Réflexions sur la normalité
Vendredi le 16 avril 1999
Il est si difficile de préciser le contour de l'idée de normalité que l'on est souvent tenté de terminer dans l'humour une réflexion sur le sujet, ce qu'a fait Henri-Paul Vincent en conclusion d'un article savant: «À force de se prendre au sérieux , on risque de ne plus discerner les situations dans lesquelles la chose est nécessaire; c'est le chemin qui mène le plus sûrement à la dépression et donc à l'anormalité.» Pour illustrer sa pensée, il cite un mot de Paul Valéry à propos d'un acte anormal, un suicide, qu'André Gide avait légitimé en l'expliquant par l'abnégation. «En 1940, alors que Valéry rendait visite à Gide alité, l'auteur des Nourritures terrestres exprima son admiration pour le chirurgien Thierry de Martel qui, ne pouvant supporter la présence des Allemands à Paris, s'était donné la mort, et il ajouta: "Quelle abnégation!". Valéry sonna le valet de chambre et lui dit: "Vite, le maître délire, il parle d'abnégation". C'est peut-être le jugement le plus vrai, le plus cruel et le plus spirituel qui fût jamais porté sur Gide. Un tel sens de l'humour n'est-il permis qu'aux grands esprits? Qu'il le soit en tous cas aux esprits normaux d'une société où il fera bon vivre et où ne régnera plus la loi de la jungle, car dans la jungle tous les animaux se prennent au sérieux, c'est leur manière d'être normaux.»