Le culte du latin
Conrart, chez qui est née l’Académie française et qui en fut le premier secrétaire perpétuel, Conrart, célébré pour « la pureté de son goût », n’avait point étudié le latin. On pouvait donc, sans cela, faire figure, au grand siècle, dans le monde poli. La Rochefoucauld, malgré son ignorance tardivement comblée par des lectures sans méthode, trouva pour sa pensée des formules si nettes qu’elles étonnent toujours. Saint-Amant, non seulement ignorait le latin, mais s’en gaussait. Ces exemples, les premiers qui me viennent à l’esprit, car il y en a bien d’autres, ne laissent pas que de faire réfléchir. S’ils ne prouvent rien contre l’usage du latin dans l’éducation, ils ne témoignent guère en sa faveur. Ils pourraient même fournir un commencement de raisonnement à qui voudrait démontrer qu’une civilisation latine, même littérairement raffinée, se peut concevoir en l’absence du latin. La première partie de notre littérature nationale évolua généralement loin du latin, connaissance de clerc, quoiqu’il y eût aussi des clercs jongleurs, comme Chrétien de Troyes ou Benoît de Saint-More, cher à Moréas. Enfin, de nos jours, tout le monde sait qu’il y eut et qu’il y a des écrivains sans lettres latines, des femmes, des hommes aussi, fort supérieurs en talent et en expression du talent à tels docteurs et agrégés de l’Université. Alors, quoique latinisant (oh! fort modéré), quoique adhérent à l’une des ligues « pour le latin », je demeure perplexe. Si le latin m’a été utile, c’est peut-être que je l’ai regardé d’un autre œil que la plupart de ceux qui le vantent comme méthode d’éducation. Je lui ai demandé de m’ouvrir des coffres inconnus et méprisés de ceux-là mêmes qui en connaissent le contenu. Ce fut de la fantaisie. Je n’ai pas de vraie culture classique, je ne suis pas un humaniste. Rien du professeur de belles-lettres : il m’a toujours été impossible de reconnaître, en dehors du point de vue strictement linguistique, un haut et un bas latin, une langue qui aurait des vertus éducatrices et une autre qui n’en aurait pas. On écrit toujours bien quand on se sert avec ingénuité de la langue littéraire de son temps. Croit-on que le français écrit d’aujourd’hui diffère beaucoup, en valeur, du latin dont se servait, au XIIe siècle, Mathieu de Vendôme? Notre français littéraire est parlé. Oui, par nous et par ceux qui nous lisent, comme langue d’apparat. Descendez et écoutez, si vous voulez connaître le vrai français usuel.
Pour revenir à la question en litige, un point du moins est certain, c’est que les études superficielles sont plus nuisibles qu’utiles par la dispersion de l’attention qu’elles provoquent, et qu’on distribue aux enfants les éléments de beaucoup trop de choses d’une manière trop fragmentaire. La méthode universitaire semble tenir en deux mots : hachoir, gavage. Avec un système plus suivi, on trouverai, comme jadis, sa place au latin, même dans un enseignement largement scientifique comme il convient. Le latin! Sa connaissance, même imparfaite, m’a été trop agréable pour que je la dénie aux hommes qui viennent. Ce que vaut rosa, la rose, au point de vue éducatif, je n’en sais rien et je ne me hasarderai point à affirmer qu’on ne saurait bien, sans cela, apprendre à raisonner, mais cela donne peut-être à la vie une autre couleur.