Essentiel
« Dans Lettre à un otage, Antoine de Saint-Exupéry raconte comment au cours d’un reportage sur la guerre civile en Espagne, il a été fait prisonnier par des miliciens anarchistes. L’ennui, l’angoisse et un dégoût profond devant l’absurde de sa situation s’effacèrent à la suite d’un « miracle très discret », suscité pas sa quête d'une cigarette auprès d’un de ses geôliers, en ébauchant un vague sourire. « L’homme s’étira d’abord, passa lentement la main sur son front, leva les yeux dans la direction, non plus de ma cravate, mais de mon visage et, à ma grande stupéfaction, ébaucha, lui aussi, un sourire. Ce fut comme le lever du jour. Ce miracle ne dénoua pas le drame, il l’effaça, tout simplement, comme la lumière, l’ombre. Aucun drame n’avait plus eu lieu. Ce miracle ne modifia rien qui fût visible. La mauvaise lampe à pétrole, une table aux papiers épars, les hommes adossés au mur, la couleur des objets, l’odeur, tout persista. Mais toute chose fut transformée dans sa substance même. Ce sourire me délivrait. C’était un signe aussi définitif, aussi évident dans ses conséquences prochaines, aussi irréversible que l’apparition du soleil. Il ouvrait une ère neuve. Rien n’avait changé, tout avait changé. [...] Les hommes non plus n’avaient pas bougé, mais, alors qu’ils m’apparaissaient une seconde plus tôt comme plus éloignés de moi qu’une espèce antédiluvienne, voici qu’ils naissaient à une vie proche. J’éprouvais une extraordinaire sensation de présence. C’est bien ça : de présence! Et je sentais ma parenté ».
Plus loin, Saint-Exupéry ajoute : « J’entrai dans leur sourire à tous comme dans un pays neuf et libre. J’entrai dans leur sourire comme autrefois dans le sourire de nos sauveteurs du Sahara. [...] Du sourire des sauveteurs, si j’étais naufragé, du sourire des naufragés, si j’étais sauveteur, je me souviens aussi comme d’une patrie où je me sentais tellement heureux. Le plaisir véritable est plaisir de convive. Le sauvetage n’était que l’occasion de ce plaisir. L’eau n’a point le pouvoir d’enchanter, si elle n’est d’abord cadeau de la bonne volonté des hommes. Les soins accordés au malade, l’accueil offert au proscrit, le pardon même ne valent que grâce au sourire qui éclaire la fête. Nous nous rejoignons dans le sourire au-dessus des langages, des castes, des partis » (1).
Ce que Saint-Exupéry appelle « cette qualité de la joie » révèle la dimension la plus profonde de notre être : par delà les langages, les castes et les partis, par-delà toutes les différences, se découvre une solidarité humaine fondamentale.»
Thomas De Koninck, « S’ouvrir à l’autre ».
(1) Antoine de Saint-Exupéry, « Lettre à un otage », IV, in Oeuvres, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 401-402.
Enjeux
Soins de santé: l' urgence d'une solidarité mondiale
«Au Sud de cette planète, on est encore aux prises avec les infections dont le Nord a commencé à triompher au Moyen Age. Au Sud, on souffre encore de tous les autres maux liés à la misère et à la malnutrition. Au Nord, on est atteint de maladies de pléthore, de dégénérescence.
Compte tenu de ce qu'il en coûte pour obtenir de bons résultats dans le traitement des maladies dégénératives du Nord et des moyens simples avec lesquels on peut lutter contre les infections au Sud, un dollar investi au Sud est peut-être mille fois plus rentable qu'un dollar investi au Nord.
Les problèmes environnementaux rendent désormais cette solidarité si nécessaire qu'un gouvernement mondial semble être la seule solution adéquate. On dit, avec raison, que les forêts tropicales sont le poumon de la planète. C'est l'ensemble du grand organisme Terre-Humanité qui doit veiller sur la santé du poumon. Puisque c'est la qualité de la vie sur l'ensemble de la planète qui est en cause dans cette affaire, il n'est ni juste ni pensable que ce soit des pays comme le Brésil et l'Éthiopie qui fassent seuls les frais du redressement de la situation.»
Jacques Dufresne, Choix pour l'an 2000 (extrait), dossier Santé publique