Goya y Lucientes Francisco

1746-1828
Notice tirée d'un dictionnaire français du 19e siècle, qui montre la perception qu'on en avait à l'époque

Le plus original sinon le plus savant des peintres de l’Espagne moderne, naquit le 31 mars 1746, à Fuentes de Todos, dans le royaume d’Aragon. On a peu de détails sur les événements de sa vie : élève de Francisco Bayeu et de José Lusan, il fit, jeune encore, le voyage de Rome, et remporta en 1771 le second prix de peinture proposé par l’Académie de Parme. À son retour en Espagne, il fut chargé de composer des modèles pour la manufacture royale de tapisseries, et ces dessins furent les premières œuvres qui attirèrent sur lui l’attention publique. Le talent dont il y fit preuve, la rapidité incroyable avec laquelle il les exécuta, lui méritèrent les éloges de Raphael Mengs, sous la direction de qui étaient placés ces travaux. La grâce et la naturel qu’il apportait dans la peinture des scènes populaires, genre nouveau, où il se distingua constamment, excitèrent l’admiration des connaisseurs. C’est à cette époque qu’il peignit le tableau du maître-autel et le Christ placé à l’entrée du chœur de l’église San Francisco el Grande de Madrid. Cette belle toile valut à Goya, en 1780, sa nomination de membre de l’Académie de San-Fernando et de peintre ordinaire du roi. Après la mort de Charles III, Goya fut également protégé par Charles IV; et les grands seigneurs de cette cour corrompue, le comte de Benavente, et surtout la duchesse d’Albe, le traitèrent avec honneur. Il devint même l’ami et le pensionnaire de la duchesse, et bientôt il la servit dans ses rancunes et dans ses jalousies.

Peintre et caricaturiste, Goya a beaucoup produit. Il a peint à fresque la chapelel de San-Antonio de la Florida, situé à une demie-lieue de Madrid, Sainte Rufine et saint Marine, dans la cathédrale de Séville, Saint Louis de Borgia et Un Possédé, dans celle de Valence. Il y a de la main de Goya, dans les musées d’Espagne, des œuvres importantes. À Madrid, au musée del Rey, on voit les portraits équestres de Charles IV et de la reine Marie-Luisa, et le tableau intitulé de Dos de Mayo, curieuse scène de l’invasion française. Il faut citer aussi la Loge au Cirque des taureaux (musée national); une Maja, un Auto-da-fé, une Procession, la Course de taureaux et la Maison de fous (Académie nationale). Indépendamment de son portrait, peint par lui-même, le Musée du Louvre a possédé sept tableaux de Goya, que les héritiers de Louis-Philippe ont repris à la France. Il y a du sentiment et de la verve dans son ébauche, Dernière prière d’un condamné; Les Forgerons sont pleins de mouvement, mais l’exécution en est à peine supportable. En revanche, il y a une coquetterie charmante dans Les Manolas au balcon. Goya peignait comme dans le délire de la fièvre. Il affecte souvent pour la forme le dédain le plus parfait; chez lui, c’est à la fois ignorance et parti pris. Et cependant ce maître bizarre, qui semble se complaire dans la laideur, avait un vif sentiment de la grâce féminine et des piquantes attitudes des belles filles de l’Espagne.

Quoi qu’il en soit, Goya, si égaré, si fou, si incomplet dans sa peinture à l’huile, a laissé des caricatures d’un très-haut prix. Il nous reste de lui la Tauromaquia, suite de trente-trois planches, vingt dessins sous le titre de Scènes d’invasion et enfin son chef-d’œuvre, les Capriccios, qui se composent de quatre-vingts gravures y compris le portrait de l’auteur. Ses caricatures sont exécutées à l’aquatinta et repiquées à l’eau-forte. En combinant ces deux procédés, l’artiste est arrivé à des résultats merveilleux; la finesse et la transparence du clair-obscur y sont rendues avec une perfection qui fait presque songer à Rembrandt. De toute l’œuvre de Goya, la Bibliothèque impériale ne possède que les Capriccios. Son exemplaire est précédé d’un manuscrit de quelques pages, qui donne la clef de plusieurs des énigmes que renferme ce précieux volume. Goya avait épousé les intérêts et les petites passions de sa protectrice, la duchesse d’Albe. La duchesse et la reine, fort occupées toutes deux de galanterie, s’entendaient très-bien, mais des rivalités, des jalousies, ne tardèrent pas à éclater; Goya poursuivit alors de son crayon moqueur les amants de Maria-Luisa et sa Majesté elle-même. Plusieurs de ses caricatures ont un sens politique qu’il nous est déjà difficile de saisir, mais que la malignité des contemporains commentait aisément. Les autres sont des peintures de mœurs, et c’est là surtout que la fantaisie de Goya s’exerce librement. Il se plaît à représenter les manolas de Madrid dans toute leur grâce provoquante; il aime aussi les excursions dans le monde fantastique et c’est là qu’il triomphe. Son crayon facile a créé tout un peuple de démons, dont l’étrangeté n’a pas d’égale, et qui sont souvent d’une grande hardiesse de dessin. Goya a poussé très-loin l’expression. Ses compositions sont terribles ou charmantes; il en est peu de médiocres. Les dur génie de l’Espagne respire tout entier dans ces caricatures irritées, dans ces débauches de la pensée et de la ligne, et même dans ces poétiques croquis, où le sourire garde toujours quelque chose de sérieux et de réfléchi. Goya mourut à Bordeaux, dans la nuit du 15 au 16 avril 1828, très-vieux, très-triste et très-oublié.

PAUL MANTZ, article « Goya », dans : William Duckett (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture : inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous. Tome dixième. Deuxième édition entièrement refondue, corrigée et augmentée de plusieurs milliers d'articles tout d'actualité. Paris, Firmin Didot, frères, fils, 1859, p. 414-415.

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