Totalitarisme politique et totalitarisme sanitaire
L’état de confinement que des populations entières vivent en Europe et ailleurs mérite une réflexion approfondie. Il faut d’abord rappeler que la notion de totalitarisme est née de l’expérience du premier conflit mondial où entre les alliés et les Etats d’Europe centrale un affrontement mobilisant toutes les ressources matérielles et culturelles alimentées par la propagande pour l’effort de guerre ont été mis en œuvre par les Etats. Bien entendu, le second conflit mondial a contribué à perfectionner encore cette organisation.
De là le succès de ce nouveau vocabulaire politique durant l’entre-deux guerres, un succès confirmé à l’époque par l’instauration des régimes nazis et stalinien durant une période de paix.
Le caractère commun entre ces deux formes de totalitarisme tient au rôle central joué par l’État et son monopole de la violence organisée (Max Weber), un monopole renforcé par l’existence d’un parti unique. Comme l’ont montré différents auteurs dont mon père[1]et la philosophe américaine Hannah Arendt, cette conception du pouvoir politique englobe toutes les dimensions de la société et se caractérise à la fois par la propagande et la terreur qui est à l’origine d’un célèbre poème d’Aragon « J’appelle la terreur du fond de mes poumons » qui témoignait de l’enthousiasme de l’auteur vis à vis de l’expérience communiste en URSS. L’économie comme la culture étaient alors mis à contribution pour servir la grande cause en honorant le grand chef (duce, leader maximo, führer etc..), au même titre que la science et la technique mobilisées pour l’effort de guerre.
Bien entendu les apparences de la démocratie libérale étaient maintenues avec l’existence d’une constitution comme en Union Soviétique contrairement à l’Allemagne nazie où des juristes comme Carl Schmit ont édifié une doctrine de justification du pouvoir. Cependant les principes de l’État de Droit dont en particulier l’indépendance de la justice et le principe de légalité sont abolis. Le totalitarisme politique se caractérise surtout par une impitoyable répression de toute forme d’opposition qui peut aller au sein de la société civile jusqu’à l’institution d’une véritable terreur existant au sein de la population et plus précisément au sein des catégories sociales les plus éduquées mise en œuvre par les pouvoirs démesurés de la police. De là une soumission volontaire de la population qui est orchestrée par une propagande omniprésente fondée sur un détournement du vocabulaire politique comme l’a souligné en son temps Georges Orwell. Au cœur du dispositif de l’État totalitaire, il y a le parti unique réunissant les fidèles du régime comme les carriéristes et à la tête duquel domine le grand leader. Un espace privé subsiste au sein des familles qui échappe à l’emprise de l’organisation, c’est l’exemple de la cuisine dans l’ancienne URSS, une exception qui disparaît avec le régime chinois utilisant massivement les technologies numériques de surveillances, des technologies aujourd’hui en cours de diffusion dans nos régimes politiques occidentaux soi-disant libéraux. A ce stade, les humains ne sont alors plus considérés que comme des points déplaçables ou des numéros sans plus aucune existence charnelle et encore moins spirituelle.
Le totalitarisme sanitaire est aujourd’hui chez nous en cours d’expérimentation à l’occasion de l’irruption de la pandémie mondiale. Il appartient en fait à la catégorie plus générale du totalitarisme technoscientifique qui en France a été mis en œuvre avec le programme nucléaire, toujours accompagné de pratiques répressives représentée par l’usage de la violence policière et de lourdes condamnations pénales de toute forme d’opposition. Cela a été particulièrement évident à Bure pour les opposants à l’enfouissement des déchets radioactifs. Mais avec la loi du 23 mars 2020 relative à l’état d’urgence sanitaire destinée à faire face à l’épidémie, les pouvoirs publics ont franchi un seuil spectaculaire car comme cela a été dit par mon collègue Paul Cassia[2] on assiste à la fin de l’État de Droit et ceci avec la bénédiction des plus hautes institutions juridictionnelles de l’État comme le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel. Ce texte législatif voté par le Parlement sans le moindre débat politique, supprime purement et simplement tous les droits et libertés constitutionnels dont notre pays a hérité depuis des lustres, dont la liberté d’aller et venir inscrite dans notre déclaration des droits de l’homme de 1789. Seule la liberté d’expression n’a jusqu’à présent pas été touchée, ce qui permet encore dans la presse et sur le réseau internet l’expression de critiques impossibles à imaginer dans un régime totalitaire aussi parfait que celui de la Chine. Car la loi sur l’État d’urgence sanitaire vise à instituer un confinement total des populations qui l’ont accepté dans la mesure où il s’agit de faire face à la pandémie pendant une durée de temps déterminée pour en faire disparaître la menace. Il y a là une justification sanitaire qui permet tous les abus de pouvoirs possibles et imaginables. Et c’est là la particularité de ce type de totalitarisme qui permet au pouvoir politique de s’ingérer dans les plus petits recoins de la vie quotidienne de chacun de nous, sans qu’il y ait, pour certaines de ces mesures de vraies justifications de sécurité sanitaire. De là le sentiment d’arbitraire et d’étouffement vécu par certains de nos concitoyens.
Dans ce dispositif, point n’est besoin de critères d’ordre politique car c’est le jugement scientifique qui représente l’ultima ratio. Seule une expertise contradictoire comme celle du docteur Raoult peut prétendre avoir droit de cité ! Pourtant dans ce dispositif carcéral, il y a des questions d’ordre politique et moral qui échappent complètement à des jugements d’ordre scientifique qui d’ailleurs, comme souvent, n’échappent pas à des déterminants d’ordre sociologique. Dans la controverse des experts relative à l’usage de la chloroquine, interviennent des facteurs tels que l’existence de coteries professionnelles et la concurrence entre spécialistes qui peuvent fausser le jugement scientifique, sans compter la défense d’intérêts économiques, un fait bien connu dans certains dossiers de scandales industriels. Or le constat de l’existence de tels facteurs relève du jugement politique bien conçu et non de controverses relevant de la science dure, autrement dit du raisonnement de chacun cultivant une certaine exigence démocratique. A la base de la prétention de la science, il y a le fait que la science ne se limite plus au jugement de fait mais veut aller au-delà. Les jugements de fait deviennent alors prescriptifs ce qui peut se comprendre lorsqu’il s’agit d’adopter une mesure de prévention particulière concernant un patient mais certainement pas pour protéger une partie de la population, car il y a dans ce genre d’hypothèse trop de considérations d’ordre sociétale à prendre en compte pour ne pas tomber dans l’arbitraire. L’enfermement de catégories entières de populations qui a pour conséquence de leur interdire toute forme de vie relève d’enjeux allant au-delà de la démarche thérapeutique.