Le ipatient

Abraham Verghese

Je me demande, dit en substance Abraham Verghese, médecin et écrivain, si le patient réel n'est pas devenu une simple image du patient virtuel, celui dont le cas est discuté ailleurs par un groupe d'experts réunis devant un écran. Le patient réel on ne l'a pas touché au moment du diagnostic, on ne le touchera pas quand il mourra. Il est seul pendant qu'on s'anime autour de son double virtuel, que Verghese appelle le ipatient.
Je donne ainsi l'essentiel d'une remarquable conférence que chacun peut entendre sur TED

Je me demande, dit en substance Abraham Verghese, médecin et écrivain, si le patient réel n'est pas devenu une simple image du patient virtuel, celui dont le cas est discuté ailleurs par un groupe d'experts réunis devant un écran. Le patient réel on ne l'a pas touché au moment du diagnostic, on ne le touchera pas quand il mourra. Il est seul pendant qu'on s'anime autour de son double virtuel, que Verghese appelle le ipatient.

Je donne ainsi l'essentiel d'une remarquable conférence que chacun peut entendre sur TED, qui n'est pas le premier lieu au monde, Verghese lui-même nous le rappelle, où l'on puisse s'attendre à ce que l'humain soit réhabilité face à une technique dont on regrette la démesure. Verghese raconte d'abord l'histoire d'une patiente traitée pour une maladie cardiaque, dont on découvre, in extremis, qu'elle a une grosse tumeur à chaque sein et que les métastases ont gagné l'ensemble de son corps. Une simple palpation, qui n'a jamais été faite, aurait permis de détecter ces tumeurs et de les traiter quand la guérison était encore possible.

Depuis qu'on a remplacé l'examen clinique traditionnel par des tests, les erreurs médicales de ce genre sont fréquentes, soutient le docteur Verghese, professeur à Stanford, précision qu'il donne lui-même pour écarter toute accusation de luddisme. Pour illustrer l'importance de l'attention sensible, concrète au patient, Verghese raconte aussi une leçon d'un professeur réputé appelé Bell lequel avait tiré profit d'une histoire de Conan Doyle. Une dame se présente dans le bureau du professeur. Elle lui dit bonjour, ce qui  permet à son interlocuteur de reconnaître un accent qui caractérise un région précise du voisinage d'Édimbourg.

«Vous venez de tel endroit madame», demande-t-il à la dame
-Oui , répond-elle un peu étonnée.
-Et ensuite vous avez pris un raccourci pour vous rendre ici, vous avez traversé le jardin botanique.»
Le professeur avait remarqué une glaise jaunâtre à ses pieds, preuve qu'elle avait marché dans le seul endroit où une terre de cette couleur existe, le jardin botanique.
Il lui dit enfin : «Vous travaillez n'est-ce pas à l'usine de linoléum ?
- Oui »
Il avait remarqué sur ses mains une maladie de la peau fréquente chez les travailleurs de cette usine. Il commença alors l'examen. La patiente lui avait déjà accordé toute sa confiance.

Ce professeur avait accompli à la perfection ce qui, aux yeux de Verghese, est un rite ayant des racines profondes dans les cultures. L'accomplissement de ce rite, à propos duquel il emploie des mots comme transcendance et métamorphose est essentiel à ses yeux. À la fin de sa conférence, il lit un passage de l'un de ses livres écrit au moment où le sida entraînait une mort rapide. Dans ce passage, il évoque le geste d'un sidéen mourant qui plonge sa main dans sa chemise, comme pour inviter le professeur à le palper. C'était un geste d'offrande, conclut le docteur Verghèse.

Le toucher thérapeutique fait ainsi des remontées périodiques, sans avoir réussi jusqu'à ce jour à réduire la distance entre le ipatient et son double alité, mais le témoignage du docteur Verghese est d'une qualité telle qu'il a peut-être raison quand il dit que la grande découverte médicale des dix prochaines années sera celle de la main.

 

Tableau: The doctor,  par Luke Fildes, Tate Gallery

 

 

 

 

 

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