Humboldt Alexander von
Les années de formation
Wilhelm et Alexandre von Humboldt sont nés du remariage du chambellan prussien Alexandre Georg von Humboldt avec une veuve, la Baronne von Holwede, alors qu'il était encore à Postdam au service de Frédéric II; de son premier mariage, la Baronne avait eu un fils dont l'éducation avait été confiée à Johann Heinrich Campe. Ce représentant tardif du philanthropisme allemand devint également le précepteur des deux frères, tout d'abord à Postdam puis, après que leur père eut quitté son poste, à Tegel près de Berlin.
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L'éducation des deux frères a dû avoir été très libérale. C'est du moins ce que laisse à penser le jugement qu'auraient porté sur eux les précepteurs qui succédèrent à Campe. D'après eux, il y avait peut-être encore quelque chose à tirer de Wilhelm, alors âgé de 12 ans, mais Alexandre était un cas désespéré. Il n'est pas rare que les pédagogues se trompent, mais une erreur de jugement aussi grossière que celle qu'ils commirent à propos d'Alexandre, futur Grand-Maître de la Société des Naturalistes, donne quand même à réfléchir.
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La mort précoce de leur père en 1779 - on le décrit comme «un homme sensé et de goût», un «philanthrope affable et généreux» - ébranla profondément les deux garçons, surtout Wilhelm, durement éprouvé par cette perte. La formation intellectuelle des deux frères est désormais confiée à Christian Kunth; précepteur des frères Humboldt de 1777 à 1788, il gardera plus tard des liens d'amitié avec la famille lorsqu'il sera membre du gouvernement à Berlin (il repose, selon son voeu, dans le parc du château de Tegel où Wilhelm von Humboldt le fit enterrer en 1829). Il sut parfaitement organiser l'éducation de ses élèves et les inciter à apprendre constamment par eux-mêmes. D'éminentes personnalités de la vie intellectuelle berlinoise furent associées à cette entreprise éducative. Parmi le cercle d'intellectuels invités à donner des conférences à Tegel figurait par exemple un écrivain philosophe très connu à l'époque, Johann Jakob Engel, professeur au lycée de Joachimsthal («Der Philisoph für die Welt», 2 Vol., Leipzig 1775/1777). «Engel m'a donné ma première vraie éducation. C'est un esprit fin et lucide, peut-être pas très profond mais rapide et concret comme je n'en ai jamais plus rencontré depuis... » écrit Wilhelm de Berlin le 12 novembre 1790 à sa future femme Caroline (Br., p. 143).
Les deux frères participent très tôt à la vie culturelle de la proche métropole prussienne et fréquentent les salons berlinois où régnait l'esprit de la philosophie des lumières. C'est dans la demeure d'un médecin juif, le Dr. Herz, que se retrouve la «Ligue de vertu» au centre duquel figure sa femme Henriette que, dans plusieurs lettres, Wilhelm appelle tendrement «Jettchen». Elle a fortement inspiré l'image de la femme émancipée que l'on retrouve dans ses écrits ultérieurs. Par ailleurs, s'il n'éprouve aucun préjugé à l'égard de ses concitoyens juifs, c'est grâce à ses relations avec la famille Herz.
La tradition familiale veut que les deux frères entrent dans l'administration: Wilhelm étudiera le droit et Alexandre les finances. A l'automne 1787, Kunth accompagne les deux frères à l'Université du Brandebourg à Francfort sur l'Oder. Celle-ci est déjà en déclin et sera fermée après la création de l'université de Berlin. (Francfort sur l'Oder possède aujourd'hui une nouvelle université qui, en tant qu'institution européenne, entend reprendre les anciennes traditions.) Les frères Humboldt ne restent qu'un semestre à Francfort pour se rendre ensuite à l'université de Göttingen; à cette époque de réforme de l'enseignement universitaire dans l'esprit du nouvel humanisme, Göttingen disputait à l'Alma Mater de Halle la première place. Dès son arrivée en mai 1788, Alexandre appelle Göttingen «notre Athènes allemande! Mon frère s'y plaît beaucoup car il y trouve sa nourriture spirituelle...» (Br., p. 46). Dans ses fragments d'autobiographie (« Bruchstück einer Selbst-biographie ») (1816), Wilhelm explique qu'il voulait « pénétrer tout seul dans les moindres détails et les profondeurs de tout ce qui peut élargir notre compréhension du monde et des hommes » (GS, XV, p. 452 et suiv.).
(... ) Les deux frères nouent des contacts étroits avec le cercle des poètes de Weimar, Schiller surtout pour Wilhelm. Cette amitié trouve son expression littéraire dans une correspondance nourrie.
Après la mort de leur mère en 1796, Wilhelm et Alexandre von Humboldt disposent d'une fortune confortable qui leur permet d'entreprendre de longs voyages éducatifs ou de recherche, qui sont à l'origine de nombreux travaux savants. Pour Alexandre, il s'agit toujours de mieux connaître le monde et, pour Wilhelm, d'approfondir sa compréhension de l'homme et de son essence.
Références
* Humboldt, Wilhelm von. 1903 - 1936. Gesammelte Schriften. Ausgabe der Preubischen Akademie der Wissenschaften. Werke [Oeuvres choisies: édition de l'Académie des sciences de Prusse]. Berlin, 17 vol. (Désignées par l'abréviation GS; le chiffre romain indique le volume, le chiffre arabe, la page; l'orthographe a été modernisée).
* Freese, R. von (dir. publ.). 1953. Wilhem von Humboldt, Sein Leben und Wirken dargestellt in Briefen, Tagebüchern und Dokumenten seiner Zeit [Wilhelm von Humboldt : sa vie, et son oeuvre à travers lettres, journaux intimes et documents contemporains]. (Désigné par Br. dans le texte).
Source: "Wilhelm von Humboldt, 1767-1835", Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO: Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 685-696. ©UNESCO : Bureau international d'éducation, 2000. Ce document peut être reproduit librement, à condition d'en mentionner la source (mention apparaissant dans la publication originale)
Autobiographie d’Alexandre de Humboldt - 1798 (1)
"Après avoir joui d’une éducation très soignée dans la maison paternelle et de l’instruction des savan(t)s les plus distingués de Berlin, j’ai fini mes études aux universités de Gottingue et de Francfort. Destiné alors pour la partie des finances, j’ai resté pendant un an à l’Académie de commerce de Hambourg, établissement destiné tant à l’instruction des négocians qu’à celles des personnes qui doivent servir l’État pour la direction du commerce des banques et des manufactures. Le succès peu mérité qu’eut mon premier ouvrage sur les montagnes basaltiques du Rhin (2) fit désirer au chef de nos Mines, le baron de Hernitz, que je me vouasse à son département. Je fis alors un voyage de minéralogie et d’histoire naturelle en Hollande, en Angleterre et en France sous la direction de Georges Forster, célèbre naturaliste qui avait fait le tour du monde avec le capitaine Cook. C’est à lui que je dois pour la plupart le peu de connaissances que je possède. De retour de l’Angleterre, j’appris la pratique des mines à Freiberg et au Harz. Ayant fait quelques expériences utiles pour l’épargne du combustible à la cuite du sel et ayant publié un petit ouvrage (3) relatif à cet objet (traduit en français par Coquebert), le roi m’envoya en Pologne et dans le midi de l’Allemagne pour étudier les mines de sel gemme de Vieliecza, Hallein, Berchtusgaden. Les plans que je dressai servirent pour les nouveaux établissements des salins de Magdebourg. Quoique je n’eusse alors servi que pendant huit mois, Sa Majesté ayant réuni à la couronne les Marggraviats en Franconie, me nomma directeur des mines de ces provinces dans lesquelles l’exploitation avait été négligée depuis des siècles. Je restai voué à la pratique des mines pendant trois ans et le hasard favorisa tellement mes entreprises, que les mines d’alun, de cobalt, et même celles d’or de Golderonach, commencèrent à devenir bientôt profitables aux caisses du roi. Content de ces progrès, on m’envoya une seconde fois en Pologne, pour donner des renseignemen(t)s sur le parti que l’on pourrait tirer des montagnes de cette nouvelle province qu’on nomma dès lors la Prusse méridionale. Je dressai en même tem(p)s les plans pour l’amélioration des sources salées situées aux bords de la Baltique. C’est pendant ce séjour continuel dans les mines que je fis une suite d’expériences assez dangereuses sur les moyens de rendre moins nuisibles les moffettes souterraines et de sauver les personnes asphyxiées. Je parvins à construire une nouvelle lampe antiméphitique, qui ne s’éteint dans aucun gaz et la machine de respiration; instrument qui sert en même tem(p)s au mineur militaire, lorsque le contre-mineur empêche ses travaux par des camouflets. Cet appareil eut l’approbation du Conseil de guerre et sa simplicité l’a fait répandre très rapidement dans l’étranger (4). Je publiai aussi pendant cet intervalle un ouvrage de botanique (Flora Fribergensis) (5); la Physiologie chymique des Végétaux traduite en plusieurs langues (6); et un grand nombre de mémoires de physique et de chimie insérés en partie dans les journaux de France et d’Angleterre.
De retour de Pologne, je quittai pour longtem(p)s le séjour des montagnes, accompagnant M. de Hardenberg dans les négociations politiques dont le Roi le chargea immédiatement avant la paix de Bâle. Je le suivis aux armées postées sur les rives du Rhin, en Hollande et en Suisse. C’est de là que j’eus l’occasion de visiter la haute chaîne des Alpes, le Tirol, la Savoye, et tout le reste de la Lombardie. Lorsque l’année suivante les armées françaises s’avancèrent vers la Franconie, je fus envoyé au quartier général de Moreau pour traiter sur la neutralité de quelques princes de l’Empire dont le Roi embrassa la défense. Ayant un désir ardent de voir une autre partie du monde et de la voir sous des rapports de physique générale, d’étudier non seulement les espèces et leurs charactères (études auxquelles on s’est voué trop exclusivement jusqu’ici), mais l’influence de l’atmosphère et de sa composition chimique sur les corps organisés, la construction du globe, l’identité des couches dans les pays les plus éloignés les uns des autres, enfin les grandes harmonies de la nature, je formai le souhait de quitter pour quelques années le service du Roi et de sacrifier une partie de ma fortune aux progrès des sciences. Je demandai mon congé, mais Sa Majesté, au lieu de me l’accorder, me nomma son conseiller supérieur des mines, augmentant ma pension et me permettant de faire un voyage de l’histoire naturelle. Ne pouvant être utile à ma patrie dans un éloignement aussi grand, je n’ai point accepté la pension, en remerciant Sa Majesté d’une faveur moins accordée à mon peu de mérite qu’à celui d’un père, qui jouissait jusqu’à sa mort de la confiance la plus distinguée de son souverain.
Pour me préparer à un voyage dont les buts doivent être si variés, j’ai ramassé une collection choisie d’instrumen(t)s d’astronomie et de physique pour pouvoir déterminer la position astronomique des lieux, la force magnétique, la déclinaison et l’inclinaison de l’aiguille aimantée, la composition chimique de l’air, son élasticité, humidité et température, sa charge électrique, sa transparence, la couleur du ciel, la température de la mer à une grande profondeur. Ayant fait alors quelques découvertes très frappantes sur le fluide nerveux et la manière de stimuler les nerfs par des agen(t)s chimiques (d’augmenter et diminuer l’irritabilité à son gré, je sentis le besoin de faire une étude plus particulière de l’anatomie. Je séjournai pour cela pendant quatre mois à l’Université de Iéna, et je publiai les deux volumes de mes Expériences sur les Nerfs (7) et le procédé chimique de la vitalité (8), ouvrage dont la traduction a paru en France. Je passai de Iéna à Dresde et à Vienne pour en étudier les richesses botaniques et pour pénétrer de nouveau en Italie. Les troubles de Rome me firent désister de ce projet, et je trouvai, pendant mon séjour de Salzbourg, une nouvelle méthode d’analyser l’air atmosphérique, méthode sur laquelle j’ai donné un mémoire avec Vauquelin (9). Je finis en même temps la construction de mon nouveau baromètre et d’un instrument que j’ai nommé anthracomètre, parce qu’il mesure la quantité d’acide carbonique contenue dans l’atmosphère. Perdant l’espérance de pouvoir pénétrer jusqu’à Naples, je partis pour la France où je travaillai avec les chimistes de Paris pendant cinq mois. Je lus plusieurs mémoires à l’Institut Nat(ional) contenus dans les Annales de Chimie (10), et j’y publiai deux ouvrages, l’un sur les moffettes des mines et les moyens de les rendre moins nuisibles, l’autre sur l’analyse de l’air.
Le Directoire français ayant résolut de faire faire un voyage autour du monde avec trois vaisseaux sous le commandement du capitaine Baudin, je fus invité par le Ministre de la Marine de joindre mes travaux à ceux des savan(t)s qui devaient être de cette expédition. Je me préparai donc à partir pour le Havre, lorsque le manque de fonds fit échouer ce projet. Je résolus, dès lors, de me rendre en Afrique pour étudier le Mont Atlas. J’attendis pendant deux mois mon embarquement à Marseille, mais les changemen(t)s de système politique arrivés à Alger me firent renoncer à ce projet et je pris la route de la Péninsule pour demander la protection de Sa Majesté catholique dans un ouvrage d’Amérique dont le succès me mettrait au comble de mes vœux.
Frédéric-Alexandre de Humboldt
Avec son secrétaire,
Aimé Goujau(d)-Bonpland"
Notes
(1) Cette pièce, écrite en français, se trouvait avec les lettres au baron de Forell en partie reproduites plus haut. Elle avait été, sans doute, adressée à ce dernier, au moment où il sollicitait en faveur de Humboldt auprès du gouvernement espagnol, c’est-à-dire vers la fin de 1798. Elle a été publiée par M. E. Lentz, dans les deux recueils souvent cités plus haut, et je la reproduis comme les autres, avec l’autorisation de la Société de géographie de Berlin et l’agrément de M. E. Lentz, en y ajoutant les notes bibliographiques les plus indispensables.
(2) Mineralogische Beobachtungen über einige Basalte am Rhein, Braunschweig, 1790, in-8o.
(3) Versuch über einige chemische und physikalische Grundsatze der Salzwerkunde (Bergm. Journ., 1792, s. 1-45; 91-141)
(4) Irrespirable Gasarten, etc. (Crell’s Chem. Annal., II, 99 – 196)
(5) Florae Fribergensis Specimen plantas cryptogamicas praesertim subterraneas exhibens, Berolini, 1793, in-4o
(6) Aphorismen aus der chemischen Physiologie der Pflanzen, Leipzig, 1794, in-8o
(7) Cf. Expériences sur le Galvanisme, et, en général, sur l’irritation des fibres musculaires et nerveuses, trad. de l’allemand par Gruvel avec des additions par F.-N. Jadelot, Paris, 1799, in-8o
(8) Sur le procédé chimique de la vitalité. Lettre à Van M. Mons (Annal. de Chimie, t. XXXII, p. 64).
(9) Cf. Versuche über die chemische Zerlegung des Luftkreises und über einige andere Gegenstande der Naturlehre, Braunschweig, 1799, in-8o.
(10) Annal. de Chimie, t. XXVII, p. 62 et 141; t. XXVIII, p. 123.
Alexandre von Humboldt, Lettres américaines 1798-1807. Précédées d'une notice de J.-C. Delamétherie; publ. avec une introd. et des notes par le Dr E. T. Hamy. Paris, E. Quilmoto, 1905, p. 219-223