Boèce
Ce chrétien, helléniste d’éducation, obtint la faveur de Théodoric qui le nomma consul, en 510 et 522; il essaya de créer dans la cour du roi barbare, un centre de culture intellectuelle. Il a laissé des traductions de l’Isagoge de Porphyre, de certaines œuvres d’Aristote, probablement de l’Organon qu’on perdit et qu’on retrouva seulement au XIIe siècle, sauf les Catégories et le Périherménias utilisés dès le début par les scolastiques; il publia des Commentaires sur ces ouvrages, des traités personnels sur le syllogisme et autres sujets logiques et des écrits théologiques.
Ayant encouru la disgrâce de Théodoric, il fut jeté en prison où il écrivit son traité célèbre: De consolatione philosophiœ dont le titre indique bien le sujet: «Boèce dans son infortune cherche le bonheur; la philosophie le console en lui apprenant où et comment il le trouvera». Boèce fut exécuté entre 524 et 526.
Ces œuvres mirent en circulation bon nombre d'idées augustiniennes et surtout aristotéliciennes: le Moyen Âge jusqu'au XIIIe siècle, ne connut Aristote que par lui; il livra aux scolastiques plusieurs définitions célèbres, entr'autres, celle de la béatitude: «Status bonorum omnium congregatione perfectus»; celle de l’éternité: «Interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio»; celle de la personne: «Rationalis naturæ individua substantia». Par là, cette œuvre philosophique, bien que fragmentaire et peu originale, eut une grande influence sur la formation de la scolastique.
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Consolation de la philosophie, texte complet au format PDFEdward Gibbon sur Boèce
«Tandis que Boèce, chargé de fers, attendait de moment en moment l'arrêt ou le coup de la mort, il écrivit la Consolation de la philosophie, ouvrage précieux, qui ne serait point indigne des loisirs de Platon ou de Cicéron, et auquel la barbarie des temps et la position de l'auteur donnent une valeur incomparable. La céleste conductrice, qu'il avait si longtemps invoquée dans Rome et dans Athènes, vint éclairer sa prison, ranimer son courage, et répandre du baume sur ses blessures. Elle lui apprit, d'après la considération de sa longue prospérité et de ses maux actuels, à fonder de nouvelles espérances sur l'inconstance de la fortune. La raison de Boèce lui avait fait connaître combien sont précaires les faveurs de la fortune; l'expérience l'avait instruit de leur valeur réelle; il en avait joui sans crime, il pouvait y renoncer sans un soupir, et dédaigner avec tranquillité la fureur impuissante de ses ennemis qui lui laissaient le bonheur, puisqu'ils lui laissaient la vertu. De la terre il s'élève dans les cieux pour y chercher le bien suprême. Il fouille le labyrinthe métaphysique du hasard et de la destinée, de la prescience de Dieu et de la liberté de l'homme, du temps et de l'éternité, et il essaie noblement de concilier les attributs parfaits de la Divinité avec les désordres apparents du monde moral et du monde physique: des motifs de consolation si communs, si vagues ou si abstraits, ne peuvent triompher des sensations de la nature; mais le travail de la pensée distrait du sentiment de l'infortune, et le sage qui, dans le même écrit, a pu combiner avec art les diverses ressources de la philosophie, de la poésie et de l'éloquence, possédait déjà sans doute cette intrépidité calme qu'il affectait de chercher. Il fut enfin tiré de l'incertitude, le plus grand des maux, par l'arrivée des ministres de mort, qui exécutèrent et pressèrent peut-être l'ordre cruel de Théodoric. On attacha autour de sa tête une grosse corde, qu'on serra au point que ses yeux sortirent de leurs orbites; et ce fut sans par une sorte de compassion que, pou abréger son supplice, on le fit expirer sous les coups de massue. Mais son génie lui survécut et a jeté un rayon de lumière sur les siècles les plus obscurs du monde latin; le plus illustre des rois d'Angleterre à traduit les écrits de ce philosophe, et Othon III, fit transférer dans un tombeau plus honorable les ossements d'un saint catholique à qui des persécuteurs ariens avaient procuré les honneurs du martyre et la réputation de faire des miracles.»
EDWARD GIBBON, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, tome 7, Paris, éd. Ledentu, 1828, p. 188-197. Voir texte complet.