Le suffrage universel

Victor Hugo

Le plus grand acte de la République de 1848 fut d'établir le suffrage universel.

Et voyez comme ce qui est profondément juste est en même temps profondément politique. Le suffrage universel, en donnant à ceux qui souffrent un bulletin, leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur donne le calme.

Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique : « Soyez tranquilles, vous êtes souverains. »

Il ajoute : « Vous souffrez? eh bien, n'aggravez pas vos souffrances, n'aggravez pas les détresses publiques par la révolte. Vous souffrez ? eh bien, vous allez travailler vous-mêmes, dès à présent, à la destruction de la misère, par des hommes qui seront à vous, par des hommes en qui vous mettrez votre âme, et qui seront en quelque sorte votre main. Soyez tranquilles. » 

Puis, pour ceux qui seraient tentés d'être récalcitrants, il dit:

« Avez-vous voté? — Oui. — Vous avez épuisé votre droit, tout est dit. Quand le vote a parlé, la souveraineté a prononcé. Il n'appartient pas à quelques-uns de défaire ni de refaire l'oeuvre de tous. Vous êtes citoyens, vous êtes libres, votre heure reviendra, sachez l'attendre. Enattendant, travaillez, écrivez, parlez, discutez, éclairez-vous, éclairez les autres. Vous avez à vous aujourd'hui la liberté, demain la souveraineté : vous êtes forts !... »

Il y a un jour dans l'année où le gagne-pain, le journalier, le manoeuvre, l'homme qui traîne des fardeaux, l'homme qui casse des pierres au bord des routes, juge les représentants, le Sénat, les ministres, le président de la République. Il y a un jour dans l'année où le plus modeste citoyen prend part à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l'air vaste des affaires publiques; un jour où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l'âme de la patrie. 

Quel accroissement de dignité pour l'homme, et par conséquent de moralité. Quelle satisfaction, et par conséquent quel apaisement ! 

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