Printemps

«Le printemps est une époque où il faut, me semble-t-il, boire et manger du paysage. C'est la saison des frissons, comme l'automne est la saison des pensées. Au printemps la campagne émeut la chair, à l'automne elle pénètre l'esprit.» (Source et suite)

Guy de Maupassant

Le printemps québécois, par André Laurendeau

Publié sous le pseudonyme de Candide.

Où il n'y avait qu'un mince rideau d'arbres s'est établie une vraie profondeur de feuillage. Il n'y a plus devant nos yeux que ce vert tendre et riche des printemps pluvieux. On regarde. On avait oublié.

Un peu de ciel à travers les branches les plus hautes, du bleu lumineux et vibrant. C'est tout. Et cela suffit.

* * *

On nous dit: vous n'avez pas de printemps. N'en croyons rien. Nous avons au contraire d'innombrables printemps. Ils commencent sur la neige, en février, quand tout à coup une certaine mollesse, une douceur vous frôlent: c'est une promesse si furtive qu'il est facile de la manquer. De l'avoir manquée ne prouve rien. Le printemps s'est annoncé. Il reviendra ainsi à plusieurs reprises, seulement un peu plus insistant. Alors ne regardez pas à vos pieds; la neige est sale, son règne finit, laissez-là partir sans un regard. L'important est de se sentir accordé à cette nouvelle douceur, de savoir qu'il n'y a plus beaucoup à lutter, on peut se détendre, ou se laisser aller.

Il y a, de même, le printemps immobile, où l'on sent la terre en travail. Il y a les premiers bourgeons. Il y a le duvet léger qui adoucit le contour des arbres - enfin, le printemps de partout. Mais à chaque étape, on ne se lasse pas de redécouvrir la couleur et la tiédeur. Nous avons vécu des mois de blancheur et de froide dureté: et puis la terre se met à être douce. Ses couleurs, qui sont pauvres aux yeux d'un méridional, gardent une espèce de pâleur: revenant jadis d'Italie, en juillet, il me semblait que nos paysages s'étaient éteints. Je n'avais plus assez présent dans mes yeux le souvenir de grandes étendues blanches, d'horizons blêmes... Il faut vivre le rythme d'une terre, voir naître ses contrastes, la laisser parler jusqu'au bout.

Où il n'y avait encore, le mois dernier, qu'un mince rideau d'arbres, l'oeil se perd dans une profondeur de feuillage. Et l'on se repose et l'on se divertit à contempler toutes ces nuances de vert, ce vert rendu plus riche et plus doux pour les longues pluies. Quelle fraîcheur, on avait oublié.

C'est un fouillis, que traverse le corps de quelques arbres. Au sommet, des échappées bleues, juste de quoi éprouver que le bosquet respire; un coin d'évasion, par où l'on imagine qu'on pourrait partir.

***

Le printemps de Méléagre, traduction de Simone Weil

Traduction de Simone Weil

L'hiver venteux loin de notre air a disparu;
Pourpre sourit, portant des fleurs, ô printemps, ta saison;
La terre sombre tendrement s'est recouverte d'herbe;
Aux arbres dans leur sève, nouvelle est la chevelure de feuilles.
Ceux dont la douce boisson, nourricière, est la rosée de l'aurore,
Les prés se rient, pendant que s'ouvre la rose.

Il a joie dans sa flûte, le berger parmi les monts qui chante
Et les blancs chevreaux font plaisir au pâtre des chèvres.
Déjà naviguent sur les vastes flots les matelots
Au souffle sans péril du zéphyr qui des voiles fait des seins.

Déjà l'on crie Évohé pour celui qui porte les raisins, Dionysos;
Des fleurs en grappe couronnent les cheveux, des fleurs de lierres.
Aux travaux savants celles qui naissent des bœufs, les abeilles,
Si beaux, sont occupées; dans leur ruche posées elles travaillent
La blanche et fraîche et poreuse beauté de la cire.

Partout les oiseaux, race à la claire voix, chantent,
Les alcyons sur les flots, les hirondelles autour des toits,
Les cygnes au bord du fleuve et sous le bois le rossignol.
Si donc dans les forêts la joie vient au feuillage et si la terre fleurit,
Si siffle le berger, si s'ébattent les laineux troupeaux.

Si les matelots naviguent, si Dionysos mène les chœurs,
Si chantent les êtres ailés, si travaillent les abeilles,
Ne doit-il pas aussi, le poète, au printemps bien chanter?

 

 

 

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