Le New Age, religion américaine parfaite

David Vann

Il y a aussi une dimension spirituelle forte dans ce livre: Galen devient un monstre par sa recherche de détachement intérieur... Pourquoi transformer une spiritualité pacifiste en violence?

Vous savez, j’ai cru, au même âge que Galen (1), à la philosophie New Age. Je suivais des ateliers de méditation et de relaxation au lycée, j’ai tenté la chirurgie éthérique, la visualisation créative et j’ai même cru pouvoir marcher sur l’eau, rejoignant des lacs de montagne et espérant à chaque fois que mes pieds ne s’enfonceraient pas. C’étaient les années 80 en Californie. Au fond, ce que je voulais vraiment c’était du sexe, ce qui se révèle en général la principale pulsion derrière ces activités spirituelles. Je croyais trouver dans les livres du New Age une magnifique transcendance, une pureté qui me libérerait de toute la saleté du monde, je cherchais à me retrouver après le suicide de mon père; mais ce que j’ai vraiment trouvé, c’est un profond égoïsme. Dans la religion New Age, les autres n’existent pas. Chaque personne rencontrée est une ombre qui vient dans notre propre transcendance. Un croyant New Age est comme le garçon de la nouvelle de Nabokov, Signes et symboles. Il souffre d’une maladie mentale nommée « la manie référentielle », il pense que tout dans le monde lui est adressé. Lorsque les nuages bougent dans le ciel, ils lui disent quelque chose sur lui. Cette histoire appartient à la métafiction : Nabokov décrit le monde d’un protagoniste de récit. Mais le croyant New Age se croit lui aussi le protagoniste du monde, et je crois que cet extrême solipsisme mène inévitablement à la violence, puisque tout ce qui est bas en nous peut être justifié par notre système de croyances. Le roman retrace cette route de la philosophie à la violence. Plus Galen s’approche de la transcendance, plus il se détache de ce qu’il inflige réellement à sa mère. La religion et la philosophie peuvent fournir des justifications à tout ce qu’il y a en nous de plus barbare.

La religion New Age n’a-t-elle pas aujourd’hui disparu?

 Les croyances New Age ne disparaîtront jamais: beaucoup de gens veulent se croire le centre du monde, capables de contrôler ce monde. C’est la religion américaine parfaite puisqu’elle est centrée sur l’individu et chaque membre peut se dire autonome dans sa foi. Le New Age libère aussi du poids de la race ou de la classe sociale, puisqu’il dit que l’on peut choisir ses parents, ses croyances. Si vous êtes né noir et pauvre, que vous avez eu un bras coupé par une machette, c’est un destin que vous avez choisi pour atteindre votre singulière transcendance. Je vous l’ai dit, c’est une croyance monstrueuse.

« David Vann : la culture américaine engendre des monstres ». Introduction et propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani. Transfuge, no 66, mars 2013, p. 22

(1) Protagoniste du roman Impurs que vient de faire paraître l’écrivain.




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