Motivation
Première version 2002
On ne trouve pas ce mot dans le Littré. Il s'est imposé au cours du vingtième siècle, au point d'être aujourd'hui utilisé plus fréquemment que motif ou mobile pour désigner le même phénomène psychologique: ce qui pousse à faire une chose. Le Trésor de la langue française donne une vue d'ensemble des divers usages actuels du mot, qui doit pour une bonne part sa popularité à la psychologie behavioriste, comme en témoigne cette définition trouvée dans un glossaire de la psychologie sur Internet. «On peut aussi définir une motivation en terme d'état d'activation de l'organisme qui résulte d'un besoin à satisfaire. Il existe un grand nombre de motivations. Certaines ont pour but de satisfaire un besoin biologique (ex: faim), d'autres satisfont des besoins sociaux (ex: compétition) alors que d'autres sont dites cognitives (ex: curiosité).»
Pour motiver artificiellement un rat, on l'affame et on associe le son d'une cloche à la nourriture qu'on lui tend ensuite. Derrière cet usage du mot, qui ne fait aucune place aux mobiles spirituels innés et qui réduit les instincs à un rôle mineur, il y a l'idée d'un psychisme -le mot âme serait ici déplacé- entièrement construit par cet ensemble de conditionnements plus ou moins complexes appelé expérience.
Les théories de l'apprentissage, si importantes en éducation, ont subi l'influence de l'école behavioriste, ce qui explique pourquoi le mot motivation occupe une place centrale dans la pédagogie contemporaine. Le dictionnaire Larousse de l'éducation donne la définition suivante: «ensemble de désir ou de volonté qui pousse une personne à accomplir une tâche ou à viser un objectif qui correspond à un besoin. Le deuxième sens est : ensemble des forces qui pousse l'individu à agir et le troisième: forces internes qui entraînent l'individu à agir.» Le même dictionnaire n'a retenu ni le mot motif, ni le mot mobile.
La motivation est devenue une industrie prospère, motivée et motivante, si l'on en juge par le nombre de résultats d'une recherche Internet sur motivational speaker: 67, 000. Certains emploient le mot français motivologue pour désigner la même profession, dont la mission consiste, par exemple, à inciter des clients à la loyauté envers leur fournisseur. Il est difficile de dissocier la popularité actuelle du mot motivation de la méthode de persuasion des motivational speakers, méthode que les preachers, entre autres, ont adoptée.
Les motivational speakers doivent savoir manier l'humour, de façon à pouvoir mettre leurs auditeurs dans un état de plaisir auquel ils associeront (renforcement positif) l'incitation à ceci ou à cela qu'ils ont pour mission de communiquer. Leur importance est telle dans le monde des affaires qu'on est en droit de penser qu'on assiste en ce moment, en contexte libéral, à une renaissance du stakhanovisme. Stakhanov fut le héros d'une campagne de productivité orchestrée par Staline avec les méthodes de son compatriotre Pavlov, à qui les behavioristes américains doivent leur propre méthode.