Pour l'étude de la religion populaire au Québec

Benoît Lacroix
Les propos qui suivent, on l'a deviné, sont plutôt ceux d'un historien et d'un praticien du catholicisme populaire québécois (1) que ceux d'un idéologue inquiet des frontières entre le sacré et le profane (2). Il s'agit, en outre, du seul phénomène religieux québécois tel que nous le connaissons au Centre d'études des religions populaires de Montréal (3) et tel que nous tentons de le définir au nouvel Institut québécois de recherche sur la culture (4).

La religion du plus grand nombre des Canadiens français désormais appelés les Québécois se définirait comme une espèce nord-américaine de catholicisme dont les formes, les croyances et le rituel ont presque tous été importés d'Europe, de France, de l'Ouest en particulier. De Rome viennent les consignes; la France, elle, transmet plutôt l'esprit. Cette religion, surtout provinciale, aurait ceci de particulier qu'elle continue au Québec telle quelle dans sa structure et ses manières extérieures jusqu'au milieu du XXe siècle, sans avoir vécu vraiment ni la Renaissance (XVe et XVIe s.), ni la Réforme protestante (XVIe s.), ni surtout la Révolution française (XVIIIe s.). On se retrouve donc avec une religion "médiévale" marquée par une continuité étonnante, cléricalisant à peu près toutes les activités et fortement portée à rejeter ou à ranger tout ce qui n'est pas strictement catholique au sens historique du mot (5).

Déjà, il faudrait bien s'entendre, au moins provisoirement sur les mots phénomène, religieux et populaire, qui vont revenir au cours de ces lignes. Phénomène veut dire dans cet essai: ce qui est expérimental, manifeste, apparent, ce qui est traduit visuellement ou oralement, par l'imprimé même, mais au nom du vécu quotidien. Quant à religieux, nous retenons aussi un sens davantage encyclopédique: ce qui est vécu par le peuple québécois, vécu plutôt que perçu comme relié à Dieu, à l'Eglise, à des personnes; d'où rites, pratiques, obligations. Enfin, populaire signifiera tout bonnement comme le peuple l'entend si souvent: le grand nombre, une majorité même, ce qui est usité, connu et pratiqué par le public. Aucun sens apologétique, aucun sens péjoratif dans l'usage que nous faisons de ces trois mots qui, pédagogiquement et jusque dans leurs ambiguïtés, ont déjà fait leurs preuves quand il s'agit de se comprendre plutôt que de se juger.

Cette religion catholique de la majorité, nous l'appelons "populaire" (6) pour rejoindre les nouvelles catégories de l'étude des sciences religieuses. Telle qu'elle se présente dans notre histoire, dans la très courte histoire de la culture québécoise, que nous soyons d'accord ou pas sur son contenu, cette religion populaire fait partie de notre patrimoine. Un agnostique autant qu'un mystique peut désormais s'y intéresser, mais c'est récent, sans pour autant y adhérer ouvertement. Pour toutes sortes de raisons religieuses, culturelles, historiques, anthropologiques ou autres, il devient intéressant de cerner, par exemple, comment s'oriente actuellement l'étude de cette religion populaire au Québec: c'est l'objet de cet essai.


Culture via Religion

A l'Institut québécois de recherche sur la culture

L'un des plus récents témoignages de cet élargissement des perspectives à retenir est sans doute celui de l'Institut québécois de recherche sur la culture dont les activités, premières à tous égards, ne datent que de quelques mois. Désormais, ce n'est plus la religion qui dicte sa problématique à la conscience québécoise, comme au temps de Mgr Camille Roy et même de Lionel Groulx. Cette fois, la culture crée des intérêts nouveaux, une problématique plus universaliste, et la recherche de l'identité donne le feu vert. Trois orientations ont déjà été prévues selon les critères fondamentaux: une définition si vaste de la culture qu'elle correspond en fait à la définition que l'on donnait de la civilisation il y a cinquante ans à peine; de plus, il est question d'étudier la culture d'ici sous forme de dialogues et d'interrogations à tous les niveaux de la société, les changements culturels croisant les problèmes d'identité; puis, la notion de "culture populaire", même si le mot agace certains théoriciens mal informés de la bibliographie étrangère, prendra de plus en plus d'importance dans la recherche (7).

En effet, les phénomènes de masse occupent l'espace des études scientifiques. En historiographie en particulier, nous assistons à de nouvelles manières de concevoir l'événement, le document et la personne qui le raconte. Avec des documents oubliés, ou presque, Le Roy Ladurie ressuscite l'histoire de tout un village et ouvre les horizons insoupçonnés de la mentalité globale (8). Jean-Claude Schmitt raconte, à partir d'un texte mineur et en alliant les méthodes de l'histoire et de l'anthropologie, comment se créent des cultes et s'inventent même des croyances qui deviendront des rites et des manières de vivre et de mourir (9).

Tel est le contexte des temps nouveaux. Au lieu de réduire l'étude de la religion à des luttes de pouvoir ou même de classes, avec des théories qui s'appliquent plutôt à la vie économique et politique, la "nouvelle culture" tend à tout englober: la confrontation avec le passé et la perspective futuriste (10). La culture dès lors devient le premier lieu d'enquêtes, de recherches, de bilans et de prospectives. Dans cette perspective éclatée de tous côtés, l'étude du catholicisme québécois tend à devenir celle d'un phénomène religieux populaire au sens le plus global du mot. Nous savions déjà comment la culture du plus grand nombre s'exprime moins par des procédés de culture savante réservés à sa minorité, que dans des coutumes, des croyances, des agirs et des rituels surtout qui ont, eux aussi, leur vie et leur histoire. Ainsi, l'on n'aborde pas la religion traditionnelle des Québécois comme on étudie les dernières inventions techniques. Le catholicisme et toutes ses pratiques remontent loin derrière nous. L'on ne se limite pas aux seules idéologies non plus, ni encore moins aux rapports Eglise-Etat à la manière médiévale. Telle est du moins l'option du nouvel organisme dont nous parlions plus haut.

D'ailleurs l'Institut québécois de recherche sur la culture s'est directement impliqué dans cette nouvelle manière de faire l'histoire religieuse au Québec en répétant à qui veut l'entendre que cette manière a l'avantage d'être accessible à tous. Citons la problématique qui fixe le nouveau champ culturel et qui, semble-t-il, oriente en partie celle du présent numéro de Critère.

Dans la religion populaire, le traditionnel tient souvent lieu de l'historique. La longue durée et le retour au passé y occupent une place privilégiée, car l'objet ne se laisse pas encadrer par la seule modernité. Et l'histoire d'un culte restera toujours une longue histoire, non un phénomène local. Au travers de ces recherches seront progressivement définies une problématique plus vaste de la place dans la culture populaire des vécus de la religion populaire (composition mixte de rites, croyances et agirs), de même qu'une problématique des rapports entre la religion populaire urbaine et la religion populaire rurale. Il n'est pas dit que l'une et l'autre soient si différentes aujourd'hui et la "pensée populaire", peu livresque, est aussi mobile que l'esprit qui l'anime. D'ou la décision d'entreprendre des monographies sur des sujets relativement restreints (le mois des morts, le contrat de mariage, etc.) traités en relation avec le vécu religieux quotidien des personnes, de la famille, de la paroisse (11).

Dans le même esprit d'une recherche qui respecte les ensembles et qui tient compte des études monographiques, traditionnelles et modernes à la fois, nous opérons actuellement à partir de sujets relativement restreints traités toujours en relation avec le vécu religieux quotidien. Quatre étudiants ont été, à divers titres, assignés à cette tâche: Hélène Dionne, Danielle Nepveu, Louise Rondeau, Michelle Trudel-Drouin.

Pour sa part, Michelle Trudel-Drouin se doit de créer une anthologie du vécu religieux populaire en Nouvelle-France. Il s'agit avant tout d'ouvrir des perspectives et d'encadrer un territoire de recherches qui obéissent à la nouvelle historiographie. Projet unique en son genre, qui exige beaucoup de discernement et en même temps des connaissances historiques et littéraires qu'une seule personne ne saurait posséder totalement. Aussi collaborent à ce projet Madame Denise Lemieux-Michaud et, à titre bénévole, professeurs et étudiants d'université.

A Hélène Dionne de l'Université Laval, qui vient de publier une étude sur les contrats de mariage, nous avons demandé de consulter les testaments sur une période donnée (1850-1900), en référence avec le vécu religieux du plus grand nombre. Le travail d'Hélène Dionne, terminé dans quelques mois, vise avant tout l'étude en détail des formulaires et des significations religieuses du testament. Il s'inscrit en outre dans la ligne des fresques socio-culturelles de Le Roy Ladurie, M. Vovelle et P. Ariès, toutes reliées à la mise en oeuvre d'une nouvelle lecture des pièces juridiques et d'un nouveau discours sur les documents " froids" de l'ancienne historiographie.

Pour nous rappeler l'histoire des mentalités religieuses d'ici durant les années 1950-1960 et la manière dont ces mentalités plutôt naïves, pour ne pas dire davantage, pouvaient se forger dans les écoles élémentaires du Québec à l'époque, nous nous devions de pratiquer quelques sondages précis auprès des manuels de français, de géographie, de mathématiques et même des autres manuels profanes du temps. Jusqu'à quel degré et à quel niveau surtout ces documents pouvaient-ils signifier la qualité de la religion populaire du temps? Danielle Nepveu nous a remis un dossier éloquent autant qu'amusant que l'Institut québécois de recherche sur la culture espère faire connaître au public en 1981.

Une vraie recherche en matière de religion populaire doit savoir, en même temps que pratiquer l'étude de l'héritage, détecter les perspectives de l'avenir. Louise Rondeau de l'Université Laval est en train d'interroger un secteur privilégié de l'eschatologie québécoise contemporaine dans la perception des fins dernières, ou même de l'an 2000, et cela dans différents milieux. Ce travail plein de surprises paraîtra aussi dans quelques mois (12).


Les études se multiplient

Nous pourrions facilement montrer à quel point cette déclaration de principe répond à plusieurs titres à la manière dont l'historiographie s'oriente déjà au Québec. Au lieu de la seule histoire des institutions cléricales dont on p eut dire tout le mal qu'on voudra mais qui ont rendu d'énormes services au peuple en général, voici, ici et là, des livres, des articles, des essais qui montrent bien l'éclatement des frontières du savoir et de l'intérêt porté à toutes les manifestations de la religion du peuple. Nous pourrions citer le premier bilan de J.-C. Falardeau en 1962 (13), puis celui de J.-P. Montminy en 1974 (14). Grâce à la Bibliographie du Québec, aux bulletins de la Revue d'Histoire de l'Amérique française et à tant de services techniques, SODAR, HISCABEQ, nous pouvons facilement retrouver les grands titres et les grands noms qui s'imposent. En ce qui a trait à notre point de vue, les travaux des "maîtres", Trudel, Hamelin, Wallot, Lemieux, Dechêne et autres, s'imposent toujours. Le secteur de la prédication bien cerné par Louis Rousseau (15) et celui des testaments par M.-A. Cliche (16) suffisent à montrer, à titre d'exemples, comment notre historiographie s'oriente de plus en plus vers des thématiques socio-culturelles qui rejoignent, quand elles ne les ont pas devancées, celles de l'Institut québécois de recherche sur la culture.

Evidemment, et puisqu'il s'agit d'une nouvelle historiographie religieuse "populaire", nous devons signaler les travaux autant que les mérites de nos collègues du Centre d'études des religions populaires de Montréal et surtout du groupe de l'Université Laval, sous la direction enthousiaste du professeur Jean Simard, dont nous retrouvons tour à tour l'esprit, le goût du dossier et le respect des anciens dans un livre au titre bien réaliste: Un patrimoine méprisé (17).

L'on trouvera soit chez Leméac, soit chez HMH, et de plus en plus au Boréal Express, les fruits immédiats des enquêteurs sur le terrain, dont la plupart sont regroupés au CELAT (Centre d'études des langues et arts traditionnels). Il ne se trouve presque plus d'universités ni même de sociétés historiques qui ne présentent dans leurs travaux quelques textes sur un point ou l'autre de la religion des Québécois.


Dix colloques en 10 ans !

Quant au Centre d'études des religions populaires, institution née en 1968, il fut d'abord et indirectement lié à l'Institut d'études médiévales de l'Université de Montréal. Ce Centre d'études s'occupe davantage d'orientation et d'animation collective que de recherches savantes proprement dites. C'est ainsi que depuis 1970 ses directeurs organisent rencontres et colloques dont voici la liste:

4 octobre 1970 - Bilan méthodologique, à Saint-Gervais de Bellechasse, Québec.

6 octobre 1971 - Le merveilleux, à l'Université Laval, Québec.

14 octobre 1972 - L'imagerie populaire, à l'Université du Québec, Montréal.

29 septembre 1973 - Religions populaires dans les Cantons de l'Est, à l'Université de Sherbrooke.

5 octobre 1974 - Foi populaire et foi savante, au Collège des Dominicains, Ottawa.

4 octobre 1975 - Religion populaire, milieu naturel et cadre social, à l'Université du Québec, Chicoutimi.

2 octobre 1976 - Les pèlerinages au Québec, à l'Université du Québec, Trois-Rivières.

ler octobre 1977 - Folklore maritime et religion populaire, à l'Université de Moncton, N.B.

30 septembre 1978 - Religion populaire et travail, à l'Université de Sudbury, Ontario.

27 septembre 1980 - Médecine populaire et religion traditionnelle, au Centre canadien d'études sur la culture traditionnelle, Musée National de l'Homme, Ottawa.

Printemps 1981 - La mort et les morts dans la religion traditionnelle du Québec, à l'Université de Montréal, Département de pastorale.

Pour le moment, le même Centre d'études des religions populaires s'occupe à organiser un colloque international sur les mythes, croyances populaires et rites religieux au Québec, prévu pour octobre 1982. Ces journées d'études seront animées par le Département de sociologie, sous la direction des professeurs Jean-Paul Montminy et Fernand Dumont. On verra à étudier les nouvelles perspectives de l'histoire globale autant qu'à opérer une synthèse des travaux déjà accomplis.

A quoi riment ces colloques mobiles? Il s'agit de sensibiliser divers milieux, de susciter de l'intérêt auprès des jeunes chercheurs, de profiter des travaux des historiens réputés et de diversifier les approches. Prenons le colloque de 1980 qui eut lieu au Centre canadien d'études sur la culture traditionnelle au Musée national de l'Homme. il portait précisément sur la médecine populaire et la religion traditionnelle. La médecine populaire et la religion? Une question de vie ou de mort, c'est le temps de le dire. On a constaté que la médecine et la religion populaires opèrent de la même manière, c'est-à-dire que toutes deux sont des phénomènes universels. Ces phénomènes répondent à des besoins fondamentaux du peuple en quête de vie et de survie, en quête de sécurité aussi et de protection. Souvent les religions, comme la médecine, sont appelées par le peuple à corriger certaines peurs et angoisses propres à l'humanité. Même si certaines religions s'appuient davantage sur leur fondateur, leur initiateur, celui-ci a souvent paru, au peuple du moins, comme un médecin sauveur, guérisseur et thaumaturge. En outre, la médecine et la religion en appellent concrètement à des formules plus ou moins magiques, selon les cas, et à un rituel du visuel, du toucher et même de l'odorat qui les apparente. Enfin, il n'est point nécessaire de prouver que la médecine populaire des Canadiens français s'accompagnera de prières et d'un gestuel bien proche de ceux du catholicisme traditionnel. Ces divers aspects furent étudiés à Ottawa en 1980 et deviendront l'objet d'une publication du Musée de l'Homme. Anthropologues, sociologues et ethnologues s'étaient partagé les discussions de la journée.

Il faut dire que la majorité des colloques 1970-80 ont déjà fait l'objet de publications de qualité appréciable. Déjà sont parus:

1 - Les religions populaires, éd. P. Boglioni et B. Lacroix, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1972, 154 p.

2 - Le merveilleux, textes présentés par F. Dumont, J.-P. Montminy et M. Stein, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1973, 162 p.

3 - Recherche et Religions populaires, dans Cahiers de l'Institut Social Populaire - 11, éd. A. Désilets et G. Laperrière, Montréal, Bellarmin, 1976, 204 p.

4 - Foi populaire et foi savante, Paris, Cerf, 1976, 168 p.

5 - Religion populaire, milieu naturel et cadre social, dans Protée, 5 (printemps-automne 1976) Chicoutimi, 82 p.

6 - Religion populaire et travail, dans Revue de l'Université Laurentienne, 12, 1 (novembre 1979) Sudbury, 130 p.

7 - Les pèlerinages au Québec, éd. P. Boglioni et B. Lacroix, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1981, 280 p.


Nouvelles pistes de travail

Nous ne pourrions pas nommer ici tous les chercheurs ni citer les articles qui se publient dans tous les milieux et jusque dans les coins les plus reculés de notre "province", là où on s'intéresse à l'histoire et à notre patrimoine. Quand même, nous avons suffisamment de pain sur la planche pour prévoir déjà certaines lignes de recherches des études à venir. On s'intéresse de près aux saisons religieuses des Québécois, à leurs appréhensions et à leurs peurs vis-à-vis de l'au-delà en particulier. On trouve des étudiants, des jeunes et des moins jeunes prêts à s'aventurer dans l'étude des sectes et des marginaux de notre catholicisme traditionnel. D'autres redécouvriront les documents froids à la manière de Le Roy Ladurie, comme pour les faire parler: étude des testaments, des contrats de mariage, des inscriptions funéraires, des baptistères, des coutumiers de communautés, etc. Terrain quasi vierge et illimité qui rend plus urgent l'opération première de toute étude sérieuse à longue durée: le dépistage des thèmes.

Parmi les champs privilégiés d'observation en histoire globale, rurale, urbaine surtout, ouvrière ou professionnelle, il y aura donc et de plus en plus ceux des phénomènes religieux de masse. Pensons tout de suite à notre catholicisme du début du siècle, aux grands pèlerinages québécois, à la multiplicité des confréries, à diverses associations assez uniques en leur genre et aujourd'hui lieu de mutations culturelles accélérées.


Le dépistage des thèmes

Avant d'écrire l'histoire de la religion du peuple québécois d'autrefois et d'aujourd'hui, une révision, au moins provisoire, des thèmes qui la font est essentielle. Un groupe de chercheurs procède à cette revue en interrogeant le peuple lui-même, en tenant compte des premiers sondages, ceux du Bulletin de Recherches historiques en particulier, ainsi que des publications du Centre d'études des religions populaires à Montréal.

Pour l'instant, nous nous retrouvons avec une thématique religieuse de plus de trois cents titres, que nous tentons de regrouper selon un plan et dans un ordre qui répondent aux mentalités locales. Ce dépistage des thermes, opération assez longue on s'en doute, devrait être terminé dans quelques mois et déboucher sur un essai didactique sur la religion populaire des Québécois que l'Institut québécois de recherche sur la culture promet de rendre accessible à tous les étudiants.


Un jour, dam les écoles ...

Disons que nous ne pouvons oeuvrer sous de meilleurs auspices. La crise du refus religieux s'absorbe peu à peu par le peuple. Les jeunes sont peu tendus, moins "poignés" par le passé religieux des Québécois; ainsi l'éclairage culturel est accessible à tous. L'ethnologie remet le peuple au premier plan, en même temps que les phénomènes de masse. L'Eglise catholique elle-même accepte d'être critiquée et elle est déjà, en son propre sein, objet de révisions sévères. Nous serions donc prêts à reconsidérer de front, mais sous d'autres angles et pour d'autres motivations que celles de l'apologétique ou du refus global, ces phénomènes religieux de masse avec leurs charges d'affectivité, leurs superstitions et leur mysticisme. En s'intéressant de plus en plus aux phénomènes religieux de masse, en constatant que déjà plusieurs jeunes y consacrent des essais, des thèses, des mémoires, nous sommes évidemment réconfortés à l'idée que nous nous retrouvons en accord avec les tendances de la nouvelle historiographie des sciences humaines (18).

Notre espoir est qu'un jour dans les écoles, dans toutes les écoles du Québec, les phénomènes religieux québécois soient étudiés directement en toute paix, sans le moindre soupçon d'atteinte à la liberté de conscience, chacun apprenant dès lors à respecter, voire à aimer la sensibilité populaire. Qu'on appelle la religion "opium du peuple" ou "ferment de civilisation", cela ne regarde que ceux qui ont besoin d'étiquettes pour se valoriser. La vraie religion, comme l'art, comme la métaphysique, est mystique et valorise autant qu'elle respecte celui qui la connaît. Pour sa part, la religion dite catholique québécoise ne saurait être enseignée que si justement l'on apprend à respecter autant qu'à critiquer au besoin la sensibilité du peuple d'ici et ses rêves d'immortalité.


Un sacré international?

Il existe un "sacré international et populaire" dont on peut dire, si l'on est quelque peu familier avec les oeuvres de Mircea Eliade ou de Georges Dumézil, qu'il est quelque chose d'ennoblissant et d'enlevant pour quiconque cherche à grandir au meilleur de son coeur et à nourrir les grandes avenues de son royaume intérieur.

Bien entendu, nous ne serons pas dupes. Le peuple n'a pas que des qualités. Il oscille continuellement entre la superstition et l'adoration. Qui l'écoute sans discernement risque de privilégier la médiocrité. La maladie du syncrétisme menace les plus racés d'entre nos intellectuels autant qu'elle favorise les modes et les conclusions hâtives du peuple. Pourtant ce même peuple québécois urbain, qui a bien vite quitté ses églises, ne cesse de rechercher à sa manière le sacré, le primitif, le merveilleux et, chez plusieurs, le goût de la méditation priante. Face à ce renouveau spirituel, des jeunes en particulier ont remplacé les lois qu'ont subies leurs parents déroutés par des expériences encore difficiles à évaluer. Mais au moins, ils auront pris l'initiative d'une renaissance religieuse, encore à venir oui, mais positivement orientée par la recherche des valeurs, des valeurs d'intériorité qui sont souvent tout à leur honneur. »


Notes

1. Une bibliographie complète des principales études (articles, livres) de religion populaire (1900-1980) est actuellement en préparation, sous les soins de Madeleine Grammond, service des bibliothèques à l'Université de Montréal. En attendant, on consultera "l'Orientation bibliographique" dans Un patrimoine méprisé. La religion populaire des Québécois, Montréal, Cahiers du Québec/Hurtubise HMH, 1979, pp. 287-294; aussi "Religion populaire des Québécois", dans Communauté chrétienne, 16, 96 (novembre-décembre 1977), pp. 527-698.
2. Voir J.-P. Audet et al., La désacralisation, essais, Montréal, HMH, 1970, 208 p.
3. Benoît Lacroix, "Pour l'étude de la religion populaire des Canadiens français et québécois", dans Travaux et Communications (Académie des Sciences Morales et Politiques) 1, Sherbrooke, Editions Paulines, 1973, pp. 169-178.
4. Institut québécois de recherche sur la culture, Premier rapport annuel 1979-1980, Québec, 47, rue Sainte-Ursule, 79 p.
5. Cf. "Histoire et religion traditionnelle des Québécois (1534-1980)", numéro spécial de Stanford French Review (Spring-Fall 1980), pp. 19-41.
6. V.g. La Religion populaire, Paris, C.N.R.S., "Colloques internationaux", no 576, 1979, 449 p.
7. Institut québécois de recherche sur la culture, op. cit., pp. 19-35.
8. Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillon: village occitan de 1294 à 1324; Le Carnaval de Romans; L'argent, l'amour et la mort en pays d'oc, parus successivement à Paris, Gallimard, 1975, 1979, 1980.
9. Jean-Claude Schmitt, Le Saint Levrier, Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1979, 273 p.
10. Cf. L'histoire aujourd'hui, ou Le Magazine littéraire, 164 (septembre 1980, un dossier, références) pp. 8-45.
11. Institut québécois de recherche sur la culture, op. cit., p. 27.
12. Le même Institut québécois de recherche sur la culture publiera les divers travaux que nous venons d'indiquer.
13. J.-C. Falardeau, "Les recherches religieuses au Canada français", dans Situation de la recherche sur le Canada français, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1962, pp. 209-228.
14. J.-P. Montminy et Stewart Crysdale, La religion au Canada, bibliographie annotée (1945-1970), Québec, Les Presses de l'Université Laval, "Histoire et sociologie de la culture", 8, 1974, 189 p.
15. Louis Rousseau, La prédication à Montréal, de 1800 à 1830. Approche religiologique, Montréal, Fides, "Héritage et projet", 16, 1976, 269 p.
16. Marie-Aimée Cliche, "Les attitudes devant la mort d'après les clauses testamentaires dans le gouvernement de Québec sous le Régime français", dans Revue d'histoire de l'Amérique française, 32, 1 (juin 1978), pp. 57-94.
17. Cf. J. Simard, J. Milot et R. Bouchard, Un patrimoine méprisé. La religion populaire des Québécois, Montréal, Cahiers du Québec/Hurtubise HMH, 1979, 309 p.
18. Micheline Lachance, journaliste plutôt qu'historienne, réussit pourtant et quarante ans après la mort de son "héros" à recréer l'atmosphère de "merveilleux" qui règne autour du Frère André, "cet obscur portier qui allait accomplir des miracles", guérisseur québécois dont la réputation de thaumaturge dépasse nos frontières et amène encore des foules à l'Oratoire Saint-Joseph, hiver comme été.



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