Karajan et Bernstein : deux approches opposées de la direction d’orchestre

Krystian Zimerman

Extrait d'une longue entrevue accordée au magazine français Le Pianiste.

Peut-on comparer Karajan et Bernstein ?

Il n’y avait pas plus différents.

Pourquoi?

Imaginez, par exemple, qu’au début du Concerto no 2 de Brahms, il y ait un problème : le cor joue en retard. Karajan l’arrêterait immédiatement, répéterait de nouveau, jusqu’à ce que le cor soit au point. Il dirigerait le cor et le piano séparément, les deux devant finalement sonner ensemble. À sa manière, il a raison.

Bernstein, quant à lui, s’arrêterait aussi, ferait répéter le passage en question, s’arrêterait encore puis se tournerait vers moi en disant : « Est-ce que tu ne pourrais pas jouer un peu en retard? Parce que le cor est en retard! » Au début je me disais que ce n’était pas très professionnel; ensuite, j’ai écouté la phrase musicale et je l’ai aimée. J’ai donc réalisé qu’il avait dit ce qu’il fallait. Lui aussi avait raison. Et il y aurait beaucoup d’exemples comme cela.

Quels souvenirs gardez-vous de vos concerts?

Avec Karajan, précis à la seconde près. Avec Bernstein, il pouvait être deux fois plus long s’il l’avait décidé. Un soir, il est arrivé triste et contrarié avant un concert. Il m’a dit que c’était l’anniversaire de la mort d’un ami. Je lui ai demandé de qui il s’agissait. Il m’a répondu : « Kennedy »! Qu’est-ce que cela signifiait musicalement ? Eh bien, il est arrivé sur scène et a dirigé sa Symphonie no 2 deux fois plus lentement que d’habitude. À partir du moment où j’arrivais à comprendre cette émotion particulière, je pouvais continuer le concert tout à fait à l’aise.

Krystian Zimerman, « Jouer comme si la vie en dépendait » (entretien). Propos recueills par Bertrand Dermoncourt, Le Pianiste, no 79, mars-avril 2013, p. 25.




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