Religion et science

Jean-Luc Hétu

« Peut-on être religieux et scientifique en même temps?

Point de vue de Jean-Luc Hétu, suivi de celui de Jean-Robert Derome

Cette question risque de décevoir à la fois le croyant, qui regrettera que la question puisse encore faire difficulté, et certains scientifiques, qui s'étonneront que les croyants continuent à s'interroger sur ce point.

La question demeure quant à moi pertinente, parce qu'elle invite à s'expliquer sur certaines réalités fondamentales de l'existence. J'y réagirai pour ma part en deux temps: pour y répondre d'abord positivement, et ensuite négativement.

Dans un premier temps, j'affirme l'existence d'une corrélation positive entre le sentiment religieux et l'approche scientifique du réel. Cette proposition équivaut à tenir que non seulement on peut être religieux et scientifique en même temps, mais même qu'on ne peut pas être vraiment religieux si l'on n'approche pas le réel d'une façon scientifique, et qu'on ne peut pas avoir l'esprit vraiment scientifique si l'on n'aborde pas la réalité d'une façon religieuse.

Pour apprécier la portée de cette proposition, il faut dépasser les références habituelles qui, pour être simples et claires, n'en demeurent pas moins un peu courtes. Selon ces références, l'activité scientifique se situe d'abord et avant tout à l'intérieur du temps et de l'espace, alors que l'activité religieuse s'organise autour de préoccupations reliées à l'au-delà du temps et de l'espace.

Lorsque j'invite à dépasser ces références, je le fais en m'attardant aux dispositions mentales sous-jacentes aux discours religieux et scientifique, plutôt qu'au contenu objectif de ces discours.

Si l'on se situe au niveau des dispositions mentales, en effet, on est amené à constater que l'essence du sentiment religieux consiste dans un respect et une docilité exemplaires face au réel. L'être religieux est foncièrement un être ouvert à toutes les révélations que le réel peut lui faire en se déployant devant lui. J'estime que c'est ultimement ce phénomène qui est en cause lorsque la tradition biblique parle par exemple de l'"obéissance de la foi".

Parallèlement, il est facile de constater également que l'essence de l'approche scientifique du réel réside dans le fait que le chercheur tende à se dégager le plus possible des croyances de son milieu, de ses préjugés personnels, du besoin ou du désir qu'il peut avoir que les choses soient de telle ou telle façon, pour laisser lui aussi le réel se déployer sans interférence devant lui et pour accueillir ce réel avec le plus de respect possible. A tel point qu'à la limite le chercheur peut se découvrir convié à rien de moins qu'à une conversion, et cela au coeur même de son entreprise scientifique. C'est ainsi que parlant d'une recherche passionnante mais difficile qu'il avait menée, le psychologue Maslow écrivait: cette recherche "a entraîné pour moi la destruction continuelle de postulats familiers, l'affrontement perpétuel avec des
paradoxes apparents, des contradictions et du vague, et l'effondrement occasionnel de lois de la psychologie qui étaient établies depuis longtemps, que je croyais fermement et qui m'apparaissaient indiscutables" (dans Toward a Psychology of Being).

De la sorte, être scientifique, c'est approcher une portion circonscrite du réel (définie comme le champ d'investigation d'une discipline donnée) avec exactement la même disposition d'esprit qui prévaut lorsqu'on se situe (religieusement) face à l'ensemble du réel.

Inversement, être religieux, c'est se laisser interroger et instruire par les réalités fondamentales de l'existence (amour, liberté, justice et injustice, souffrance, mort ... ) avec la même ouverture et le même détachement bienveillant que l'on entretient en soi lorsque l'on s'adonne (scientifiquement) à la recherche et à la réflexion sur la structure et les causes d'un phénomène empirique plus délimité.

Dernière remarque enfin sui, la corrélation que j'établis entre l'approche religieuse et l'approche scientifique du réel, et cela, dans le contexte de mon invitation à dépasser les associations spontanées entre "univers scientifique" et "réalités démontrables", d'une part, et "univers religieux" et "réalités indémontrables", d'autre part.

Une fois ces associations dépassées, il devient plus facile de remarquer comment le religieux et le scientifique partagent tous deux la même conviction de la cohérence du réel. Pour un esprit religieux, en effet, la création présente une cohérence fondamentale; elle émane d'un projet et elle est portée à chaque instant par cette intentionnalité qui l'achemine vers un terme "sensé". Parallèlement, pour un esprit scientifique, le cosmos est éminemment ouvert à l'observation, car il regorge de lois cachées, d'enchaînements de causalité, de systèmes et de sous-systèmes analysables presque à l'infini. Je ne dis pas qu'un esprit religieux et qu'un esprit scientifique font la même lecture du réel, mais je dis qu'ils sont tous deux convaincus que ce réel est cohérent, qu'il a un sens, et qu'ils sont tous deux motivés par le patient déchiffrage de ce réel.

Je reviens maintenant à la question du départ, qui utilisait l'expression "être religieux". Jusqu'ici, j'ai entendu cette expression au sens de "être habité par le sentiment religieux", c'est-à-dire être docile aux révélations du réel. Mais on peut également comprendre l'expression "être religieux" en termes plus sociologiques, et parler d'affiliation à une église ou une secte, d'adhésion à une doctrine et d'obéissance à des autorités religieuses. Ce changement dans la compréhension de l'expression "être religieux" a évidemment pour effet de réintroduire la tension que j'affirmais inexistante tantôt entre "être religieux" et "être scientifique".

Cette tension ne requiert pas de longs éclaircissements. Il suffit de rappeler que le scientifique n'obéit qu'aux faits, ne reconnaît d'autorité que l'évidence, alors que les religions constituées ont facilement tendance à réclamer de leurs adeptes une obéissance aveugle. C'est ainsi que deux textes du concile Vatican II affirment ce qui suit:

"Les fidèles doivent accepter l'avis donné par leur évêque au nom de Jésus-Christ en matière de foi et de morale, et y adhérer avec un respect religieux. Mais cette soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence, on doit particulièrement l'offrir au magistère authentique du Pontife romain, même quand il ne parle pas ex cathedra ... "
Constitution dogmatique Lumen Gentium, no 25, par. 1.

"Les laïcs, comme tous les fidèles, accueilleront avec promptitude et dans l'obéissance chrétienne ce que les pasteurs, représentants du Christ, auront décidé en tant que docteurs et chefs de l'Eglise ... "
Ibid., no 37, par. 2.

A la lumière de ces textes, "être religieux" signifie alors se reconnaître fidèle d'une religion constituée dont les chefs peuvent tout dire et tout interdire, du seul fait de leur autorité divine. Il est facile de comprendre comment "être religieux" dans ce contexte ne peut qu'être problématique, voire conflictuel, à quiconque entreprend en même temps d'être scientifique.

Certaines autorités religieuses disent: "Il faut obéir aux autorités religieuses." Le scientifique dit: "Il faut obéir aux faits et non aux dogmes."

Certaines personnes entreprennent de vivre leur sentiment religieux en solidarité avec d'autres personnes (la Bible dirait "en église"). Ces personnes répliqueraient sans doute: "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" (Actes 5, 29), ces hommes fussent-ils, comme dans le récit des Actes, en situation d'autorité religieuse.

On voit dès lors comment la question se déplace: ce n'est pas quand il entreprend de conjuguer sentiment religieux et attitude scientifique que le sujet rencontre des difficultés, mais plutôt quand il entreprend de vivre ce sentiment religieux en communion avec une collectivité.

Peut-on être religieux et faire partie d'une religion? La question serait certes à discuter, mais c'en est une autre!

***

 

Le scientifique devant la religion


Point de vue de Jean-Robert Derorne

On nous demande s'il est possible d'être à la fois religieux et scientifique, et ensuite si la science aurait signé l'arrêt de mort de la religion. Voilà deux questions classiques qui doivent faire l'objet de notre réflexion et que, pourtant, tout nous inciterait à considérer comme dépassées. D'abord, on sait que la théologie reconnaît depuis fort longtemps l'autonomie de la science par rapport à la religion; le scientifique n'a donc rien à craindre de la religion. Par ailleurs, la vision du monde de la théologie actuelle est beaucoup plus anthropocentrique que cosmogonique, et si en entend le mot science au sens de sciences naturelles, alors la théologie devient beaucoup plus libre par rapport à la science qu'elle ne l'a été dans le passé. Si à tout hasard la théologie devait actuellement faire appel à l'image du monde physique de la science, ce serait plutôt la biologie que la physique qui serait sollicitée. En troisième lieu et en me plaçant du point de vue du physicien que je suis, je peux facilement répondre aux deux questions posées, puisque je connais un bon nombre de scientifiques qui sont religieux et que par ailleurs la religion est toujours bien vivante. Cela découle d'observations, c'est objectif, c'est indéniable, c'est vrai.

Alors pourquoi a-t-on posé ces questions? Peut-être reste-t-il encore quelques points de dispute entre science et religion, ou peut-être certains milieux de la religion penchent-ils encore pour une théologie centrée sur la cosmogonie et rêvent-ils de pouvoir concilier leur vision du monde avec l'image qu'en donne la science? Quant à moi, il me semblerait plus profitable d'explorer une autre voie et de centrer ces questions sur l'homme concret que l'activité professionnelle situe dans une des sciences naturelles et qui de plus a une attitude religieuse. Comment cet homme vit-il sa pratique scientifique et sa foi? Quelles sont les difficultés particulières que rencontre le scientifique qui adhère à une religion?

Tout d'abord, dans sa pratique quotidienne le scientifique croyant côtoie des collègues, avec qui il partage des méthodes de travail et des objets d'étude scientifiques, et dont la grande majorité n'adhèrent à aucune religion. Or, pour la plupart des scientifiques non religieux, la religion se caractérise par une rigidité dogmatique, une morale dépassée et un autoritarisme intransigeant. Il leur apparaît donc inconcevable a priori qu'un scientifique sérieux puisse donner son adhésion à une institution religieuse. Leurs collègues qui affirment être religieux ou croyants leur posent question surtout si ces scientifiques religieux sont respectés dans le monde scientifique pour leurs travaux et pour la qualité de leur jugement. Ils veulent entre autres choses comprendre la démarche du scientifique religieux, s'assurer que ce collègue ne souffre pas d'un dédoublement de la personnalité. Le dialogue entre scientifiques religieux et non religieux n'est pas facile et en pratique il a rarement lieu, les uns se contentant de respecter silencieusement les autres.

Il nous importe maintenant de situer ce contexte particulier dans lequel le scientifique religieux doit évoluer, et de voir surtout quelle est la perception dominante de la science et de la religion dans le milieu scientifique. Cette perception est fondée sur un certain nombre d'observations.

On constate tout d'abord que dans les quatre derniers siècles la science a fait des progrès considérables, que la description de l'univers physique qu'elle propose maintenant est fort différente de celle qui prévalait avant Galilée et qu'elle est sans conteste beaucoup plus efficace. De plus, selon toute apparence, la science aurait réussi au cours des siècles à éliminer progressivement les hypothèses non pertinentes à sa démarche propre et en particulier les considérations religieuses. Pour appuyer cette affirmation, on pourrait comparer par exemple les écrits scientifiques de Newton à ceux de Einstein. De façon plus indirecte, sur le plan de la technique et des applications, on ne peut ignorer la place considérable occupée par la science, ni son impact sur nos vies quotidiennes. Tout cela contribue à donner à la science un prestige énorme, à la proposer souvent en modèle et pour plusieurs a en faire une nouvelle église universelle. Dans ce contexte, la science est synonyme de connaissance objective, de rigueur discursive, d'universalité et de neutralité politique.

Des mécanismes externes viennent renforcer cette perception. On peut le déplorer, mais c'est un fait reconnu que la science est devenue si morcelée, si spécialisée, que les non-initiés ne peuvent a toute fin utile avoir accès à la connaissance scientifique telle qu'elle se pratique vraiment. Seule leur est accessible la vulgarisation de cette science, c'est-à-dire une science médiatisée, un discours sur la science habituellement chargé d'un contenu philosophique et idéologique qui est pratiquement absent du discours de la science. L'intérêt qu'on porte à la science dans de telles conditions est d'ordre quasi religieux. Dans le milieu scientifique, on aura tout avantage à encourager cette perception de la science et cela pour diverses raisons, mais surtout peut-être parce qu'elle confère aux scientifiques un pouvoir et qu'elle les confirme dans leur "sacerdoce".

Ainsi, dans les milieux scientifiques on pourra voir dominer une philosophie, souvent implicite et spontanée, qui s'inspire largement du scientisme et qui sera le plus souvent transmise au public par les vulgarisateurs dans leur discours sui la science. Sous sa forme extrême, rarement professée ouvertement d'ailleurs, le scientisme est caractérisé par la conviction que seule la connaissance scientifique peut être qualifiée de connaissance véritable. Cette vision impérialiste de la science s'accompagne habituellement d'un réductionnisme poussé, selon une hiérarchie des niveaux d'explication du réel, la chimie s'appuyant sur la physique, la biochimie sur la chimie, la biologie sur la biochimie, la psychologie sur la biologie, la sociologie sur la psychologie, ... Sur la prépondérance de cette vision des sciences, l'histoire récente est éloquente; qu'on pense à la sociobiologie et à son influence dans les milieux de droite en France, à la biologie moléculaire qui prétend expliquer toute la biologie à partir des structures et des propriétés de certaines molécules, à la physique des particules élémentaires qui tente de justifier ses énormes demandes de fonds par des considérations fortement réductionnistes ... Dans cette optique, on ira jusqu'à prétendre que les problèmes de l'humanité ne pourront être résolus que par la science et par ses experts dont les avis seront considérés les seuls pertinents. Dans le milieu scientifique, il est clair que le puissant attrait du scientisme lui vient en grande partie de ses succès - qu'on pense à la biologie moléculaire - et aussi de l'énorme simplification qu'il introduit dans l'explication des phénomènes. Historiquement, on peut voir le scientisme comme l'aboutissement radical des longs efforts de la science pour affranchir son discours des catégories religieuses et philosophiques. Que cette vision mécaniste du monde nous amène à douter de la possibilité pour un scientifique de croire, voilà qui est bien naturel.

Cette conjugaison des visions dominantes, scientiste et réductionniste pour les professionnels de la science, et quasi religieuse pour le public et les mass-media, laisse aux uns et aux autres assez peu de marge de manoeuvre pour une approche plus ouverte et plus critique. Malgré tout, depuis quelques années, on voit de nombreux signes d'une réaction critique du public, qui s'exprime le plus souvent sous la forme d'un scepticisme et d'une désillusion devant les "progrès" de la science et de la technologie. De même, dans le milieu scientifique, la remise en question de l'idéologie scientiste et réductionniste commence à porter ses fruits grâce, en bonne partie, à la situation de crise qui s'est récemment développée dans plusieurs milieux scientifiques. En ce moment, cette position critique reste le fait d'une minorité de scientifiques et d'une petite partie du public.

Pour le scientifique qui fait profession de scientisme, la science constitue sa religion; il ne saurait donc être question pour lui d'adhérer à une religion traditionnellement identifiée comme telle, la science lui suffisant. De son côté, le scientifique qui admet l'existence d'autres univers peut vouloir répondre positivement à l'appel de la foi religieuse et il est alors placé à peu près sur le même pied dans sa démarche que les autres hommes. Les choix à faire seront tout aussi difficiles et susciteront des doutes et des certitudes qui varieront dans le temps, selon les rencontres et les circonstances. Comme les autres croyants, il donne ra son adhésion à une vérité, intelligible en partie seulement, situation qu'il trouvera plutôt inconfortable. D'autant plus qu'il se trouve constamment en contact avec l'idéologie scientiste pour laquelle seule est valable une démarche rationnelle et empiricoformelle.

Si le scientifique veut vivre de façon harmonieuse sa pratique scientifique et son engagement religieux, et en supposant qu'il est déjà au fait des approches contemporaines de la théologie, il lui reste alors à s'affranchir de l'idéologie scientiste par une analyse critique et radicale. On soutient volontiers dans le milieu scientifique, entre autres, que la religion porte en elle des contenus et défend des prises de position de nature idéologique. Cependant, on voit rarement la science soupçonnée d'idéologie ou accusée de manquer à sa mission d'objectivité, de rigueur et de neutralité politique. En effet, autant pour le public que pour l'immense majorité de ceux qui la pratiquent, la science par définition est objective et neutre. Il y a un fond de vérité dans cette croyance, car sur un théorème de mathématique ou même sur un résultat d'une expérience de physique par exemple, il est plus facile de faire l'unanimité des experts que sur la valeur d'une thèse philosophique. Cependant, dès que l'on quitte les aspects strictement techniques des résultats, les unanimités perdent de leur force. Déjà au niveau de l'interprétation des théories et même des résultats expérimentaux, on voit souvent s'exprimer des divergences considérables et quelquefois virulentes. A titre d'exemple, il serait intéressant d'analyser l'interprétation dominante, cinquante-cinq ans après sa naissance, de la théorie quantique, où la philosophie scientiste et réductionniste a pu s'épanouir sans trop de difficultés. Cette théorie qui est fondamentale pour l'explication des phénomènes microscopiques aussi bien que pour bon nombre des résultats d'astrophysique, malgré sa courte histoire, a été très fertile en interprétations problématiques et souvent contradictoires. Qu'on pense aux soi-disant "relations d'incertitude" de Heisenberg presque toujours mal interprétées et utilisées à tort et à travers entre autres par des biologistes et des sociologues célèbres. Qu'on pense aussi au faux paradoxe de Einstein-Podolski-Rosen qui a fait couler beaucoup d'encre, et encore récemment celle du journal Le Monde suite au colloque de Cordoue. Certes, au niveau des calculs et du laboratoire, ces divergences d'interprétation peuvent n'avoir qu'un effet minime.

Mais déjà dans l'enseignement de la théorie quantique à l'Université, nombre de cours et de manuels transmettent des conceptions fort douteuses. Qu'un demi-siècle après la création d'une théorie physique son interprétation fasse encore problème, voilà un signe que tout n'est pas si clair du côté de la science.

Si au niveau des interprétations des théories scientifiques la situation est déjà incertaine, on peut imaginer ce qui peut se passer quand on aborde des questions comme le rôle de la science dans la société. Ainsi, il est clair que la philosophie scientiste a tout de l'idéologie, c'est-à-dire de l'idée en tant qu'elle domine, selon le mot de Roland Barthes. Que les scientistes se défendent de toute idéologie et prétendent à la neutralité a de quoi étonner.

La science n'est donc pas aussi objective et pure qu'elle voudrait parfois le laisser croire. L'analyse critique du scientisme actuel, déjà commencée dans le milieu scientifique, montre bien par exemple que la science n'occupe pas un espace autonome, mais qu'au contraire la dynamique de son développement est hautement conditionnée par des interactions, entre autres de nature sociale, avec les aires adjacentes. En effet, la science comme pratique sociale est profondément marquée par la société où elle s'insère et elle ne saurait prétendre rester autonome et neutre.

Mais cela ne serait-il pas vrai aussi pour la religion? Cette dernière est-elle à l'abri d'une visée idéologique? Dans la mesure ou lit réponse serait négative, l'analyse critique et radicale des mécanismes idéologiques impliqués et les prises de position en résultant doivent-elles être le fait des seuls spécialistes? le simple croyant doit-il y participer et comment?

Quand au scientifique, c'est dans la science qu'il est le mieux équipé pour prendre position et pour intervenir; c'est là d'abord qu'il doit apporter sa contribution pour un changement profond et global suggéré par son analyse critique. C'est en démasquant l'idéologie scientiste que le scientifique peut rendre plus accessible à ses collègues l'univers religieux et montrer ainsi que la science et la religion peuvent faire bon ménage. Il reste que l'adhésion religieuse comporte, en plus d'une démarche intellectuelle, un acte de volonté, un assentiment à un appel. Sur ce plan, le scientifique est ramené à la condition des autres hommes.

Cela peut nous amener à la deuxième question qui nous était posée: "la science a-t-elle signé l'arrêt de mort de la religion?" En effet, du point de vue de l'idéologie scientiste, la religion n'est que le dernier bastion de l'obscurantisme et on peut bien signer son arrêt de mort, la science ayant déjà occupé une bonne partie du champ d'influence jadis contrôlé par la religion. Cependant, selon l'optique critique proposée, plus haut, la science devient aussi vulnérable que les autres sphères d'activité dans notre société et la religion reprend son droit à l'existence, à la vie, avec tout ce que cela implique de recherche et de construction d'un avenir à la lumière de son histoire et de sa tradition. »

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