu'il a laissée, c'est pour ainsi dire, son manque d'intelligence, de culture et de curiosité pour les grands événements de son époque, (il est mort deux ans après la Prise de la Bastille, et il connaissait très bien la France; on ne trouve aucune allusion à cette situation politique qui faisait frémir toute l'Europe) Peut-être avons-nous tort d'attendre d'un génie qu'il se manifeste dans tous les domaines à la fois. Un Léonard de Vinci, un Pascal ont été universels. Le génie dans Mozart semble ne s'être déployé que dans la création musicale. Au point que Vuillermoz se demande: «Sommes-nous en présence (d'un) être d'élite [...] ou d'un de ces cerveaux organiquement condamnés à la puérilité et à la débilité par le développement de cette monstrueuse tumeur qu'on nomme le génie et dont l'hypertrophie envahissante anémie les cellules voisines?...».
Mais quelle tumeur en effet que le génie de Mozart! «...il épuise tous les genres qu'il choisit puisqu'il les porte à leur perfection. La mélodie prime chez lui. Elle est élégante, fluide, ailée. [...] C'est un classique par la concision et l'élégance de son langage. C'est un classique par la lumière qui plane sur ses oeuvres, par la fraîcheur de l'expression». A lui ne s'appliquerait pas la critique que fait Nietzsche de certains écrivains: «ils troublent leurs eaux pour les faire paraître profondes».
C'est à Joseph Haydn, que nous laisserons le dernier mot sur celui qu'il appelait son fils: «Je vous déclare devant Dieu et sur mon honneur, dit-il un jour au père de Mozart, que je tiens votre fils pour le plus grand des compositeurs que je connaisse, ...».
"Fils de Léopold Mozart, il montra, dès l’âge de trois ans, d’étonnantes dispositions pour la musique, prenant plaisir à suivre les leçons de clavecin que recevait sa sœur Marie-Anne, et cherchant à former des tierces sur l’instrument. Il ne tarda pas à jouer lui-même de petits menuets, et, à peine âgé de cinq ans, il s’essayait à la composition, sans pour cela négliger d’autres études, particulièrement celle de l’arithmétique. En 1762, son père le présenta à la cour de Vienne, où son précoce talent lui valut de la famille impériale un excellent accueil auquel s’associa naturellement toute la noblesse. Revenus à Salzbourg l’année suivante, le père et le fils n’y demeurèrent que peu de temps et en repartirent le 9 juin, accompagnés de Marie-Anne, pour un voyage beaucoup plus considérable. Ils parcoururent successivement Munich, Augsbourg, Mayence, Francfort, Coblenz, Aix-la-Chapelle, Bruxelles, trouvant partout la meilleure réception. Le jeune Wolfgang se faisait entendre soit sur le clavecin, soit sur le violon, soit même sur l’orgue. L’étape suivante était Paris, où nos voyageurs arrivèrent cinq mois après leur départ de Salzbourg. Ils se rendirent à Versailles et le petit virtuose y retrouva son succès accoutumé. Après cinq mois de séjour en France, ils partirent pour Londres et y demeurèrent plus d’un ans. Wolfgang, dont le talent allait croissant, joua devant le roi et la reine les compositions les plus ardues de Haendel et de Jean-Sébastien Bach, il exécuta aussi ses propres œuvres au cours de nombreux concerts qui obtinrent d’abord de vifs succès, mais finirent par lasser l’attention publique. Ce fut à Chelsea que le jeune maître écrivit, pendant une maladie de son père, ses quatre premières symphonies.
En 1765, sur une invitation du prince d’Orange, Léopold Mozart et ses enfants se rendirent à La Haye, puis à Amsterdam, et de là se dirigèrent de nouveau sur Paris; puis, ayant traversé la Suisse, ils revinrent enfin à Salzbourg en novembre 1766, après une absence de plus de trois ans. Il est presque inutile d’ajouter que ces derniers séjours avaient été marqués pour Wolfgang par de nouveaux triomphes.
Le temps était venu d’asseoir sur les bases d’une solide instruction technique les talents de l’enfant prodige, et Léopold Mozart prit soin de diriger sagement dans ce sens les études de son fils qui, entre temps, se livrait à la composition. En 1768, Wolfgang se fit derechef entendre à la cour de Vienne, et composa, sur l’ordre de Joseph II, la musique d’un opéra-comique, La Finta Semplice, auquel succédèrent une Messe et un Offertoire. Son père ayant résolu de le faire voyager en Italie, tant pour le perfectionnement de ses connaissances que pour l’extension de sa renommée, tous deux quittèrent Salzbourg en décembre 1769 pour commencer un voyage qui devait être plus glorieux encore que les précédents. Nous ne pouvons songer à nous arrêter avec eux à Roveredo, à Vérone, à Mantoue, à Milan, où Wolfgang fut présenté au vieux Sammartini et où il fut et où il fut prié de composer un opéra pour la «saison» prochaine, à Lodi, à Bologne où le célèbre P. Martini, émerveillé de son savoir, le prit en affection; à Florence, qui devait voir la naissance de son amitié avec le jeune musicien Thomas Sinley; mais nous insisterons un peu plus sur un séjour à Rome où les voyageurs arrivèrent durant la semaine sainte. On sait qu’appelé à se faire entendre devant le pape Clément XIV, il avait naïvement prié le pontife de lui faire donner une copie du Miserere d’Allegri, réservé pour la chapelle Sixtine. Le pape lui ayant répondu que ce n’était pas en son pouvoir, toute copie de ce morceau étant formellement interdite, Mozart, qui put assister à la répétition qu’on en fit peu après, nota de mémoire le fameux Miserere et n’eut plus, lorsqu’en eut lieu l’exécution, qu’à rectifier les très rares erreurs qui s’y étaient glissées.
De Rome les deux Mozart passèrent à Naples, puis à Milan; c’est dans cette ville que le jeune compositeur écrivit et fit représenter son opéra de Mithridate (1770), qui lui valut la demande d’un second opéra pour la saison suivante. Revenu à Milan après un court séjour à Salzbourg, Wolfgang composa en quinze jours cet opéra, sans parler de celui qu’il fit pour le mariage d’un archiduc avec la princesse de Modène, et qui fut représenté en même temps qu’un opéra de Hasse (1771). Dans cette même année et dans la suivante vont se succéder, entre diverses pièces de circonstances, plusieurs symphonies et quatuors. L’année 1773 voit éclore de nouvelles symphonies, un concerto pour deux violons, une messe, une sérénade, six quatuors, un quintette, un concerto pour piano; à l’année 1774 appartiennent deux messes, quatre symphonies, deux sérénades, un concerto pour basson et d’autres compositions.
Pendant un séjour à Munich en 1775, Mozart produisit un opéra, La Finta Giardiniera, deux messes, une cantate, il Re Pastore, cinq concertos pour violon, etc. L’an 1776 et une grande partie de l777 semblent avoir été presque entièrement consacrés à la composition; nous relevons sur une liste copieuse cinq messes, un offertoire, six sonates et trois concertos pour piano, dix-sept pièces pour orgue et plusieurs morceaux pour instruments à vent, entre autres un concerto pour hautbois. Tous ces travaux n’empêchaient pas Mozart d’étudier assidûment les maîtres et de s’assimiler avec joie les beautés que plus que personne il était à même d’apprécier chez eux.
En 1777, il se vit, d’accord avec son père, dans la nécessité de quitter Salzbourg où, faute de connaisseurs intelligents et de protecteurs éclairés, il ne pouvait que végéter péniblement. On en vint à un parti qui, sans doute, coûta bien des larmes à toute la famille : Léopold Mozart, que sa position forçait à demeurer dans la ville archiépiscopale, laissa partir Wolfgang, accompagné de sa mère. Après de brèves visites à Munich et Augsbourg, la résolution fut prise d’aller à Paris. Une juvénile passion pour Aloysia Weber, jeune et belle cantatrice, faillit déranger ce projet, mais le père de Wolfgang intervint, et son autorité remit tout en ordre; le 14 mars 1778, le jeune compositeur quittait Mannheim, après avoir enrichi son bagage musical de quelques nouvelles compositions. Le nouveau séjour à Paris ne fut pas suivi d’heureux résultats: la lutte entre les piccinistes et les gluckistes occupait alors toute l’attention des musiciens, et Mozart ne réussit guère à se faire entendre. La mort de sa mère, survenue le 3 juillet, le frappa douloureusement et lui fit souhaiter encore plus vivement de quitter une ville si peu hospitalière. Il lui dit définitivement adieu le 26 septembre 1778, et, après avoir traversé Nancy, Strasbourg, Mannheim et Munich où il retrouva Aloysia Weber qui l’avait à peu près oublié, il rentra dans sa ville natale en juin 1779, le cœur triste et fatigué, et peu disposé à remplir paisiblement les emplois de maître des concerts de la cour et d’organiste de la cathédrale qui venaient de lui être confiés. Néanmoins, il demeura à Salzbourg jusqu’à la fin de l’année 1780, écrivant pendant ce laps de temps un opéra, Zaïde, deux messes, un kyrie, deux symphonies, des sonates pour piano et pour orgue, etc. Il vint ensuite à Munich où, l’an d’après, le 29 janvier, son opéra d’Idoménée, accueilli avec enthousiasme, inaugurait la glorieuse série de ses œuvres dramatiques.
Malheureusement pour lui, l’archevêque de Salzbourg l’appela brusquement à Vienne où ce prélat se trouvait alors. Traité avec mépris et considéré comme un valet, Mozart ne demandait qu’à quitter un maître aussi désagréable; à la suite de scènes scandaleuses dans lesquelles il se vit grossièrement insulté, il rompit tout commerce avec lui, et, sous la protection de l’empereur, se remit à la composition. Son opéra, L’Enlèvement au sérail (1782), fut très favorablement reçu, et Prague le joua après Vienne.
Un grand événement trouve ici sa place, le mariage de Mozart avec Constance Weber (16 août 1782), sœur cadette de cette Aloysia qui avait été l’objet de son premier amour, mariage heureux, en somme, si nous considérons comme secondaires les questions pécuniaires qui, certes, eurent pourtant lieu d’embarrasser fréquemment le jeune ménage, puisque Mozart, soit en donnant des leçons, soit surtout en jouant dans des concerts, gagnait à grand’peine de quoi subvenir à l’existence commune.
En 1783, il fit exécuter une nouvelle messe à Salzbourg, puis à Vienne un opéra, lo Sposo deluso. Sur ces entrefaites, Léopold Mozart, qui n’avait consenti qu’avec une répugnance marquée au mariage de son fils avec Constance Weber, consentit enfin à voir sa bru, mais il ne la prit jamais en affection. Toutefois, la naissance d’un petit-fils réjouit le cœur du vieillard, qui vint passer deux mois à Vienne auprès de ses enfants (1785) et applaudit aux nouveaux succès de son fils en qui Haydn venait de saluer «le plus grand compositeur qu’il connût». Ce fut leur dernière rencontre, et la maladie qui devait l’emporter deux ans plus tard commença à saisir Léopold Mozart dès son retour à Salzbourg. L’empereur Joseph II, qui aimait par-dessus tout la musique italienne, laissait végéter Mozart dont les compositions ne lui plaisaient qu’à demi. Cependant, sur les instances de la comtesse de Thun et du prince de Cobentzel, il fit représenter par les acteurs de la cour L’Enlèvement au sérail. Après une des représentations, le monarque dit au compositeur : « C’est trop beau pour nos oreilles, mon cher Mozart, il y a là dedans trop de notes! » « Que Votre Majesté me pardonne, répondit le musicien, il n’y en a pas une de trop! » Peut-être est-il permis, en ce qui concerne L’Enlèvement, de trouver que Joseph II n’avait pas tout à fait tort! Mais rien ne saurait en tout cas excuser son manque de générosité à l’égard du grand homme qui illustrait son règne, et qu’il laissa longtemps sans honoraires. Ceux-ci furent enfin fixés à 800 florins. Un petit opéra, Le Directeur de spectacle, représenté à Schoenbrunn en 1786, précéda de peu l’apparition des Noces de Figaro.
Le librettiste Da Ponte, qui avait transformé Le Mariage de Figaro de Beaumarchais en un livret d’opéra, s’avisa de la confier à Mozart dont il admirait fort le génie. Le musicien s’éprit de son poème et travailla avec une telle ardeur qu’au bout de six semaines la partition se trouva terminée. Da Ponte demanda à l’empereur l’autorisation de faire jouer Les Noces – et l’obtint non sans peine, Joseph II croyant entrevoir des dangers dans une représentation publique de la célèbre comédie, même métamorphosée. Le chef-d’œuvre fut donné au public le 1er mai 1786, et accueilli avec un indescriptible enthousiasme, en dépit des cabales qui avaient conspiré sa chute. Prague, à son tour, voulut entendre Les Noces et leur fit un accueil encore meilleur. Mozart reçut de cette ville de chaudes ovations, et deux concerts qu’il y donna attirèrent une foule considérable. L’impresario Bondini lui «commanda» un opéra pour la saison suivante. Le succès des Noces ayant engagé Mozart à demander à Da Ponte un second livret, Don Juan fut choisi, et écrit à l’intention de ces habitants de Prague qui avaient si intelligemment fêté la partition précédente. En septembre 1787, le maître et sa femme vinrent habiter la capitale de la Bohême. Une représentation extraordinaire des Noces de Figaro, donnée en l’honneur de l’archiduchesse Marie-Thérèse, précéda de peu de jours la première exécution de Don Giovanni qui eut lieu le 29 octobre. Le succès fut complet, éclatant, inouï dans les annales musicales de Prague. Le 7 mai de l’année suivante, l’œuvre fut jouée à Vienne, mais dans des conditions bien différentes, tant au point de vue de l’interprétation qu’à celui de la compréhension du public.
Cependant la situation pécuniaire du maître ne s’améliorait guère, et lui causait de cuisants soucis dont sa santé ne manquait pas de se ressentir. Le travail était alors son grand consolateur, et il s’y livrait avec une ardeur indomptable. En cette même année 1788, il écrit ses trois dernières symphonies, sans parler d’assez nombreuses compositions inspirées par les œuvres de Bach qu’il admirait profondément. Il prit part comme chef d’orchestre à des exécutions des oratorios de Haendel qui eurent lieu de 1788 à 1790, par les soins du baron Van Swieten, riche et fervent amateur de musique des vieux maîtres. Dans l’espoir de se dégager un peu de ses embarras financiers, Mozart décida de suivre à Berlin son protecteur le prince de Lichnowsky. Après s’être arrêté à Dresde, puis à Leipzig où son talent d’exécutant excita le plus vif enthousiasme, il arriva à Berlin. Reparti immédiatement pour Potsdam, Mozart fut présenté par le prince au roi Frédéric-Guillaume II. Ce roi aimait la musique, était lui-même musicien et possédait un bon orchestre. Comme il priait son hôte illustre de lui faire connaître son sentiment à l’égard des musiciens de la chapelle royale: «Ces messieurs, répondit-il avec une naïve franchise, sont d’éminents virtuoses, mais s’ils jouaient ensemble, l’effet serait encore meilleur.» Le monarque, le prenant au mot, le pria d’opérer cette amélioration en acceptant le poste de maître de chapelle avec 3000 thalers d’appointements. – Mais Mozart ne put se résoudre à «quitter son bon empereur». On ne sait qu’admirer le plus, de la généreuse bonté du cœur de Mozart, ou de l’incroyable conduite du «bon empereur» qui, après avoir craint un moment que le grand musicien ne cédât aux sollicitations du roi de Prusse, et l’avoir engagé à rester à son propre service, continua de le traiter aussi chichement que par le passé!
Un concert donné à Leipzig, un autre à la cour de Berlin, une reprise dans cette ville de L’Enlèvement au sérail, n’améliorèrent pas beaucoup l’état des affaires de Mozart. Le roi de Prusse, en lui demandant des quatuors, lui fit pourtant, à deux reprises, présent de 100 frédérics d’or. Outre ces deux quatuors, notons en 1789 une sonate pour clavecin, le quintette en la, des airs, des menuets et enfin un opéra bouffe: Cosi fan tutte, qui fut représenté à Vienne le 26 janvier 1790. Moins d’un mois après, Joseph II mourait, et le pauvre grand homme, privé de son seul et bien insuffisant protecteur, se voyait, pour toute ressource, pourvu de l’emploi de maître de chapelle adjoint à la cathédrale, poste qui ne lui donnait droit à aucun genre d’appointements. La situation empirait; un nouveau voyage pour les frais duquel il avait été forcé d’emprunter sur son argenterie ne lui avait presque rien rapporté; un labeur plus acharné que jamais s’imposait en dépit de l’affaiblissement évident de sa santé. Parmi les pièces qui datent de cette époque, citons le célèbre Ave verum. En mars 1791, Schikaneder, impresario, auteur et acteur médiocre à qui ses entreprises avaient jusque-là peu réussi, s’en fut trouver Mozart et le supplia de venir à son aide en écrivant un opéra pour son théâtre. Précisément Schikaneder avait en portefeuille un livret de sa façon, La Flûte enchantée, qui lui semblait devoir, une fois accompagné de bonne musique, relever la fortune de son théâtre. Mozart, toujours disposé à secourir autrui, accéda à la demande de l’impresario-poète sans réclamer un ducat, mais en stipulant qu’aucune copie ne serait donnée de sa partition, afin qu’en cas de réussite il pût la vendre à d’autres théâtres. Nous devons à la vérité d’ajouter que Schikaneder ne se fit pas scrupule de violer la promesse qu’il avait faite dans ce sens, et de voler effrontément le bienfaisant génie qui l’avait tiré de la misère.
Pendant que Mozart travaillait à sa partition – en juillet 1791 –, un étranger se présenta chez lui pour lui demander de composer une messe de Requiem, de la part d’une personne qui désirait demeurer inconnue. Mozart accepta et fixa à 100 ducats les honoraires qu’on lui disait d’arrêter lui-même. Le maître se mit immédiatement à l’ouvrage, mais peu à peu de sombres pensées l’envahirent, d’autant plus aisément que ses forces déclinaient de plus en plus: «Je suis sûr, disait-il à sa femme, que c’est pour mes propres funérailles que j’écris ce Requiem.» Cependant il fut obligé d’en interrompre la composition pour obéir au vœu des États de Bohême qui lui demandaient de composer un opéra à l’occasion du prochain couronnement de Léopold II. Il accepta, malgré la brièveté du délai qu’on lui accordait, et écrivit, aidé par son élève Sussmayer, la musique de La Clémence de Titus, sur un poème de Métastase. Au moment où il partait pour Prague, l’inconnu qui avait commandé le Requiem se présenta inopinément et lui en demanda des nouvelles. La Clémence de Titus fut jouée le 6 septembre 1791, et peu après le maître, revenu à Vienne, se remettait au travail pour terminer l’opéra promis à Schikaneder. La Flûte enchantée, achevée le 28 septembre, fut représentée deux jours plus tard, et le succès répondit aux vœux du directeur. Schikaneder était sauvé, mais Mozart était mourant. Il voulut tenir la parole donnée et terminer son Requiem, malgré l’état de prostration dans lequel il se trouvait et que coupaient de terribles accès. La maladie de poitrine qui le minait depuis si longtemps s’était compliquée d’une étrange affection nerveuse. Il s’imaginait qu’un ennemi l’avait empoisonné – et on sait que Salieri fut soupçonné de ce crime, à tort [...]. Toujours est-il que l’idée de la mort hantait irrémissiblement la pensée du maître. Au milieu de novembre, il se sentit mieux et put même écrire une petite cantate pour la loge franc-maçonnique à laquelle il appartenait. Mais cette éclaircie fut de courte durée, et il retomba pour ne plus se relever, au moment où, par une cruelle ironie du sort, d’avantageuses propositions lui étaient faites de divers côtés. La Flûte enchantée continuait sa brillante carrière, et le pauvre compositeur, suivant sur sa montre la marche du temps, assistait par la pensée aux différentes phases de la représentation. Puis le Requiem reprenait possession du cerveau fiévreux que l’inflammation gagnait rapidement. Mozart s’écria, d’après un témoin de ses souffrances: «Il faut donc mourir à l’heure où, délivré de ceux qui spéculaient sur mon travail, j’allais pouvoir travailler selon les inspirations de Dieu et de mon cœur! Quitter ma famille, mes pauvres petits enfants, au moment où j’aurais pu pourvoir à leur bien-être! M’étais-je trompé en affirmant que c’est pour moi-même que j’écrivais ce Requiem?»
Le 4 décembre, il demanda la partition et essaya d’en chanter un passage. Arrivé au Lacrymosa, il sentit qu’il ne pourrait pas en écrire la fin et se mit à sangloter. Le soir même, il donna à son élève Sussmayer les indications nécessaires à l’achèvement de cette funèbre composition. Puis il dit à sa belle-sœur Sophie Weber: «Je désire que vous passiez cette nuit auprès de moi pour me voir mourir. J’ai déjà le goût de la mort sur la langue. Restez, ajouta-t-il, comme elle essayait de le dissuader, si vous partiez, qui donc assisterait ma Constance?» Il donna aussi des instructions pour que sa place de maître de chapelle à l’église de Saint-Étienne fût dévolue à Albrechtsberger qui y avait droit, et l’obtint en effet. Son Requiem le hanta jusqu’à la fin, ses lèvres en s’entrouvrant laissaient échapper quelques sons qui s’y rapportaient. Un peu avant minuit, il se dressa sur son lit, les yeux fixes. Puis il retomba épuisé et quelques minutes plus tard il rendait le dernier soupir. Le corps du maître, revêtu de la robe noire des confrères de la mort, fut exposé, visage découvert, sur une civière placée à côté de son clavecin. Il laissait à sa veuve et à ses deux enfants 200 florins environ. Les pièces du mobilier qui n’étaient encore ni engagées ni vendues pouvaient bien valoir 25 florins. Quant à cette foule d’admirables compositions qui devaient enrichir les éditeurs, ceux-ci ne songeaient nullement à en indemniser la veuve. Les dettes s’élevaient à 3000 florins. Le coût de ses obsèques, commandées par le baron Van Swieten, mais payées par Constance Mozart, fut de 11 florins, 56 kreutzers.
Le 6 décembre, à trois heures de l’après-midi, le convoi funèbre pénétrait dans la cathédrale, où les dernières prières furent brièvement dites. Un petit nombre de fidèles étaient présents: Salieri, qui voulait protester par cette démarche contre l’accusation calomnieuse que nous avons rapportée, Sussmayer, le maître de chapelle Roser, Deiner, Orsler, Van Swieten, généreux jusqu’à la fin. Le temps était effroyable, le vent et la pluie faisaient rage. Du seuil de l’église aux portes de la ville la tempête ne fit que s’accroître. Aussi, un par un, les assistants s’égrenèrent. Lorsque le corbillard arriva à l’entrée du cimetière, seuls les porteurs l’accompagnaient. Alors ils achevèrent, en une hâtive indifférence, leur banale et lugubre besogne, et, sans une parole d’adieu, sans une larme, sans même la présence muette d’un unique ami, le corps de Wolfgang Amadeus Mozart, maître de chapelle de la cathédrale de Vienne, compositeur de la chambre impériale, le favori des souverains et l’orgueil de son pays, l’une des gloires les plus pures et les plus nobles de l’Art, ce corps abandonné, fut jeté à la fosse commune. Que l’on n’aille pas crier à l’ingratitude: moins de soixante-dix ans après sa mort, le 5 décembre 1849, sa patrie reconnaissante élevait à la mémoire du maître, par l’entremise de la ville de Vienne, un beau monument, à l’endroit où – peut-être – il avait été inhumé.
Si, après avoir brièvement retracé les principaux événements de la vie de Mozart, nous essayons maintenant de considérer son œuvre, une expression se présente à nous qui semble la caractériser tout d’abord: cette œuvre est la plus purement, la plus complètement musicale qui ait jamais été. En elle la musique absolue se crée, se développe, atteint sans efforts les plus hauts sommets. «Il écrivait la musique comme on écrit des lettres», a dit naïvement Constance en parlant de son mari. En effet, rien de plus spontané que l’essor de cet intarissable fleuve mélodique qui coule et serpente à travers toutes ses compositions. Et sans doute l’histoire de l’art nous offre d’autres exemples de «mélodistes» féconds. Toutefois prenez garde qu’ici le fleuve – qu’on nous laisse poursuivre notre comparaison – coule, il est vrai, à pleins bords, mais sans jamais inonder les campagnes qu’il fertilise et sans produire, de loin en loin, ces amas d’eau stagnantes qu’a parfois amenés l’excès de la fécondité. Le goût le plus pur et le plus délicat préside chez Mozart à la formation de son œuvre, en règle les proportions, en détermine les moindres détails et, loin d’amoindrir l’inspiration, la dégage au contraire et lui donne en quelque sorte conscience d’elle-même."
René Brancour, article «Mozart» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vingt-quatrième (Moissonneuse-Nord), p. 526-528.
Sur internet : biographies de Mozart
Notice de l'Encyclopédie Hachette
Notice de l'encyclopédie Britannica (angl.)
Mozart Biography (Internationale Stiftung Mozarteum)
Biographie et chronologie (The Mozart Project)
Wolfgang Amadeus Mozart (Musik-Kolleg Online) - en allem.
Notice tirée du Grove Concise Dictionary of Music, édité par Stanley Sadie (© Macmillan Press Ltd., Londres) - site Classical Music Pages
Mozart : un génie de la musique né il y a 250 ans - chronologie de sa vie et de son oeuvre (une animation produit par l'AFP - reproduite sur le site de Radio-Canada)
Notices de Wikipedia : langues allemande, anglaise, française
Page Mozart du site Musicologie.org (auteur : Jean-Marc Warszawski) - comprend aussi des illustrations, une discographie, des liens, etc.
Wolfgang Amadeus Mozart (France Musique, Radio France)
Wolfgang Amadeus Mozart (Piano Bleu)
Johann Chrysostomus Wolfgang Amadeus Mozart (Catholic Encyclopedia)