Les écoles antiques

Daniel Desroches

Selon ce qui a été établi dans la rubrique précédente, pour qu’une philosophie mérite pleinement le nom de philosophie comme mode de vie, celle-ci doit comporter une option existentielle justifiée, mettre en oeuvre un ensemble de pratiques formant une règle de vie et donner lieu à des usages du discours en accord avec la valeur centrale qui oriente toute la vie philosophique. Dans cette section, la présentation des grandes écoles antiques devrait faire droit à cette exigence.


Le socratisme

Quelle était la pratique philosophique de Socrate (470-399), le seul philosophe dont la sagesse fut reconnue par toutes les écoles antiques et le précurseur d’un mode de vie dont se réclameront ceux qui furent appelés les petits et les grands socratiques? [1] Pour le savoir, on consultera d’abord le témoignage de ceux qui ont rapporté la défense de Socrate lors d’un procès public intenté contre lui en 399 av. J.-C. C’est grâce aux témoignages de Platon et de Xénophon que seront précisés les maux à éviter, le bien à rechercher ainsi que les principales pratiques qui permirent à Socrate de vivre et de mourir en philosophe.

Le socratisme a son départ dans les actions de chacun, car celles-ci impliquent des valeurs qui, le plus souvent, sont ignorées. Ce point de départ est associé à l’Oracle de Delphes qui, de manière détournée, aurait exigé de Socrate qu'il examine ses concitoyens. Or pourquoi cet examen? Pour les aider à prendre conscience de leur situation morale, c’est-à-dire de l’ignorance des valeurs à la base de leurs actions. En effet, la découverte de Socrate c’est qu’il existe une ignorance plus insidieuse que l’ignorance elle-même, c’est l’ignorance ignorée de sa propre situation morale, car c’est celle-ci qui nous empêche de chercher à devenir meilleur, plus vertueux. C’est ainsi que la formule «nul ne fait le mal volontairement» reçoit une acception pratique: elle dispose Socrate à se soucier d’autrui afin d'agir conformément à sa mission philosophique. Aux yeux de Socrate, la cause du malheur humain serait l’insouciance morale à la source des contradictions entre les valeurs qui orientent nos actions.

Si le socratique reconnaît que la cause du mal c’est l’insouciance, il affirme par voie de conséquence que la valeur par excellence est le souci de soi. C’est ainsi que Socrate accordait la primauté au soin de l’âme plutôt qu’aux biens extérieurs [2]. La vertu relevant de l’âme, la mort n’est donc pas à craindre puisqu’elle n’est pas un mal véritable. «Pour l’homme de bien, affirme Socrate au tribunal, il n’y a aucun mal, ni pendant sa vie, ni une fois qu’il est mort» [3]. Selon Socrate, il n’y a qu’un seul mal véritable, c’est la faute morale qui résulte de notre ignorance, comme il n’y a qu’un seul bien essentiel, «c’est la valeur absolue de l’intention morale.» [4] S'il en est vraiment ainsi, il faut alors examiner sa manière de vivre pour s’assurer qu’elle soit toujours inspirée par la volonté de faire le bien: seule une vie examinée, affirmait Socrate, vaut d'être vécue [5]. Or comment parer à l’insouciance morale, comment se soucier de soi-même?

Le remède à l’insouciance est un examen, un exercice de clarification qui permet au disciple de prendre conscience du fait qu’il ignore les valeurs qui fondent son action. Si, dans sa description, Xénophon s’attarde beaucoup à la légendaire maîtrise de soi de Socrate [6], l’elenchos est le principal exercice que rapporte les dialogues de Platon. Comme le remarque à juste titre Balaudé, «Le dialogue socratique présente une vraie mise en jeu, qui est cette épreuve de vérité que traverse celui qui s’expose aux questions de Socrate.» [7] C’est par cette épreuve que chacun est invité à se soucier de soi afin de se connaître davantage. On comprend mieux pourquoi la maxime delphique «connais-toi toi-même» fut rapportée à Socrate: seule une connaissance des valeurs permet d’éviter le mal que cause la contradiction entre soi et soi-même [8] ainsi qu’entre soi et les autres.

Tout à l’opposé du savoir des sophistes, et comme l'affirme Socrate tant chez Platon que Xénophon, la vie philosophique n’est pas faite de discours, mais d’actes et d’épreuves. À ce propos, l’Apologie de Xénophon présente un Socrate qui estimait que le témoignage direct de sa vie servirait mieux sa défense lors de son procès qu’un discours savant préparé pour cette occasion [9]. Enfin, comme le résume Hadot, philosopher, au sens socratique, «c’est se mettre en question soi-même, parce que l’on éprouve le sentiment de ne pas être ce que l’on devrait être. Telle sera la définition du philo-sophe, de l'homme désireux de la sagesse, dans le Banquet de Platon.» [10] C’est pourquoi Hadot a toujours insisté pour marquer la distance qui sépare le philosophe de la sagesse, qui sépare celui qui aspire à la sophia d’un mode de vie presque divin qui apporte la tranquillité de l’âme.

Le cynisme

Quel était le «genre de vie» des cyniques et de Diogène de Sinope (413-327), de loin le plus célèbre des petits socratiques? Il faut dire, avant de présenter Diogène, que l’expression de «petits socratiques» vient de l’option existentielle retenue par ceux qui, convaincus de la supériorité des actes sur les paroles, ont pratiqué une «voie courte» vers la vertu [11], une voie opposée à la recherche dialectique prônée par les grands socratiques dont Platon.

Le cynisme a son départ dans les actions de chacun, des actions qui dissimulent les valeurs sociales auxquelles nous adhérons par simple conformisme. De ce point de vue, le cynisme grec hérite directement de Socrate qui avait pour mission d’examiner les citoyens. Toutefois, la mission de Diogène radicalise celle de Socrate en ce que celui-ci opta pour une autarcie maximale jointe à une subversion complète des valeurs traditionnelles. De manière scandaleuse, le cynique Diogène rejette les règles élémentaires et les conditions de la vie en société [12]. On se rappelle que Diogène ne possédait qu’un bâton, une besace et un manteau. Mais pourquoi choisir un mode de vie si frugal, réduit à la seule conformité à la nature? Probablement parce que les philosophes-chiens (kunos), peut-être inspirés par le nom de Cynosargès où se retrouvaient les disciples d’Antisthène, ont retenu de Socrate sa capacité remarquable se maîtriser lui-même et à se suffire. Selon le cynisme, la cause du malheur tient à la dépendance à l’égard des objets extérieurs et à l’esclavage qu’ils occasionnent [13], tandis que la vertu tient simplement à l’autarcie, à l’indépendance complète, c’est-à-dire à la véritable liberté.

Au désir de posséder des biens, le cynique choisira plutôt de se posséder lui-même et de réduire ses besoins à ce que lui offre la loi de la nature. Selon les apophtègmes rapportés par la tradition [14], Diogène ne se prive jamais de dénoncer ceux qui vivent dans le luxe afin de montrer qu’ils ne sont pas des «maîtres», mais d’authentiques «esclaves». La philosophie du cynique est un ensemble d’exercices et d’efforts, car les commodités de la société affaiblissent l’homme et le rendent servile ou esclave [15]. Autarcique et meneur d’homme, le cynique propose un genre de vie naturel et simplifié qui comporte une ascèse des désirs ainsi que des épreuves athlétiques qui illustrent sa supériorité sur les conventions sociales.

Quant au discours, le cynique optera pour une réduction de celui-ci en s’exprimant de manière fort concise à l’aide de boutades et de sarcasmes. Bien qu’il n’en ait pas eu le monopole, le cynique pratique la parrêsia, le dire-vrai, le franc-parler, la franchise extrême. Ne possédant rien et n’ayant donc rien à perdre, Diogène pourra dire à chacun ses quatre vérités, comme il le fit pour Philippe de Macédoine et, selon ce que rapporte Diogène Laërce, pour Alexandre le Grand lui-même [16]. En effet, l'anecdote de la rencontre entre Alexandre et Diogène vaut d'être rapportée. Lorsque le conquérant se présenta à lui dans toute sa splendeur en lui faisant ombrage, Diogène, au risque de sa vie, exigea que ce faux roi se tasse «de son soleil», le cynique contestant alors l'autorité d'Alexandre tout en illustrant sa propre royauté. On le voit bien, ce n'est pas Alexandre qui commande aux hommes dans cette situation, mais celui qui n'a besoin de rien et qui illustre sa souveraineté sur lui-même plutôt que sur les autres, c'est-à-dire des biens extérieurs. Car c’est le fait de vivre dans le dénuement le plus complet qui permit aux cyniques de vivre une vie plus vraie, plus authentique, la seule capable de vérité en acte et d’actes de vérité.

Le scepticisme

Quel était le mode de vie du discret Pyrrhon d'Élis (360-275), le père des sceptiques dont on raconte qu’il a été influencé par des gymnosophistes hindous, des sages nus, à l’époque où il suivit Alexandre le Grand dans ses conquêtes jusqu’aux Indes? [17] Fort probablement inspiré par des pratiques ascétiques orientales, le scepticisme est un art de vivre qui consiste, estime Hadot, en «une indifférence parfaite à l’égard de toutes choses.» [18]

Le scepticisme a son départ dans les opinions de chacun, des opinions changeantes qui redoublent notre expérience directe de la vie. Suivant le témoignage de Timon de Phlionte [19], le sceptique reconnaît que nous ne pouvons pas savoir si les choses qui se présentent à nous sont, en elles-mêmes, des biens ou des maux.» [20] Or comme nous n’accédons qu’aux «apparences» [21] de choses changeantes, instables et insaisissables, les jugements de valeurs occasionnent en nous des troubles de l’âme plutôt que d’offrir la quiétude. Selon le scepticisme, le malheur humain tiendrait donc à l'attachement aux choses par l’opinion.

À cet attachement par l’opinion, qui se manifeste le plus souvent à l’insu de chacun, Pyrrhon opposait la pratique de la suspension du jugement, l’épochè, qui est une forme radicale de détachement ou de renoncement. Cet exercice consiste à laisser les choses se présenter d’elles-mêmes afin de les recevoir dans leur adiaphoria, dans leur indifférence, puis à agir en conséquence. Cette pratique quotidienne conduit le sceptique au silence puis à l’ataraxie, c'est-à-dire à la quiétude.

Quant à l’usage du discours, un usage nécessairement réduit, le sceptique emploiera de courtes formules frappantes afin de raffermir son choix de vie; il s'agit des phonaï. Les plus connus de ces maximes sont les suivantes: «pas plus... ceci que cela», «je ne définis rien», «à tout argument s’oppose un argument de force égale», «peut-être», etc. [22] C’est ainsi que Pyrrhon, qui vécut de manière imprévisible et qui travaillait en toute sérénité, prenait «la vie pour guide», selon la formule de Sextus Empiricus  [23].

En somme, c’est par la pratique quotidienne de la suspension du jugement qu’il est possible d’atteindre l’ataraxie, la tranquillité de l’âme et la sérénité. N’éprouvant aucun changement de disposition, Pyrrhon demeurait toujours dans le même état et ne fut guère troublé ni par les choses ni par la présence des autres. Le but du sceptique était donc de faire l’expérience de la vie elle-même plutôt que d’ajouter son avis, plutôt que d'éprouver indirectement l'existence.

L’épicurisme

L’épicurisme étant réputé pour sa quête du plaisir, quel était l’art de vivre qui prévalait au Jardin d’Épicure (341-270)? Se peut-il d’abord que le «plaisir épicurien» n’ait rien à voir avec ce que l'on conçoit habituellement comme étant le plaisir? Car il faut savoir que les préjugés entourant l’art de vivre épicurien ne datent pas d’aujourd’hui; Épicure lui-même rappelait, dans sa Lettre à Ménécée, qu’il n’est pas question au Jardin du plaisir des «gens dissolus» et que le plaisir véritable doit s’apprécier dans l’ensemble des actes, c’est-à-dire durant toute la vie. [24]

L’épicurisme a son départ dans l’expérience corporelle, une expérience qui procure du plaisir et de la douleur. Quelle est donc la cause du malheur selon cette école qui endosse le matérialisme? Puisque nous redoutons des choses qui ne sont pas données dans l’expérience, telles les dieux et la mort, et que les souffrances corporelles ne sont pas nécessaires, le malheur de l'être humain viendrait d’un déséquilibre entre le corps et l’âme qui l’empêche de profiter pleinement de son existence. C’est pourquoi la thérapeutique épicurienne guérira les souffrances inutiles et les craintes injustifiées afin de lui apporter l’ataraxie [25]. Bien qu’il exigerait à lui seul une longue explication, le quadruple remède de Philodème de Gadara résume bien ce qu’il faut savoir pour être heureux: les dieux ne sont pas à craindre; la mort n’est rien pour nous, le bien est facile à acquérir; le mal est facile à supporter [26].

Selon l’épicurisme, la satisfaction d’un désir naturel procure un état de plénitude qu’il est possible de prolonger grâce à un dosage adéquat. La condition minimale du bonheur, remarquait Épicure, c’est de ne pas avoir faim, de ne pas avoir soif, de ne pas avoir froid. C’est ainsi que dès que l’état d’autarcie corporelle est atteint, que le corps ne réclame rien de plus que la suppression de son désir naturel, il est possible de profiter de son existence afin d’éprouver l’ataraxie, à condition d’avoir supprimé les craintes injustifiées. Par une prise de conscience particulière de sa condition de mortel, l’épicurien estime que le bien recherché n’est pas tant le plaisir que le plaisir pur d’exister, c’est-à-dire la réjouissance au présent. Carpe diem: cette formule du poète épicurien Horace présente la devise par excellence de l'épicurisme en ce qu'elle nous invite à cueillir le jour, à saisir le moment présent.

Or pour bien vivre le plaisir, il faut s’exercer à distinguer les types de désirs, car tous les désirs humains ne conduisent pas au bonheur. En effet, il y a trois types de désirs: les désirs naturels et nécessaires, les désirs seulement naturels et ceux qui sont vides et insatiables, n’étant ni naturels ni nécessaires. Seuls les désirs naturels et nécessaires à l’autarcie devront être comblés, les désirs seulement naturels devant être maîtrisés ou équilibrés, tandis que les autres, les désirs vides et illimités, devront être supprimés à la racine. L’ascèse des désirs est une pratique fondamentale de l’épicurisme qui conduit le disciple à maximiser les plaisirs stables, ceux qui s’apprécient dans le temps, et à refuser les plaisirs mobiles, qui meuvent le corps selon les désirs immédiats, n’offrant ainsi qu’une satisfaction éphémère.

Quant à l’usage des discours, les épicuriens sont reconnus pour avoir développé une phusiologia, un discours de conformité à la  nature. À situer entre la voie courte des cyniques et la voie longue de la dialectique et de la paideia des grands socratiques, la phusiologia épicurienne se veut une voie moyenne [27] qui, à partir d’une physique matérialiste, cherche à dégager les contenus d’expérience nécessaires à la vie heureuse. De ce point de vue, la phusiologia, c'est-à-dire le savoir de base d’une vie conforme à la nature, décrit la nature en s’appuyant sur les sensations afin d’apaiser l’âme inquiète [28].

Enfin, par une connaissance des bornes de la nature [29], le remède épicurien prescrit la suppression des craintes et un dosage du plaisir par une ascèse des désirs. Toujours au présent, l’ataraxie épicurienne c’était la conscience du plaisir d’exister.

Le stoïcisme

Enfin, quel était le mode de vie des stoïciens, ces philosophes du Portique si réputés pour leur austérité? Reconnaissons d’abord que ce que nous savons du stoïcisme grec des fondateurs, tels Zénon (335-262), Cléanthe (330-232) et Chrysippe (280-206), nous viens surtout du stoïcisme de la période impériale, celui de Sénèque (1-65), Épictète (50-130) et Marc Aurèle (121-180).

Le stoïcisme à son départ dans le tragique des événements de la vie, dans le destin. Car les événements affligent profondément l’être humain ou deviennent supportables selon sa manière de les recevoir et de les juger. Or comme nous sommes mus par des désirs non maîtrisés et que l’ordre du monde est indépendant de nous, le malheur provient donc, selon le stoïcisme tel que nous le présente Hadot, de ce que l’on désire l’inaccessible et que l’on refuse l’inévitable, bref que nous ne sommes pas en accord avec nous-mêmes [30].

En réponse à cette situation, le stoïcien se propose de maîtriser ce qui relève de lui et de consentir à ce qui appartient à l’ordre du monde. À ce propos, il faut rappeler la distinction d’Épictète: «Il y a des choses qui dépendent de nous; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépend de nous ce sont nos jugements, nos tendances et nos désirs [...] Ce qui ne dépend pas de nous, c’est le corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir; en un mot, toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas.» [31] Selon le stoïcisme, le bien par excellence est que «l'âme reprenne possession d'elle-même» [32]; d’où un ensemble d’exercices qui permettent au stoïcien de maîtriser sa situation intérieure et de faire un bon usage de chaque événement qui se présente, le monde étant indifférent, ni bien ni mal. Afin de résumer le choix de vie au Portique, on peut dire que la vertu stoïcienne consiste à parvenir à un accord complet entre soi-même et l’univers. On trouvera une telle réconciliation avec le monde, une telle annexion au cosmos dans les remarquables Pensées pour soi-même de Marc Aurèle.

Les principaux exercices recouvraient les domaines de la physique, de l’éthique et de la logique. Comme l’a bien montré Hadot, les Pensées de Marc Aurèle illustrent les trois topoï d’Épictète [33]. La description de ces trois lieux constitue une synthèse remarquable du stoïcisme. D’abord, la «discipline des désirs» (la physique) permet au stoïcien de consentir à l'univers: celle-ci doit le conduire à désirer ce qui dépend de lui et à accueillir avec joie ce qui n'en dépend pas et qui relève de la marche naturelle du cosmos, bref les choses indifférentes. Ensuite la «discipline de l'action» (l’éthique) exige de toujours pratiquer la justice: il s’agit d’agir raisonnablement afin de s'accorder à l’humanité tout en maintenant une réserve, car le résultat final de nos actions relève de l'entrelacement global des causes, donc du cosmos. Finalement, la «discipline du jugement» (la logique) permet au stoïcien de distinguer ce qui lui appartient et ce qui relève de la marche de l’univers: l'exercice de la logique exige qu’il n'admette en sa faculté directrice (hegemonikon) que des représentations vraies ou objectives, car celles-ci ne causent pas de troubles dans l'âme et lui permettent de contempler la nature universelle telle qu'elle est.

Enfin, nous ne reviendrons pas davantage sur les écrits personnels et les notes qui servaient l’appropriation de la règle de vie choisie, mais les hypomnêmata des stoïciens de la période impériale sont un bon exemple de l’usage du discours dans cette école. Ils présentent un bon exemple en ce qu’ils illustrent de manière directe le projet stoïcien qui consiste à fortifier sa vie intérieure, à faire de l’âme une «citadelle» imprenable, selon la formule d’Épictète qui fut reprise par Hadot pour intituler son introduction à Marc Aurèle.

Bien évidemment, une étude plus complète des modes de vie philosophiques devrait inclure aussi d’autres écoles philosophiques, comme le pythagorisme, le platonisme, le péripatétisme, la nouvelle académie et le néoplatonisme. Il faudrait s’expliquer sur le choix de ces cinq écoles antiques, car Hadot consacre plusieurs pages aux écoles de Platon, d’Aristote et de Plotin. Disons simplement qu’il a paru plus pertinent de présenter ici la diversité des écoles antiques à partir de l’héritage de Socrate que de distinguer avec soin les écoles des grands socratiques. Ce choix des écoles, en somme, ne saurait être exclusif, et a pour avantage de considérer les maîtres plus que les filiations philosophiques antiques.

Après avoir présenté et décrit sommairement la philosophie comme mode de vie chez Hadot, il reste à montrer comment celle-ci a survécu jusqu’à nos jours à travers le christianisme et la rupture qu’a constitué pour elle la philosophie moderne des XVII et XVIIIe siècles.


Principaux ouvrages de Pierre Hadot sur les écoles antiques :


Plotin ou la simplicité du regard (1963), Gallimard, 1997.
Exercices spirituels et philosophie antique (1981), Albin Michel, 2002.
La Citadelle intérieure: Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Fayard, 1995.
Qu'est-ce que la philosophie antique? Gallimard, 1995.
Éloge de Socrate, Alea, 1998.
Éloge de la philosophie, Alea, 1998.
Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres, 1998.
Plotin. Porphyre. Études néoplatoniciennes, Les Belles Lettres, 1999.
La philosophie comme manière de vivre. Entretiens, Albin Michel, 2001.
Apprendre à philosopher dans l'antiquité (avec I. Hadot), Livre de poche, 2004.


Sélection de titres récents en philosophie comme mode de vie :

Balaudé, J.-F. Le savoir-vivre-philosophique, Grasset, 2010.
Clément et Trottmann, Vie philosophique et vies de philosophes, Sens & Tonka, 2010
Domanski, J. La philosophie, thérapie ou manière de vivre? Cerf, 1996.
Foucault, M. L’herméneutique du sujet. (Cours 1981-1982), Seuil-Gallimard, 2001.
___, Le gouvernement de soi et des autres. (Cours 1983), Seuil-Gallimard, 2008.
___, Le courage de la vérité. (Cour1984), Seuil-Gallimard, 2009.
Nehamas, A. The Art of Living, University of California Press, 1998.
Tieleman, T. «The Art of Life: An Ancient Idea...», ΣΧΟΛΗ, II. 2, 2008, 245-52.
Voelke, A.-J. La philosophie comme thérapie de l’âme, Cerf, 1993.
 

Anthologies, doxographie et textes en philosophie antique :

Goulet, R. Dictionnaire des philosophes antiques, t. I-IV, CNRS, 1989-2005.

Bréhier, E. Les Stoïciens, deux tomes, Gallimard, 1962.
Dumont, J.-P., Les Sceptiques grecs, PUF, 1966.
___, Les écoles présocratiques, Gallimard, 1991.
Épicure, Lettres, maximes, sentences, LGF, Livre de poche, 1994.
Goulet-Cazé, M.-O. et L. Paquet, Les Cyniques grecs, Livre de poche, 1992.
Hadot, P. (éd.) Les Écrits de Plotin, 3 vol., Cerf, 1988-1994.

Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre de poche, 1999.
Ménage, G. Histoire des femmes philosophes, Arléa, 2006.

Arrien, Manuel d’Épictète, Livre de poche, 2000.
Aristote, Éthique à Nicomaque, Vrin, 1990.
___, Exhortation à la philosophie, Les Belles Lettres, 2011.
Cicéron, Des termes extrêmes…, 2 tomes, Les Belles Lettres, 1928.
___, Tusculanes, 2 tomes, Les Belles Lettres, 1930.
___, Les paradoxes des Stoïciens, Les Belles Lettres, 1971.
___, Le bien et le mal : De finibus, III, Les Belles Lettres, 1997.
___, Les devoirs, tome 1, Les Belles Lettres, 2009.
Empédocle, Les Purifications, Seuil, 2003.
Épictète, Entretiens, Les Belles Lettres, 1943-1965 et Gallimard, 1993.
Jamblique, Protreptique, Les Belles Lettres, 1989.
Lucrèce, De la nature, Aubier, 1993.
Marc Aurèle, Écrits pour lui-même, tome 1, Les Belles Lettres, 1998.
___, Pensées pour moi-même suivies du Manuel d’Épictète, GF, 1964.
___, Lettres inédites de Marc Aurèle et de Fronton, Levasseur, 1830.
Platon, Œuvres complètes, Flammarion, 2008.
Plutarque, Œuvres morales, 15 tomes, Les Belles Lettres,  2002.
Porphyre, De l’abstience, Livres I-IV, Les Belles Lettres, 1979-1995.
___, Vie de Pythagore, Lettre à Marcella, Les Belles Lettres, 1983.
Pythagore, Les vers d'or suivi du Commentaire…, L'artisan du livre, 1931.
Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, Belles Lettres, rééd. Laffont, 1993.
___, Questions naturelles, 2 tomes, Les Belles Lettres, 1929.
Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, Seuil, 1997.
___, Contre les professeurs, Seuil, 2002.
Xénophon, Le Banquet, Apologie de Socrate, Les Belles Lettres, 1961.
___, Mémorables, Les Belles Lettres, rééd. tome I, 2000, tome II, 2011.
___, Cyropédie, Les Belles Lettres, 1971-2003.


Sélection d’ouvrages généraux et spécialisés sur les écoles :

Brunschwig, J. Études sur les philosophies hellénistiques, PUF, 1995.
Brunschwig, J. et P. Pellegrin, Les Philosophes hellénistiques, GF, 2001.
Lévy, C. Les philosophies hellénistiques, LGF, Livre de poche, 1997.
Long & Sedley, The Hellenistic Philosophers, Cambridge U. Press, 1987.

Barnes, J. The Toils of Scepticism, Cambridge, 1990.
Benatouïl, T. Faire usage : La pratique du stoïcisme, Vrin, 2006.
Boyancé, P. Lucrèce et l’épicurisme, 1963.
Brochard, V. Les Sceptiques grecs, LGF, Livre de poche, 2002.
Brun, J. L’épicurisme, PUF, 1959.
___, Le stoïcisme, PUF, 1980.
Burnyeat, M. (ed.) The Skeptical Tradition, Berkeley, 1983.
Duhot, J.-J. Épictète et la sagesse stoïcienne, 1996.
Colardeau.T. Étude sur Épictète (1903), Encre marine, 2004.
Conche, M. Pyrrhon ou l’apparence, PUF, 1994.
Dorion, L.-A. Socrate, PUF, 2004.
Dumont, J.-P. Le Scepticisme et le phénomène, Vrin, 1972.
Festugière, A.-J. Épicure et ses dieux (1946), PUF, 1985.
___, Socrate, Cerf, 1934.
Foucault, M. Histoire de la sexualité, tomes II et III, Gallimard, 1984.
Goldschmidt, V. Le Système stoïcien et l’idée de temps, Vrin, 1979.
Goulet-Cazé, M.-O. L’Ascèse cynique, Vrin, 1986.
Gourinat, J.-B. Les stoïciens et l’âme, PUF, 1996.
Grimal, P. Sénèque. Sa vie, son œuvre, sa philosophie, PUF, 1948.
___, Sénèque ou la conscience de l'Empire, Fayard, 1991.
Long, A. A. Epictetus. A Stoic and Socratic Guide to Life, Oxford, 2002.
Nussbaum, M. C. The Therapy of Desire, 1994.
Onfray, M. Sagesses antiques, Grasset, 2006.
Pigeaud, J. La Maladie de l’âme, Les Belles Lettres, 2006.
Rankin, H. D. Sophists, Socratics and Cynics, Croom / Helm, 1983.
Romeyer Dherbey, G. et J.-B. Gourinat (éd.), Les stoïciens, Vrin, 2005.
___, Socrate et les socratiques, Vrin, 2001.
Rist, J. M. Epicurus. An Introduction, Cambridge, 1972.
Salem, J. Lucrèce et l’éthique. La mort n’est rien pour nous. Vrin, 1997.
Sayre, F. Diogenes of Sinope : A study of Greek Cynicism, Furst, 1948.
Sauvage, M. Socrate et la conscience de l'homme, Seuil, 1956.
Vlastos, G. Socrate. Philosophe moral et ironiste, Aubier, 1994.
___, Socratic Studies, Cambridge, 1993.
Voelke, A-J. L’Idée de liberté dans le stoïcisme, PUF, 1973.


Notes :

 


 

[1] Bréhier, É. Histoire de la philosophie, tome 1, 2, 1961, 264-7. À propos des socratiques, voir le collectif: Romeyer Dherbey, G. et J.-B. Gourinat (éd.), Socrate et les socratiques, Vrin, 2001.

[2] Platon, Apologie de Socrate, 29 d-e.

[3] Platon, Apologie de Socrate, 41 d. Cf. Qu’est-ce que la philosophie antique? 65.

[4] Qu’est-ce que la philosophie antique? 60-6.

[5] Platon, Apologie de Socrate, 38 a.

[6] Dorion, L.-A. «Akrasia et enkrateia dans les Mémorables de Xénophon», Dialogue, 4-42, 2003, 645-72.

[7] Balaudé, J.-F. Le savoir-vivre-philosophique, Grasset, 2010, 144

[8] Arendt, H. «Le deux-en-un», La vie de l’esprit, tome 1, PUF, 1981, 190-219.

[9] «Ne faudrait-il donc pas, Socrate, que tu penses aussi à ce que tu vas dire pour te défendre?» Socrate lui répondit tout d’abord: «Ne te semble-t-il donc pas que j’ai passé ma vie entière à préparer ma défense?» Xénophon, Apologie de Socrate, 3-4, Les Belles Lettres, 1961, 102-3.

[10] Qu’est-ce que la philosophie antique? 56.

[11] Goulet-Cazé, M. et O. Paquet, Les Cyniques grecs, Livre de poche, 1992, 18-20.

[12] Qu’est-ce que la philosophie antique? 170-1.

[13] Qu’est-ce que la philosophie antique? 172. À ce propos, Goulet-Cazé, M.-O. et O. Paquet, Les cyniques grecs, Livre de poche, 1992, 9.

[14] Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, VI, Livre de poche, 1999.

[15] Qu’est-ce que la philosophie antique? 173.

[16] Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, VI, 32, 38. À ce propos, Goulet-Cazé, M.-O. et O. Paquet, Les cyniques grecs, Livre de poche, 1992, 77-8.

[17] Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, Livre de poche, 1999.

[18] Qu’est-ce que la philosophie antique? 175.

[19] Bréhier, É. Histoire de la philosophie, tome 1, 2, 1961, 375.

[20] Qu’est-ce que la philosophie antique? 176. Cf. aussi Brochard, V. Les Sceptiques grecs, Livre de poche, 2002, 68.

[21] Voir Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, 105-6. Voir à ce propos, Conche, M. Pyrrhon ou l’apparence, PUF, 1994.

[22] Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 194-204. Voir Laërce, D. Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, 61-4.

[23] Sextus Empiricus, Hypotyposes, III, 235.

[24] Épicure, Lettre à Ménécée, 124: Épicure, Lettres, maximes, sentences, Le livre de poche, 1994, 192.

[25] Qu’est-ce que la philosophie antique? 180-2.

[26] Qu'est-ce que la philosophie antique? 191-2. Cf. «Introduction», Épicure, Lettres, maximes, sentences, Le livre de poche, 1994, 113.

[27] Balaudé, J.-F. «Introduction» à Épicure, Lettres, maximes, sentences, Le livre de poche, 1994, 18-23. Voir Voelke, La philosophie comme thérapie de l’âme, Cerf, 1993,

[28] Épicure, Maxime capitale, XII. Cf. Qu’est-ce que la philosophie antique? 184-5.

[29] Voelke, A.-J. «Opinions vides et troubles de l'âme» in: La philosophie comme thérapie de l’âme, Cerf, 1993, 59-72.

[30] Qu’est-ce que la philosophie antique? 199. Cf. Sénèque, Lettre 20, 2-5. In Entretiens. Lettres à Lucilius, rééd. Laffont, 1993, 649.

[31] Épictète, Manuel, I, I, GF, 1964, 207. Cf. Entretiens, I, I, Gallimard, 1993. 13-6.

[32] Sénèque, Lettre 93, 2-3 in Lettres à Lucilius, Les Belles Lettres, rééd. Laffont, 1993, 932.

[33] «Une clé des Pensées de Marc Aurèle: Les trois topoï philosophiques selon Épictète», Exercices spirituels…, 165-192. Cf. La Citadelle intérieure: Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Fayard, 1995.

 

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