Livre
Texte de Debidour sur la fin de l'écriture.
- «Après tout, qui sait si la civilisation de la chose écrite n'apparaîtra pas,dans un siècle, comme quelque chose de très passager dans l'histoire humaine, un entracte de cinq cents ans à peine, entre deux ères où une éclatante primauté aura été donnée – bien que par des moyens très différents - à ce qui s'adresse à l'oreille qui écoute et à l'oeil qui voit (et non qui lit)»?
L'auteur de cette réflexion, Victor-Henri Debidour, fut un brillant helléniste. On a notamment publié ses traductions d'Aristophane et plus tard ses traductions de Sophocle. Il fut longtemps professeur à Lyon, où il fonda l'excellente revue Le Bulletin des lettres, qui existe toujours. On lui doit aussi l'un des plus beaux livres sur Simone Weil: Simone Weil ou la transparence, publié chez Plon en 1963. Gustave Thibon, dont il fut l'ami, le cite ici sans présier la source, mais on peut être assuré de l'authentiticé du passage. Le commentaire de Thibon, écrit en 1971, est d'autant plus intéressant que l'avènement d'Internet, les médias sociaux en particulier, en confirme la pertinence; le livre toutefois ne semble pas trop souffrir de cette concurrence.
Commentaire de Thibon:
«Des moyens très différents en effet: avant l'invention et la diffusion de l'imprimerie, l'esprit de l'homme se formait à l'aide de moyens audiovisuels, mais des moyens directs et concrets:paroles d'un homme adressées à des hommes (je pense aux conversations d'autrefois, aux traditions orales, au rôle central de la prédication dans l'instruction religieuse...), images non manipulées, nées du contact immédiat avec l'objet. Tandis qu'aujourd'hui, les paroles et les images nous parviennent par le truchement d'appareils qui s'adressent à tout le monde et à personne et qui, par là, se situent à un niveau d'abstraction infiniment plus élevé et plus stérilisant que la chose écrite...Le paysan du Moyen Âge ne «pensait» peut-être pas beaucoup, mais i l trouvait, dans de vrais échanges, les éléments les plus nécessaires et les mieux adaptés à sa vie propre ; ensuite, le lecteur a reçu du livre des éléments de réflexion ; désormais, nous glissons vers une sorte d'inculture informée d'où seront bannies à la fois la vie et la réflexion. Ainsi le robot succédera à l'intellectuel comme celui-ci a succédé à l'intuitif...De l'instinct à la pensée, de la pensée au réflexe cérébral. x
Gustave Thibon, Parodies et mirages ou La décadence d'un monde chrétien, Éditions du Rocher, 2011