Praxitèle
«Fils de Képhisodote, le maître de l'Eiréné, originaire du dème d'Eirésidai, Praxitèle est un pur Attique, et c'est bien la qualité d'Athénien que lui donne une inscription recueillie près de Thespies. Il appartient à une famille où la profession de sculpteur paraît avoir été héréditaire, et lui-même fait souche d'artistes. Un de ses fils, Képhisodote le jeune, porte le nom de son grand-père. Il est même permis de rattacher à sa descendance un Praxitèle, Athénien comme lui, qui a travaillé à Delphes au IIIe siècle. Par sa naissance, par son éducation, car il a, suivant toute vraisemblance, reçu de son père ses premières leçons, il est donc bien un fils d'Athènes et nul mieux que lui n'en représente l'esprit dans l'art du IVe siècle.
Quelques détails biographiques bien insuffisants, quelques renseignements sur des œuvres datées, permettent de fixer tout au moins les principaux jalons de sa carrière artistique. On peut placer vers 390 la date de sa naissance. Entre les années 370 et 365, sa réputation est déjà faite. C'est le moment où le succès de la politique thébaine dans le Péloponèse et les victoires d'Épaminondas permettent aux habitants de Mantinée de reconstruire leur ville ruinée par les Spartiates, et de restaurer leurs sanctuaires. Un de ces temples, le Létôon, vient d'être achevé. Praxitèle reçoit la commande du groupe de Latone et de ses enfants qui doit y être placé, et peut-être le choix d'un sculpteur athénien est-il la conséquence des propositions d'alliance faites à Athènes, en 366, par un envoyé mantinéen. C'est le temps où Képhisodote travaille pour une autre ville arcadienne, Mégalopolis, et l'on a pu supposer que le jeune sculpteur accompagne son père dans le Péloponèse. Nous attribuerions volontiers à cette première période de son activité un groupe exécuté pour un temple de Mégare, et dont le sujet était le même que celui du groupe de Mantinée. Mais c'est à Athènes que s'écoulent les années de sa vie les plus fécondes et les plus glorieuses.
Se représenter Praxitèle jeune et célèbre, riche, puisqu'il peut supporter la charge coûteuse d'une chorégie, mêlé à la société la plus brillante d'Athènes, menant de front le travail et le plaisir, c'est à quoi nous invite l'histoire bien connue de sa liaison avec Phryné. Arrivée encore enfant à Athènes après la ruine de sa ville natale en 372, la Thespienne Phryné y avait pris rang parmi les courtisanes célèbres que le poète comique Timoclès met plaisamment en scène. À côté des Nannion, des Pythioniké, des Khrysis, des Lépadion, elle fait figure par sa beauté et par sa fortune. Entre les années 360 et 350, elle est dans tout l'éclat de ces charmes auxquels, si l'on en croit la tradition, elle dut son acquittement à la suite d'un procès pour impiété. Est-il besoin de rappeler l'histoire devenue légendaire que nous a transmise Plutarque, et le geste audacieux de l'avocat Hypéride, dévoilant brusquement devant le tribunal la gorge et les flancs impeccables de sa belle cliente? Récit quelque peu suspect, à vrai dire, car le poète Posidippe raconte l'affaire tout autrement: Phryné supplia humblement ses juges, et «sauva sa vie à grand-peine avec des larmes». Certaines œuvres de Praxitèle se placent à coup sûr dans cette période de 360 à 350, au temps où Phryné est sa maîtresse: d'abord les deux Aphrodite de Cos et de Cnide, non point tant en raison de la tradition suivant laquelle la courtisane de Thespies aurait servi de modèle pour la Cnidienne, que parce que les deux statues sont contemporaines, et que l'exécution de l'Aphrodite de Cos a dû suivre d'assez près le synœcisme de Cos, en 365; ensuite, le portrait de Phryné dont elle fait don à un temple de Thespies; enfin, et sans doute possible, le Satyre de la rue des Trépieds et l'Éros de Thespies. On connaît l'anecdote que Pausanias ne manque pas d'enregistrer, et que bien des touristes, arrêtés devant la statue de la rue des Trépieds, durent entendre conter par les guides. Comme Praxitèle avait laissé à Phryné le choix de sa meilleure œuvre sans la désigner autrement, celle-ci s'avise d'un expédient pour se renseigner. Un jour que Praxitèle est chez elle, un esclave accourt effaré, annonçant que l'atelier du sculpteur est en feu, et que beaucoup de statues ont péri, pas toutes cependant. «Pourvu, s'écria Praxitèle, que les flammes aient épargné l'Éros et le Satyre!» Phryné le rassure, et, sûre de son choix, jette son dévolu sur l'Éros qu'elle consacre au temple de Thespies.
Quelques faits assez précis peuvent encore être relevés pour la période où Praxitèle est en pleine maturité. Il semble qu'à l'exemple de Scopas il ait été attiré vers l'Asie-Mineure, où de grands travaux réclament le concours des artistes d'Athènes. Un texte douteux le cite parmi les sculpteurs du Mausolée. On peut admettre, avec plus de confiance, qu'il exécute un autel orné de sculptures pour le nouvel Artémision d'Éphèse, édifié après l'incendie du vieux temple, c'est-à-dire après 356. C'est sans doute à la suite de ce séjour à Éphèse qu'il reçoit la commande d'une Aphrodite pour l'Adonion d'Alexandrie de Carie. En 346, il est de retour à Athènes, car c'est l'année où les Athéniens font, dans le sanctuaire d'Artémis Brauronia, la dédicace de la nouvelle statue de culte dont il est l'auteur. Enfin, on a de bonnes raisons pour placer un peu après 343 l'exécution de l'Hermès d'Olympie. À cette date, le parti aristocratique d'Élide a conclu une alliance avec les Arcadiens et s'est rapproché de Philippe de Macédoine. La statue consacrée dans l'Héraion est comme le gage religieux de cette alliance. Nous ignorons la date de la mort de Praxitèle. Mais tout porte à croire qu'il ne voit pas le triomphe des armes macédoniennes, à Chéronée et la déchéance politique d'Athènes.»
MAXIME COLLIGNON, Scopas et Praxitèle. La sculpture grecque au IVe siècle jusqu'au temps d'Alexandre, coll. Les maîtres de l'art. Paris, Librairie de l'Art Ancien et Moderne, 1907
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Article de Paul Mantz de la Grande Encyclopédie (1885-1902)
«PRAX ITÈLE, sculpteur grec (première moitié du IVe siècle avant notre ère). Il était Athénien, comme le prouvent plusieurs inscriptions gravées sur des bases de statues. On suppose qu'il était fils du sculpteur Céphisodote. Une de ses premières œuvres paraît être le groupe qu'il exécuta en 362 pour un temple de Mantinée, et qui représentait Léto avec Artémis et Apollon (Pausanias, VIII, 9, 1). La base qui supportait ce groupe était décorée de bas-reliefs, où étaient figurés, avec les Muses, Apollon et Marsyas jouant de la flûte; trois de ces bas-reliefs ont été retrouvés en 1887 (cf. Fougères, Mantinée; Paris, 1898, p. 543). À cette première période de la vie de l'artiste appartiennent sans doute encore : les Thespiades, qui furent transportées à Rome par Mummius en 146 (Pline, Hist. nat., XXXIV, 69); un autre groupe de Léto et ses enfants, qui était placé dans le temple d'Apollon à Mégare (Pausanias, I, 44, 2) ; une statue de Léto à Argos (id., II, 21, 8); et une Tyché, conservée à Mégare (id., I, 43, 61. Vers l'année 360, Praxitèle est dans toute la plénitude de son talent. Alors commence la période des chefs-d'œuvre. C'est probablement pendant les vingt années suivantes qu'il exécute ses morceaux les plus célèbres: le Satyre de la rue des Trépieds, à Athènes (Pausanias, I, 20,1; Athénée, XIII, p. 591 B), dont, on peut se faire une idée d'après des statues de Rome et de Dresde; l'Éros de Thespies (Pausanias, I, 20, 1; IX, 27, 3), dont il existe des répliques à Naples, à Turin, au Vatican, etc; l'Aphrodite de Thespies (id., IX, 27, 5), dont la Vénus d'Arles est peut-être une reproduction; deux portraits de Phryné, consacrés par la courtisane dans des temples, l'un à Thespies, l'autre à Delphes (Pausanias, I, 20, 4 ; IX, 21, a3-5; Athénée, XIII, p. 590; Plutarque, De Pythiae oraculis, 15), l'Aphrodite de Cos, et l'Aphrodite de Cnide (Pline, XXXVI, 20), dont nous avons de nombreuses copies, au Vatican, au Louvre, à Munich, à Berlin, etc.; l'Éros de Parion (Pline, XXXVI, 23); la statue d'Artémis Brauronia, destinée an temple de la déesse, sur l'Acropole d'Athènes (Pausanias, I, 23,7), et dont la Diane de Gables est sans doute une reproduction ; une autre Artémis, pour la ville d'Anticyre en Phocide (id., X, 37, 4) ; l'Apollon sauroctone (Pline, XXXIV, 70), dont il existe tant de répliques, au Louvre, au Vatican: le Satyre au repos, connu aussi par bien des copies, au Capitole, au Louvre, etc. ; le Dionysos d'Elis (Pausanias, VI, 26, 1); enfin, bien d'autres oeuvres mentionnées par les auteurs, surtout par Pline (XXXIV, 69-70). Au mois de mai 1877, dans les ruines de l'Héraion d'Olympie, on a retrouvé, avec la base et la signature, une œuvre originale de Praxitèle: le fameux groupe d'Hermès et Dionysos, qui est conservé au musée d'Olympie, et qui est unanimement considéré comme un des grands chefs-d'œuvre de l'art grec. Dans l'histoire de la sculpture antique, Praxitèle est, par excellence, le maître de la grâce, de la beauté féminine ou adolescente. Il avait porté à sa perfection la technique du marbre. Il eut de nombreux élèves: parmi eux, ses deux fils, Céphisodote le Jeune et Timarchos. Il a exercé une action considérable, non seulement sur le développement de la sculpture, mais sur l'art industriel, sur les stèles attiques et les figurines de Tanagre, qui ont reproduit ses types avec une prédilection marquée.
Plusieurs savants croient en l'existence d'un Praxitèle l'Ancien, originaire de Paros, qui aurait vécu à Athènes dans la seconde moitié du Ve siècle. À ce sculpteur, il faudrait attribuer: un groupe de Deméter, Perséphone et Iacchos, que mentionne Pausanias (I 2, 4); la statue de Héra Teleia, à Platées; et peut-être les sculptures de l'Hérakléion de Thèbes. Ce Praxitèle l'Ancien serait le père de Céphisodote l'Ancien et le grand-père du Praxitèle auteur de l'Hermès. D'ailleurs, ce nom de Praxitèle a été porté par divers sculpteurs d'époque plus récente: l'un d'eux travaillait à Pergame au IIIe siècle; un autre était contemporain d'Auguste.»
PAUL MANTZ, article "Praxitèle" de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vingt-sixième, p. 164