Néron

37-68
Biographie de Néron (La Grande Encyclopédie)
«NÉRON, empereur romain (13 oct. 54-9 juin 68), né à Antium le 15 déc. 37, mort près de Rome le 9 juin 68. Fils de Cneius Domitius Ahenobarbus et d'Agrippine, fille de Germanicus, sœur de Caligula, il fut d'abord appelé Lucius Domitius Ahenobarbus. Il perdit son père à trois ans, et, sa mère ayant été bannie par Caligula, il fut élevé par sa tante Lepida. Mais Agrippine ayant épousé l'empereur Claude (son oncle) lui fit adopter son fils, qui prit les noms de Nero Claudius CcesarDrusus Germanicus (50). L'année précédente, il avait été fiancé à Octavie, fille de Claude et de Messaline, et avait reçu pour précepteur Sénèque. Tout fut préparé pour le substituer à Britannicus, fils et héritier naturel de Claude. Néron fut consul désigné, prince de la jeunesse, investi du pouvoir proconsulaire; en son nom on distribua un donativum aux soldats, un congiarium au peuple romain, on célébra des jeux splendides; on en fit l'avocat des provinces, plaidant en grec devant le sénat la cause d'Ilion, de Rhodes, d'Apamée; au cirque, il paraît vêtu de la robe triomphale, Britannicus n'ayant que la prétexte; les précepteurs de ce dernier sont mis à mort, ses partisans éloignés. Quand l'affranchi Narcisse embrasse son parti, il était trop tard. Agrippine commence par faire mourir sa belle-sœur, Domitia Lepida, qui lui disputait l'affection de Néron, puis, profitant d'une absence de Narcisse, elle empoisonne son mari. Sa créature, Afranius Burrus, préfet du prétoire, fait acclamer Néron par les prétoriens. Le Sénat confirme la décision des troupes.

Le jeune empereur, âgé alors de dix-sept ans, avait hérité de la violence de sa famille paternelle: «tête de fer et cœur de plomb», disait Crassus. L'éducation qu'il avait reçue lui donna le goût des arts: il savait peindre, sculpter, graver, s'accompagner sur la lyre, versifier; sa vanité poussée à l'extrême par la toute-puissance impériale lui fit plus tard rechercher avant tout les succès tapageurs du cirque et du theatre, les applaudissements de la foule, prodigués au cocher ou à l'histrion couronné. Il n'avait, en effet, aucun talent oratoire, il fut le premier des césars à ne pas composer lui-même ses discours; ne pouvant s'attribuer de mérite dans l'art romain par excellence, il s'en dédommagea en excellant dans la conduite des chars ou les rôles d'acteur. Les anciens distinguaient dans son règne une première période de cinq années, où il sut refréner ses passions, le quinquennium Neronis, dont le souvenir fut embelli par le contraste avec les débauches et les crimes des années suivantes. Néron s'amusait avec ses compagnons, Othon, Senécion, laissant gouverner Rueras, Sénèque et sa mère, conseillée par l'affranchi Pallas, intendant du palais. Agrippine voulait être associée officiellement à l'empire; sa tête est réunie sur les monnaies à celle de son fils; dans les cérémonies officielles, elle vient s'asseoir à côté de lui. La lutte s'engage avec Burrus et Sénèque, et bientôt avec Néron lui-même. Épris de l'affranchie Acté, il voit ses amours contrariées par sa mère qui protège Octavie; Pallas est disgracié et remplacé par l'affranchi Étruscus, qui restera intendant du palais jusqu'à Domitien. Agrippine menace, parle de Britannicus, qui vient d'achever sa quatorzième année; l'enfant est empoisonné à un banquet oü assistaient Octavie et Agrippine (33). Agrippine est un peu plus tard accusée de conspirer au profit de Rubellius Plautus, allié à la famille d'Auguste; elle fait punir ses accusateurs. L'événement décisif fut la liaison de Néron avec la belle coquette Poppéa Sabina, femme de son ami Othon; il expédie celui-ci en Lusitanie, dont il restera gouverneur dix ans, jusqu'àla mort de l'empereur. Poppée voulant se faire épouser, Agrippine s'oppose à la répudiation d'Octavie; Néron l'attire à Baïes, la comble de caresses; au retour, son navire s'abime dans la mer; elle s'échappe à la nage; son fils accuse son messager de tentative de meurtre et le fait assassiner: le sénat, l'empire entier le félicitent et remercient les dieux (59).

Durant ces cinq années, l'empire a été bien gouverné; Néron ne nomme pas au sénat de fils d'affranchis; il propose la suppression des impôts indirects, que les riches font repousser par le sénat; il ordonne la publicité des règlements d'inputs, la prescription annuelle en cette matière, accroît les garanties des contribuables dans les procès, charge les gouverneurs de recevoir les plaintes des esclaves maltraités par leurs inaitres. Les attributions des tribuns et des édiles sont transportées aux consuls et préteurs, de sorte que ces magistratures redeviennent purement municipales. Évidemment l'influence de Sénèque et de Burrus domine, cependant Néron s'occupe des affaires publiques. Il est consul en 55 avec L. Antistius Verus, en 57 avec L. Calpurnius Piso, en 58 avec Valerius Messalla, en 60 avec C. Cornelius Lentulus. Il siège au tribunal, interdisant les longs plaidoyers, jugeant sur pièces. La politique extérieure enregistre des succès. On a donné la Petite Arménie au juif Aristobule, la Sophène à Sohemus. Les Parthes de Vologèse ayant attaqué l'Arménie (54), on lui suscite un rival et on envoie sur l'Euphrate l'excellent général Domitius Corbulo. ll réorganise l'armée, puis envahit l'Arménie où depuis 55 on avait dû laisser Tiridate, frère de Vologèse, brûle sa capitale Artaxata, prend Tigranocerte et soumet le royaume entier auquel il donne pour roi Tigrane (60). Le protégé romain attaque imprudemment Vologèse, lequel chasse d'Arménie l'armée romaine de Cæsennius Pætus. Néron investit alors Corbulon des pouvoirs les plus étendus, et les Parthes demandent la paix. Tiridate promet de venir à Rome reprendre des mains de l'empereur la couronne d'Arménie (63). Sur le Danube, Plautius Ælianus, gouverneur de Mésie, établit 100.000 barbares, qui, mêlés aux colons romains, repeuplent le pays. Sur le Rhin, on entretient les divisions des Germains; on assiste à la ruine des Amsibares, à celle des Cattes, défaits par les Hermundures, à celle des Bructères. Patillinus Pompeius achève sur le bas fleuve les digues commencées par Drusus pour régulariser le cours du Rhin; L. Vetus essaie de creuser un canal de la Saône à la Muselle. Dans l'île de Bretagne, Suetonius Paullinus pénètre jusqu'au sanctuaire druidique de Mona (Anglesey) et comprime une terrible insurrection, dirigée par Boadicée, veuve du roi des Icènes, et qui avait débuté par le massacre de 80.000 citoyens ou alliés romains (61).

Mais, en l'an 62, Burrus meurt, Sénèque se retire. La préfecture du prétoire est partagée entre l'incapable Fænius Rufus et Tigellinus, redoutable intrigant, qui flatte les vices du maître. Ceux-ci commençaient à se donner carrière. Dès 59, il avait affiché sa prédilection pour les jeux à la mode hellénique; il conduit d'abord les chars dans un hippodrome privé au Vatican, puis appelle le peuple à admirer son brio; sur un théâtre de cour, il vient déclamer (59). Il institue les « Jeux néroniens », quinquennaux en principe, s'y fait décerner le prix d'éloquence et de poésie (60). Suétone prétend que, pour flatter son caprice, en moins de dix ans, 400 sénateurs, 600 chevaliers descendirent dans l'arène comme gladiateurs. Il distribue au peuple, sous forme de bons de tombola, des présents de toute sorte, victuailles, bêtes de prix, pierres précieuses, vaisseaux, terres. Une progression naturelle, favorisée par Poppée et Tigellinus, conduit Néron aux débaûches et aux crimes, qui ont jeté sur son nom un sinistre éclat. Il fait périr Octavie, Pallas, Cornelius Sulla et Rubellius Plautus, signalés connue prétendants possibles et déjà exilés, l'un à Marseille, l'autre en Orient. Il donne des fêtes comme celle racontée par Tacite, où les plus célèbres matrones rivalisent de luxure avec les courtisanes groupées sur la rive opposée de l'étang d'Agrippa; l'entpereur célèbre son mariage religieux avec un débauché auquel il sert de femme. En juillet 64, un incendie de neuf jours dévore complètement trois et à moitié sept autres des quatorze quartiers de Rome; on a accusé Néron d'avoir brûlé sa capitale afin de la reconstruire à sa fantaisie; on l'a montré debout sur la tour de Mécène, déclamant, la lyre à la main, les vers sur la ruine de Troie. Dion et Suétone l'affirment, Tacite en doute. L'empereur dérive la colère populaire sur les chrétiens, qui sont livrés aux bêtes ou enduits de résine et brûlés vifs pour éclairer l'orgie du soir. Sur les ruines, Néron trace le plan d'une Home nouvelle, aux rues larges, rectilignes, aux maisons moins hottes. Entre le Palatin et les Esquilies, il se réserve un vaste espace où il se batit un palais avec des portiques de 1.000 pas de long, un parc immense; en avant du vestibule de sa Maison d'or, il dresse sa statue, haute de 120 pieds. Le luxe inouï de ce palais, les prodigalités des festins où des plats revenaient à un million de fr., des costumes que jamais il revêtait deux fois, des voyages avec des chevaux ferrés d'or, des cadeaux aux courtisans, aux acteurs, des jeux et distributions au peuple, engloutissaient des sommes énormes. Pour se les procurer, les ressources de l'impôt ne suffisaient pas. Le procédé usuel fut de mettre à mort les riches dont on confisquait les biens; tuer pour voler était un besoin de la politique impériale; les temples furent dépouillés des richesses qui y étaient accumulées; Néron fit fondre jusqu'aux statues des dieux pénates; il organisa la chasse aux testaments, attribuant au fisc l'héritage de ceux qui se seraient montrés ingrats pour le prince; il falsifia la monnaie, doublant l'alliage, diminuant le poids de la pièce d'or et d'argent.

Ces excès provoquèrent des conspirations; la plus considérable fut révélée par Milichus, affranchi du sénateur Flavius Scavinus, qui devait frapper Néron; elle comprenait une grande partie des nobles: C. Calpurnius Pison, Lucain, neveu de Sénèque, Plautius Lateranus, consul désigné, Vestinus, consul; ils furent mis à mort; Sénèque reçut l'ordre de s'ouvrir les veines (65). Des lors, les exécutions se multiplient; Antistius Verus, Ostorius Scapula, Pétrone (66), Julius Silanus, la veuve de Rubellius Plautus, Thrasea Pætus, auquel on n'avait à reprocher que son silence, le vertueux Barea Soranus, sont les plus illustres de ces victimes. Poppée, enceinte, meurt d'un coup de pied de son époux. Néron veut épouser sa sœur adoptive, Antonia, fille de Claude; elle refuse et est égorgée; l'empereur se rabat sur Statilia Messallina, dont il fait tuer le mari, Vestinus. Le monotone récit de ces crimes est interrompu par la fastueuse réception du roi vassal d'Arménie, Tiridate, après laquelle Néron s'amuse à fermer le temple de Janus (66).

Il se prend alors à rêver la gloire de conquérant: une expédition aux sources du Nil ou un passage des défilés du Caucase; il forme une légion de soldats de six pieds de haut. Sa fantaisie change et voilà parti pour la Grèce où il a fait retarder de deux ans les jeux Olympiques, afin d'y prendre part. Il y chante, conduit des chars, on lui décerne 1.800 couronnes; on abat les statues des anciens vainqueurs; à Corinthe, il proclame aux Jeux isthmiques la liberté de l'Achaïe, parodiant Flamininus, mais il fait étrangler un acteur concurrent. Puis il entreprend le percement le l'isthme de Corinthe, y renonce, fait tuer Corbillon, qu'il a mandé par une lettre affectueuse, dévalise Delphes de 500 statues, enlève à Thespies l'Éros de Praxitèle. Il rentre en ltalie célébrer ses triomphes aux Jeux sacrés; à Naples, il rentre sur un char attelé de chevaux blattes par une brèche faite à la muraille; à Rome, sur le char de triomphe d'Augusta, vètu de pourpre, d'une chlamyde semée d'étoiles d'or, la couronne olympique sur la tête; sur son passage, on poudre les rues de safran. Il peuple le palais de ses statues (67). L'affranchi Helius, auquel il avait remis le gouvernement de Roule en son absence et qui l'avait pressé de revenir, sentait venir l'orage. Les folies de Néron, ses exactions financières avaient lassé l'empire. Les peuples de langue grecque étaient satisfaits; mais les Juifs; s'étaient insurgés, avaient défait Cestius Callus, gouverneur de Syrie; d'Achaïe, l'empereur avait expédié en Palestine Vespasien, en Syrie Mucien. En Gaule, Julius Vindex, gouverneur de la Lugdunaise, profitant de l'exaspération causée par un nouveau recensement, suivi de dons imposés pour la reconstruction de Rome; il se disait las d'obéir à un «mauvais chanteur». Il s'entendit avec Galba, gouverneur de la Bétique. et qui avait déjà refusé l'empire à la mort de Caligula, puis il prit les armes; Galba en fit autant, avec l'appui d'Othon, gouverneur de Lusitanie, et s'intitula modestement légat du sénat et du peuple romains. Néron, à cette nouvelle, révoqua les consuls et se déclara seul consul, comme jadis Pompée. Verginius Rufus, gouverneur de Basse-Germanie, marcha contre Vindex; ils se rencontrèrent devant Besançon et allaient s'entendre lorsque les soldats engagèrent le combat; Vindex périt. Les légions voulurent proclamer Auguste leur chef, Verginius Rufus, lequel refusa. Néron était le dernier représentant de la famille adoptive d'Auguste; tous les chefs d'armée pouvaient aspirer à l'empire. Il ne fit rien pour conjurer le péril, passant par des alternatives de fureur où il projetait un massacre universel, et d'abattement. Le gouverneur d'Afrique, Gandius Macer, avait arrêté les envois de blé et déterminé à Rome une famine qui souleva le peuple contre l'empereur. Le préfet du prétoire, Nymphidius Sabinus, prit le parti de Galba, promit en son nom aux prétoriens une formidable gratification de 30.000 sesterces par tête. Abandonné de tous, Néron s'enfuit la nuit, sous de misérables vêtements, tandis que le sénat le déclarait ennemi public et décernait l'empire à Galba. Il se réfugia à 4 milles de Rome, chez son affranchi Phaon, y fut découvert et mourut lâchement, hésitant jusqu'à la fin à enfoncer le fer; il y fallut l'aide de son secrétaire, Épaphrodite. On prétend que son dernier mot fut qualis artifex pereo («Quel artiste périt avec moi!»). Ses restes furent brûlés et placés dans le sépulcre des Domitii, par les soins de sa vieille nourrice et de l'affranchie Acté, son premier amour.. — Néron était assez bel homme, mais de bonne heure obèse; myope, il portait un lorgnon fait d'une émeraude taillée. Ses traits sont connus par une quantité de bustes et de statues. — Dans les pays grecs et à Rome même, le sanglant cabotin conserva une sorte de popularité posthume; à l'anniversaire de sa mort, on fleurissait sa tombe; on apportait son image sur la tribune: on annonçait son retour; de faux Néron parurent l'année suivante, puis vingt ans après. L'Apocalypse en a fait son Antéchrist.»
A.-M. B., article «Néron», La Grande Encyclopédie, tome 24, Paris, 1885-1902



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Jugements sur Néron

MONTESQUIEU
«[...] Caligula, Néron, Commode, Caracalla, étaient regrettés du peuple à cause de leur folie même : car ils aimaient avec fureur ce que le peuple aimait, et contribuaient de tout leur pouvoir, et même de leur personne, à ses plaisirs ; ils prodiguaient pour lui toutes les richesses de l’Empire, et, quand elles étaient épuisées, le peuple voyant sans peine dépouiller toutes les grandes familles, il jouissait des fruits de la tyrannie, et il en jouissait purement, car il trouvait sa sûreté dans sa bassesse. De tels princes haïssaient naturellement les gens de bien : ils savaient qu’ils n’en étaient pas approuvés. Indignés de la contradiction ou du silence d’un citoyen austère, enivrés des applaudissements de la populace, ils parvenaient à s’imaginer que leur gouvernement faisait la félicité publique, et qu’il n’y avait que des gens malintentionnés qui pussent le censurer.» (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence)

VICTOR DURUY
«C'était une race dure et violente; "têtes de fer, disait Crassus, et coeurs de plomb." Le père de Néron avait tué un affranchi qui refusait de boire jusqu'à l'ivresse; sur la voie Appienne, il avait, à dessein, écrasé un enfant sous le galop de son cheval, et, en plein Forum, crevé un oeil à un chevalier romain assez hardi pour oser le contredire.
Le fils fut digne du père. C'était un esprit hypocrite, lâche et méchant, bien préparé par conséquent pour les crimes ordinaires aux despostes romains, et auquel la nature avait donné quelque désir de poésie et d'art, ce qui le rendra, par impuissance d'atteindre à l'art même, envieux des artistes et des poètes, puis cruel pour ceux qui sauront saisir le rameau d'or. Nous allons voir devant un tyran vaniteux et grotesque, salement débauché, et qui ne léguera à l'histoire ni une pensée ni un acte méritant de voiler un coin de ses infamies.
[...]
Néron fut ce que le firent les moeurs de Rome, la nature violente qu'il tenait de sa race et surtout le pouvoir absolu. La pourpre que ses trois prédécesseurs avaient teinte dans le sang de tant de victimes était, comme la tunique d'Hercule, imprégnée d'un venin mortel: elle inoculait la cruauté qui faisait d'abor un bourreau, ensuite une victime, de l'imprudent assez téméraire pour oser la revêtir, sans être capable de se défendre contre le dangereux poison.» (Histoire des Romains)

Articles


Vie de Néron: les années de mesure

Suétone
On parle communément du quinquennium Néronis pour évoquer les cinq premières années du règne de Néron, de 54 à 59. Le contraste avec la débauche meurtrière et les infamies qui ont souillé à jamais la mémoire du politique le plus détestÃ



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