Enjeux
L'opinion fait la force?
«Les philosophes ont pour la plupart contesté la valeur de l'opinion. Pourtant, nous tenons à nos opinions. Qui a raison? Il semble bien que ce soit le philosophe: «nos opinions proviennent de sources non contrôlées, non maîtrisées et non réfléchies: l'expérience quotidienne, les médias, notre éducation, l'intérêt, les passions. L'ensemble des phénomènes qui ont une influence incontrôlée sur notre esprit. De manière spontanée, irréfléchie, nous reproduisons, nous répétons des jugements tout faits prononcés par des individus qui ont sur nous une certaine autorité, auxquels nous faisons confiance ou tout simplement que nous aimons.
Ce qui caractérise donc l'incorporation d'opinions, c'est notre passivité intellectuelle, notre soumission, notre démission intellectuelle. Mais la passivité intellectuelle se distingue de la simple paresse intellectuelle: la passivité est notre lot commun, au moins au début de notre existence, cf. Descartes: Ayant été enfant avant que d'être homme, nous n'avons pas pu faire autrement que d'écouter et de croire ce qu'on nous disait et de le tenir pour vrai. Si nous avions d'emblée eu l'usage de notre raison dans toute sa force, il ne serait peut-être pas nécessaire de faire de la philosophie, c'est-à-dire pour commencer de faire le ménage dans notre esprit, de se mettre à douter de la valeur de nos opinions.»
Anonyme,
source et suite
Mais ce n'est pas parce que l'opinion est faible, dans le sens décrit ci-dessus, qu'elle n'est pas également forte, car Hume va jusqu'à y déceler le fondement de tout gouvernement:
«Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui contemplent les choses humaines d'un oeil philosophique, que de voir la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit, et l'humble soumission avec laquelle les hommes sacrifient leurs sentiments et leurs penchants à ceux de leurs chefs. Quelle est la cause de cette merveille? Ce n'est pas la FORCE; les sujets sont toujours les plus forts. Ce ne peut donc être que l'OPINION. C'est sur l'opinion que tout gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire, aussi bien que le plus populaire et le plus libre. Le sultan d’Égypte, ou l'empereur de Rome, peut conduire ses sujets inoffensifs comme des bêtes brutes, à l'encontre de leurs sentiments et de leurs inclinations, mais il doit du moins avoir mené ses mamelouks comme des hommes, par leur opinion.»
DAVID HUME, Essai sur les premiers principes du gouvernement (1752)