Romantisme
«D'une manière générale, romantisme signifie une conception de la vie identique à celle qui est spéciale an roman (c.-à-d. aux récits épiques des peuples romans), conception qui s'affranchit de l'étroite réalité et du froid bon sens. Les populations romanes ayant développé, les premières, le génie du moyen âge, on a souvent donné à l'art du, moyen âge le nom d'art romantique, en l'opposant à l'art antique et classique et aussi à l'art moderne; le calme, la simplicité, la noblesse constituent l'essence de l'art antique, tandis que l'art du moyen âge, qui vise à représenter l'infini, cherche volontiers le sublime, le merveilleux, le fantastique. Le romantisme s'attache donc spécialement au moyen âge, à ses sentiments profondément religieux, à son enthousiasme pour une société chevaleresque, à son amour du miraculeux; il se soucie plutôt de foi, de sentiment et de fantaisie, que de critique et de mesure. C'est une réaction légitime contre le plat utilitarisme et la sèche compréhension des réalités, qui ne font pas au sentiment et à la fantaisie la part à laquelle ils ont droit. C'est dans ce sens que l'on entend par romantique une conception de la vie qui élargit le cercle étroit de l'existence journalière dans la direction de l'idéal, du sentiment et de l'imagination. Le royaume du merveilleux appartient tout entier aux romantiques: et comme le passé leur semble prêter plus de vraisemblance à leur idéal, ils ont un goût particulier pour l'histoire.
Hegel a donné une explication philosophique du romantisme au point de vue de l'art: cherchant à résumer les différentes phases intellectuelles de l'humanité, il estime qu'il y a eu trois formes dans l'histoire de l'art: la forme symbolique, la forme classique et la forme romantique. À l'origine, l'imagination cherche à s'élever au-dessus de la nature jusqu'au spirituel! mais vainement: l'art, sans matériaux fournis par l'intelligence, ne fait qu'enfanter l'image grossière des formes physiques ou que représenter des abstractions morales: c'est le caractère de l'art simbolique. Dans l'art classique, qui a atteint le plus haut degré de la perfection, c'est, au contraire, l'esprit qui constitue le fond de la représentation, la nature ne fournissant que la forme extérieure; l'union de la forme et de l'idée fut alors réalisée par une idéalisation de le nature. L'art classique fut ainsi la représentation parfaite de l'idéal et le règne de la pure beauté. Mais l'esprit ne saurait trouver de réalité qui lui corresponde qu'en lui-même, dans le monde intérieur de la conscience: ce n'est que là qu'il jouit de sa nature infinie et de sa liberté. Ce développement de l'esprit qui trouve en lui ce qu'il cherchait auparavant dans le monde sensible, constitue, selon Hegel, le principe fondamental de l'art romantique. La beauté de l'idéal classique, qui est la beauté sous sa forme la plus parfaite et dans son essence la plus pure, n'est plus le but suprême: l'esprit sent que sa vraie nature ne consiste pas à s'absorber dans la forme corporelle! il comprend qu'il doit abandonner la réalité extérieure et se replier sur lui-même pour atteindre la beauté spirituelle qui réside au fond de l'âme, dans les profondeurs de sa nature intime, La beauté ne consiste plus dans l'accord parfait de la forme, et de l'idée, mais dans l'âme elle-même: c'est une beauté purement spirituelle.
À un point de vue plus spécial, on nomme romantisme un grand mouvement philosophique et littéraire qui prit, en Allemagne, au début du XIXe siècle, une signification particulière lorsque quelques jeunes poètes eteritiques créèrent l'école romantique. Il y eut successivement deux groupes: le premier, plus individualiste, à tendances philosophiques et esthétiques, avec les frères Schlegel, Novalis, Schleiermacher, Ludwig Tieck, le philosophe Schelling, Wackenroder; et le second, plus national et préoccupé d'histoire, avec Arnim, Breritano, les frères Grimm, Uhland. Ils cherchaient tous deux l'essence de l'art et de la poésie dans le merveilleux et dans le fantastique, dans les souvenirs du moyen âge et mime de l'Orient et dans les traditions populaires. Le romantisme triomphe encore dans los poésies de Eichendorff et dans le lyrisme tendrement ironique de Heine; c'est lui aussi qui a inspiré les progrès de la philologie allemande et le développement des liouvelles écoles historiques. Les créateurs mêmes de l'école romantique donnaient plusieurs sens au mot romantisme. P. Schlegel, dans son étude sur Wilhelm dleister, considère la forme d'art du roman, qui a, selon lui, atteint sa perfection avec Goethe, comme la forme la plus haute de la pensée et de la poésie; selon lui, la poésie romantique est l'idéal de la poésie. D'autre part, les adeptes de la nouvelle école et Schlegel lui-même attachent le terme de romantique à la désignation de la poésie du moyen âge, spécialement au moyen âge des peuples de langueromane, c.à-d. à la poésie qui emprunte ses éléments aux temps de la chevalerie et au fantastique de cette époque. On arrive ainsi au sens plus général donné au romantisme par l'école: c.-à-d. le domaine de la fantaise, du merveilleux, parés du charme de la poésie. L'esthétique de Hegel a confondu en un seul deux de ces sens, comprenant sous le nom de romantisme la poésie du moyen âge et la poésie nouvelle, extension contre laquelle Vischer s'élève vivement dans son Esthétique, où il fait le départ très net des deux poésies. Elles se confondirent cependant de plus en plus, et l'école romantique allemande, sortant de la littérature et de l'art, prétendit ramener le Moyen Âge non seulement dans la poésie, mais encore dans la vie sociale, la religion et la politique. Cette tentative de réaction contre les principes révolutionnaires, qui avaient voulu organiser l'État et l'Eglise d'après les principes abstraits de la raison, se produisit après 1815 à l'époque de la Restauration! les libéraux s'élevèrent alors contre une pareille prétention, et A. Ruge publia son célèbre Manifeste contre le romantisme. On peut remarquer que les romantiques français étaient royalistes et absolutistes aussi en politique, tandis que leurs adversaires, les classiques, étaient libéraux.»
PHILIPPE BERGER, article "Romantisme", tome 28e, La Grande Encyclopédie, Paris, Société anonyme, n.d. (début 20e)