Enjeux
Le point de vue de M. Michel Patry, professeur à
HEC Montréal.
«Une particularité de l'eau est qu'elle doit être considérée à la fois comme un bien ou une ressource économique et comme un bien social. La gestion efficace d'une telle ressource est donc compliquée par la poursuite de plusieurs objectifs simultanément.
Certains s'objecteront tout de suite à l'affirmation que l'eau est une ressource économique. Curieusement, ce sont souvent les mêmes personnes qui prônent une gestion écologique de la ressource. Les deux perspectives, loin de s'opposer, sont pourtant conciliables. Dire de l'eau qu'elle est une ressource économique signifie précisément que cette ressource est rare. C'est cette rareté qui lui donne une valeur et qui justifie que nous cherchions à éviter tout gaspillage et à préserver la ressource. De plus, nous savons que cette valeur ira en s'accroissant au cours des prochaines années, puisque la demande mondiale d'eau potable croît très rapidement. Par exemple, l'ONU prévoit que seule une poignée de pays à l'échelle de la planète ne souffriront pas de stress hydrique en 2025. Le Canada est parmi ce petit groupe de pays riche en«or bleu». L'eau est donc une ressource rare qui peut et doit être vue dans son«économie».
Le caractère économique de la ressource renvoie également à son coût: l'eau potable doit«être produite», traitée, transformée. Cette transformation, ce traitement ont un coût qui est très méconnu parce que nos gouvernements ont opté pour un financement public des infrastructures et des coûts d'opération. Ce coût est non négligeable. Pour une grande ville, comme Montréal, il peut facilement dépasser les cent millions de dollars annuellement. L'eau a donc un coût, même si son prix apparent pour le citoyen est souvent nul (notons que ce n'est pas le cas de tous les utilisateurs: les utilisateurs industriels, en majorité, paient un prix pour chaque litre utilisé).
La perspective écologique met en évidence l'interdépendance des systèmes dans un vaste écosystème et la nécessité de préserver la ressource pour les générations futures. Or l'expérience du vingtième siècle montre assez clairement que le meilleur moyen de détruire une ressource ou un écosystème, c'est d'en ignorer la logique économique. L'air pur est un bien rare, comme les stocks de morue. L'absence de réglementation économique de ces ressources est la principale cause de leur détérioration. Il n'en va pas autrement de l'eau!
Pourtant, l'eau n'est pas une«ressource comme les autres». Les utilisateurs d'eau ne détruisent jamais complètement la ressource et la retournent à l'environnement. Ils génèrent ainsi ce que les économistes appellent des externalités. La présence de telles externalités signifie qu'un marché, abandonné à lui-même, ne parviendrait pas à une gestion socialement et économiquement désirable. D'où son caractère social. De quoi résulte ce que nous appelons l'impossible démission de l'état dans ce dossier. Il ne s'agit pas de débattre si l'état doit jouer un rôle ou si celui-ci doit s'éclipser devant les entreprises privées. Il s'agit, au contraire, de voir quel rôle l'état doit jouer et quelles responsabilités, s'il en est, il doit confier à d'autres agents économiques et sociaux.
Ces considérations ont mené l'équipe de chercheurs du
CIRANO à identifier quatre critères pour évaluer la performance des institutions dans la gestion de l'eau. Ces quatre critères, ou objectifs que la gestion de l'eau devrait poursuivre, sont: l'efficacité, l'équité, l'imputabilité et le développement économique. Ces quatre critères sont fondamentaux mais ne sont pas toujours compatibles entre eux. Une des fonctions essentielles d'un gouvernement consiste à trouver le compromis socialement désirable entre ces valeurs. Il s'agit là d'une première tâche qui est dévolue à nos gouvernements et qu'aucune autre institution ou corps social ne peut assumer dans un régime démocratique.»
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