La preuve scientifique est rarement univoque
Question : La preuve par l’expérience n’est pas aussi désincarnée qu’on le pensait?
D.P. Obtenir une preuve est rarement quelque chose de simple, d’univoque. Pour obtenir un bon résultat, c’est-à-dire un résultat susceptible de résister au temps et de convaincre ses collègues, il faut « travailler » le phénomène, le stabiliser, le rendre reproductible, ce qu’il n’est pas spontanément. L’expérimentateur en est souvent le seul capable du fait de son savoir-faire pratique. Au XIXe siècle, du vivant du Britannique James Joule, personne ne parvenait par exemple à reproduire les mesures très fines de température qui lui ont permis de découvrir les lois de conversion de l’énergie mécanique en énergie thermique. Il est très probable que le savoir-faire de Joule, qui exerçait la journée le métier délicat de brasseur de bière, entrait pour beaucoup dans ses réussites. De plus, l’article que publie le chercheur à l’issue de ses expérience est un condensé, une simplification, une réécriture, de ce qu’il a réellement fait. Et les scientifiques, quoi qu’ils en disent, ne refont que très rarement les expériences de leurs collègues.
L’entretien du mois – Dominique Pestre : « Les sciences ne sont pas les seuls savoirs décisifs dans les débats publics ». Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis. La Recherche, no 474, avril 2013, p. 76.