Toscane

«Quel est l'homme dont le coeur ne battrait rien qu'à entendre prononcer ce nom : la Toscane! Dans les syllabes même, d'une sonorité si fière et si douce, de ce mot qui pour nous contient et signifie tant, nous recevons pêle-mêle les souvenirs de tant de nobles et délicats paysages, de tant d'heures exquises vécues dans les plus beaux lieux du monde. Comment ordonner ce tumulte de sensations et d'images qui assiègent notre mémoire ? Dans aucun autre pays, en effet, la nature et l'art ne se sont aussi bien accordés pour réaliser le pur chef-d'oeuvre d'une humanité fine, subtile, intelligente, gouvernée par sa raison plus encore peut-être que par sa sensibilité ou sa sensualité, ardemment attachée aux choses de l'esprit sans jamais permettre à l'intellectualité de la conduire vers l'abstraction, sans jamais perdre le contact avec la vie tumultueuse des passions brûlantes, des actions violentes.

C'est en Toscane que s'est réalisé, à un certain moment de son histoire que nous pouvons localiser entre 1300 et 1500, une des réussites majeures de l'homme. (...) En Toscane, en effet, on a l'impression que le chef-d'oeuvre est une sorte de création collective à laquelle tout concourt, le paysage, l'atmosphère, la qualité de la lumière et de l'air, le caractère de la race, les institutions, même, et le comportement. Ailleurs l'oeuvre d'art est toujours plus ou moins détachée de la vie publique, lorsqu'elle n'y est pas directement et intimement associée par le facteur religieux. En Toscane, il existe une «religion de la beauté» dont le suprême épanouissement s'est accompli à la Renaissance, qui demeure le «moment parfait» de la Toscane, l'heure où tous les éléments intérieurs et extérieurs se sont associés pour la création de cette brève et extraordinaire fleur.

Il est évident que ce décor de montagnes mesurées, d'agréables vallées, d'harmonieuses combinaisons de forêts, de plaines, de vignobles, constitue à lui seul déjà une sorte de création parfaite. Les vertes ondulations du Val d'Elsa, les courbes des collines qui entourent Florence, sont en elles-mêmes des actes de beauté, et celui-là ne comprendra jamais rien à l'art toscan qui ne pénétrera son identité absolue avec le paysage de ce pays.»

Marcel Brion

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