Folie

La folie fascine, trouble, fait peur. Le mot lui-même ne s'emploie plus aujourd'hui qu'avec des pincettes. En effet, on lui préférera, pour désigner ceux qu'elle habite, l'expression "maladie mentale" ou bien l'un des termes spécialisés désignant un trouble particulier, qui désarmocent quelque peu la charge effective de cette réalité. Ce choix, par ailleurs, n'est pas innocent. Avec la folie, nous en restons à une expérience humaine particulière, si douloureuse puisse-t-elle être; parler de "maladie mentale", c'est se poser d'emblée sur le terrain de la médecine et de la psychiatrie. Le psychiatre et ex-ministre Camille Laurin pose avec éloquence la complexité de la notion de folie :

"... la folie est un vaste concept, qui englobe le concept plus restreint de maladie mentale, mais (...) il y a intérêt à éclairer constamment l'un par l'autre. Qui dit folie dit passion, excès, fantaisie, rêve, dérogation ou atteinte aux règles ou normes ou consensus établis, déraison, primauté du privé sur l'appartenance au groupe, l'intrusion de la force vitale et de la dimension du sacré dans l'organisation codifiée de la vie collective.

En ce sens, nous avons tous nos moments de folie, plus ou moins marqués, au cours plus ou moins variables, aux effets plus ou moins heureux. Nous avons tous aussi nos petites manies cachées, notre côté du mur à l'ombre, nos fantasmes et nos rêves, qui témoignent de nos frustrations, révoltes et de notre désir de changer le monde et la vie. (...)

On qualifie aussi de fous ceux qui vivent à la marge ou en marge de leurs groupes d'appartenance, qui les dérangent, les contestent ou prétendent les transformer radicalement. (...)

La folie a aussi été considérée comme associée aux forces surnaturelles, bénéfiques ou maléfiques, qui présideraient aux destinées de l'être humain..." (Camille Laurin, préface de l'ouvrage d'Hubert Wallot, La Danse autour du fou. Survol de l'histoire organisationnelle de la prise en charge de la folie au Québec depuis les origines jusqu'à nos jours, Beauport, Publications MNH, 1998)


Il est vrai qu'on entend beaucoup parler de "folie" aujourd'hui. Dans notre société hyperfestive, il est de bon ton d'en avoir un zeste... Mais pas trop ! Cette banalisation de la folie dans la culture contemporaine ne contribuerait-elle pas à accroître la marginalisation des malades ? C'est ce que croit l'anthropologue Bernard Archand :

"Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il n’y a plus de folie possible dans un contexte où tout le monde est présumé fou! Dans un monde de fous, il n’y a plus de folie, puisque tous sont fous. Le monde moderne nous encourage fortement à nous former nous-mêmes, à nous réaliser pleinement. On ne compte plus les ouvrages qui promettent de nous aider à réduire nos craintes et à surmonter toutes les difficultés de manière à devenir enfin qui nous sommes vraiment. La société moderne insiste sur
la protection des droits de la personne. Voilà une recette idéale pour faire de chacun de nous un marginal. Et, du coup, une façon idéale d’éliminer la marginalité. Nous avons acquis, parmi tous nos droits individuels, celui d’être un peu différent, unique, personnel. Nous sommes enfin libres de la normalité contraignante. Au point où démontrer un peu de folie est désormais accepté comme un privilège universel.

Le drame est que tout ceci ne correspond en rien à la maladie mentale. C’est tout au plus une ambiance culturelle qui banalise la santé et qui dilue la notion même de marginalité. Si l’on plaçait en institution psychiatrique seulement 10 % de tous ceux et celles qui se proclament animés d’une belle folie, la folie cesserait immédiatement d’être à la mode!" (B. Arcand, "Se dire fou dans une société qui se croit folle")

Essentiel

«Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme (l’homme), elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence (…) l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie (…) comme une limite de sa liberté.» (Jacques Lacan. Passage cité par Michel Horassius, Culture, loi et santé mentale
)

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