Joliette
Barthélemy Joliette et Mgr Bourget, par Suzor-Côté, Musée d'art de Joliette.
Ville du Québec située dans la région administrative de Lanaudière.
Description de Joliette au XIXe siècle
Lorsque, dans la belle saison d’été, le voyageur, entraîné par le vapeur sur le chemin de fer de Lanoraie à Joliette, entendant le sifflement aigu de la locomotive, signe précurseur de l’arrivée au terme de la course, promène son regard sur la ville et ses alentours, il voit se dérouler devant lui un panorama riant et gracieux.
À l’avant-scène, et comme une brillante émeraude sur un champ d’or et d’azur, se présente le joli bocage d’érables couronnant si pittoresquement les rives de l’Assomption.
À ses côtés, vers le Sud-Ouest, s’étendent les campagnes cultivées dont les replis onduleux, suivant parallèlement le cours de la rivière, vont se perdre du côté de Saint-Paul.
En face du débarcadère, apparaît la limpide rivière de l’Assomption. Descendant les rapides, ses eaux courent avec vitesse, battant les rives sonores qu’elles inondent de blanchissante écume.
Sur la rive occidentale, s’étend la grande plaine aux frontières de laquelle s’élève, pour la dominer, l’industrieuse cité de Joliette.
Bâtie en parallélogramme, Joliette ressemble beaucoup aux petites cités américaines qui se présentent à l’œil avec un air de jeunesse, d’aisance et de coquette élégance. Avec ses rues larges, parallèles et ombragées en plusieurs endroits, ses places spacieuses, ses maisons resplendissantes de propreté, ses moulins, ses manufactures, ses nombreux magasins de tout genre, ses édifices publics, tels qu’église, chapelle, collège, couvent, école, hôpital, palais de justice, institut littéraire, cette petite ville canadienne se dessine aux regards de l’observateur sous l’aspect d’un tableau plein d’animation et de vie.
Au sortir des chars, le premier objet qui attire l’attention de l’étranger, est le manoir du seigneur et fondateur de la ville : l’Honorable Barthélémi Joliette.
À une demi-lieue de distance, le touriste avait déjà vu se dessiner à l’horizon le dôme brillant qui couronne cet édifice. À mesure que les espaces s’effacent, il a vu le manoir s’élever par degrés et apparaître plus distinctement.
Comme sur l’Océan, un vaisseau lointain dont on n’aperçoit d’abord que l’extrémité de la mâture semble perdu, naufragé dans la plaine liquide, mais qui, en se rapprochant, grandit à vue d’œil et se dresse bientôt fièrement sur les flots qui le balancent majestueusement, de même, le manoir dont on ne voit d’abord que le faite, paraît surgir du sol, en grandissant peu à peu; les ailes se découvrent et un quart d’heure après, à travers les magnifiques ombrages qui l’encadrent, il rayonne dans tout son éclat.
Construit en 1828, sur un plan moderne dont on peut retrouver le modèle à Philadelphie dans la vue du château du prince Joseph Bonaparte, le manoir de Joliette est assis sur le bord des bruyantes cascades de la rivière, au milieu des ondulations du côteau où prend naissance la rue de Lanaudière.
C’est un édifice à deux étages, de cent pieds de longueur sur une largeur de quarante. Deux ailes de vingt-cinq pieds de largeur sur une cinquantaine de profondeur, laissent saillir de cinq à six pieds le corps principal qui, orné d’un fronton semblable à celui des ailes, revêt par toutes ses proportions un air de force et d’élégance peu communes.
À l’instar de celles des châteaux féodaux du moyen-âge, ses ouvertures sont larges; les portes à double battant, ainsi que les larges fenêtres placées au-dessus d’icelles, se terminent par une ellipse à leur partie supérieure. Avec ses toits en fer-blanc, sa solide structure en belle pierre bleue, cet édifice grandiose et vraiment princier peut durer plusieurs centaines d’années.
Après un demi-siècle d’existence, il est encore aussi brillant qu’aux beaux jours de son inauguration : alors que dans son enceinte pompeusement décorée, une société d’élite se pressait autour de son hospitalier et très-noble seigneur.
Malgré le deuil qui l’environne aujourd’hui, le manoir de Joliette a le privilège d’attirer à ses alentours les pas du promeneur pensif et solitaire.
Lorsqu’au déclin du jour, dans les délicieuses journées de l’été, celui-ci se dirige vers cet endroit écarté et silencieux, il ne peut s’empêcher de contempler longuement le tableau qui parle si éloquemment à son imagination et à son cœur.
Outre l’aspect mélancolique des ruines colossales d’un ancien château jadis rival de celui de M. Joliette, mais dont les décombres épars ça et là sur le sol rappellent sans cesse à l’esprit les vers du poète : Les plus belles choses ont le pire destin;
Et rose, il a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin. Outre ce tableau, dis-je, ce palais désert au sein duquel règne le silence de la tombe, ces jardins qui n’ont conservé que de légers vestiges de leur splendeur primitive, ces murs d’enceinte lézardés et délabrés, ces sombres peupliers qui murmurent sous la brise du soir, tout en ce lieu porte l’empreinte de la tristesse et semble porter le deuil des anciens bienfaiteurs de la ville.
Au bruit continuel des chutes, aux notes plaintives des oiseaux nocturnes, joignez le spectacle du soleil couchant, qui, à travers les branches des arbres fait miroiter ses rayons sur les toits et les vitraux de l’édifice abandonné en y projetant les lueurs de l’incendie, et vous aurez une idée des indescriptibles sentiments qu’un pareil spectacle doit inspirer aux âmes, tant soit peu impressionnables et sensibles.
source: Joseph Bonin, "XXXVIII. Vue de Joliette", dans Biographies de l'Honorable Barthélemi Joliette et de M. le grand vicaire A. Manseau, Montréal, Eusèbe Senécal, imprimeur-éditeur, 1874