Essentiel
" (...) notre intelligence collective du mal ne dépasse guère le stade des contes de fées. Trop de James Bond et d’Agatha Christie ont dépeint le mal comme étant le fait de méchants, de malins, de farceurs diaboliques qui se délectent à nuire à autrui. Le mal, à ce compte, se réduit à la malice ou à l’obsession maniaque. Ce qui explique que, hors les cas de méchanceté pure, notre société infiniment compatissante préfère souvent voir dans un acte moralement répréhensible un aveu de faiblesse, l’égarement d’une victime que la société elle-même a poussée au crime. Un peu comme cette immigrée tchèque que le cinéaste Lars von Triers a dépeinte, dans son dernier film
Dancer in the Dark, sous les traits d’une innocente acculée au crime: par compassion, elle assassine un policier retors qui vient de lui dérober les économies qu’elle a accumulées pour sauver son fils de la cécité.
Il est bien affligeant de voir qu’après deux mille ans de christianisme, on ne comprenne toujours pas que le mal se commet généralement par omission, par ignorance ou inconscience, ou plus insidieusement, avec le sentiment aveugle d’accomplir son devoir. 'Le mal, quand on y est, n’est pas senti comme mal, mais comme nécessité ou même comme devoir', écrivait Simone Weil."
Source: Marc Chevrier,
L’enfant-monstre,
L’Agora, vol. 8, no 2, mars-avril 2001