Biographie de Lamarck

Ferdinand Hoefer
Biographie de Lamarck et exposition des principales idées contenues dans son oeuvre par l'historien français des sciences Ferdinand Hoefer (1811-1878).
Monet, chevalier de Lamarck, issu d’une famille noble originaire du Béarn et établi en Picardie, naquit à Barentin le 1er août 1744. Il choisit, à l’âge de seize ans, après la mort de son père, la carrière militaire, et rejoignit en Hanovre l’armée du maréchal de Broglie, où il servit jusqu’à la fin de la guerre de Sept ans (1763). Dégoûté de la vie de garnison, il quitta le service militaire, et vint à Paris suivre ses goûts pour la météorologie et l’histoire naturelle. Logé dans une petite mansarde, «plus haut qu’il n’aurait voulu,» comme il aimait plus tard à le répéter, il débuta dans la carrière scientifique par un mémoire Sur les vapeurs de l’atmosphère et par la Flore française, ouvrage qui répondit à un des besoins de l’époque et lui ouvrit, en 1779, les portes de l’Académie. Il rédigea la partie botanique de l’Encyclopédie méthodique (1785), et entra, après la mort de Buffon, son protecteur, au Jardin des Plantes, comme adjoint de Daubenton pour la garde du Cabinet du roi. Lamarck avait pris parmi les botanistes un rang distingué, lorsque la Révolution vint changer la direction de ses travaux. Le décret de la Convention (10 juin 1793) qui réorganisa le Jardin des Plantes, créa deux chaires de zoologie; Geoffroy Saint-Hilaire, qui ne s’était encore occupé que de minéralogie, et Lamarck, furent appelés à les remplir. Pour toute préparation à cet enseignement Lamarck n’avait que quelques notions de conchyliogolie; il se mit néanmoins à l’œuvre, et, après quelques mois d’un travail opiniâtre, il ouvrit son cours, au printemps de 1794 (l’an II de la République). Devenu zoologiste, il accomplit d’importants travaux de classification, sans renoncer à ses premières études, comme l’atteste son Annuaire météorologique (de 1800 à 1812) 1. Étranger à toute espèce d’intrigue, il vécut dans la retraite, uniquement absorbé par ses études et par l’éducation d’une nombreuse famille (il avait sept enfants et s’était marié quatre fois). Content d’une très modeste fortune, il refusa, en 1809, une chaire nouvellement créée à la Sorbonne, parce qu’il ne se sentait plus la force de faire les études nécessaires pour occuper dignement cette chaire. Devenu aveugle à la fin de ses jour, il trouva dans sa fille aînée une aide aussi intelligente que dévouée, et s’éteignit le 18 décembre 1829, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

En jetant un coup d’œil sur le tableau de la nature animée. Lamarck fut particulièrement frappé de voir qu’il y a des animaux qui ont une colonne vertébrale, tandis que d’autres en manquent. S’il ne fut pas le premier à remarquer ce caractère général, il l’introduisit du moins le premier (en 1792) dans la science, en divisant les animaux en vertébrés, ou animaux à vertèbres, et en invertébrés, ou animaux sans vertèbres. Cette division, bien qu’elle soit loin d’être parfaite, fut universellement adoptée 2.

Les travaux zoologiques de Lamarck portèrent particulièrement sur les animaux non vertébrés, jusqu’alors très insuffisamment étudiés. Partant de l’idée que «l’organisation va en se dégradant d’une extrémité à l’autre de l’échelle des animaux,» Lamarck assignait aux animaux vertébrés des caractères négatifs comparativement aux animaux vertébrés. Par échelle des animaux, il entendait, non point une série linéaire, disposée régulièrement suivant les genres et les espèces, mais une série assez régulièrement graduée dans les masses principales, c’est-à-dire dans les principaux systèmes d’organisation reconnus, qui donnent lieu aux classes et aux grandes familles observées. «Une telle série existe, dit-il, très assurément, soit dans les animaux, soit dans les végétaux, quoique dans la considération des genres et surtout dans celle des espèces elle soit dans le cas d’offrir, en beaucoup d’endroits, des ramifications latérales dont les extrémités sont des points véritablement isolés.»

C’est dans ses Recherches sur l’organisation des corps vivants, petit livre devenu fort rare (imprimé à Paris en 1806 et se vendant chez l’auteur, au Muséum d’histoire naturelle), que Lamarck a donné le TABLEAU DU RÈGNE ANIMAL, montrant la dégradation progressive des organes spéciaux jusqu’à leur anéantissement. Il ajoute en note que la progression de la dégradation n’est nulle part régulière ou proportionnelle, mais qu’elle existe dans l’ensemble d’une manière évidente. Dans ce tableau, les animaux sont divisés en douze classes. Les quatre premières classes comprennent les animaux vertébrés, ou caractérisés par une colonne vertébrale, faisant la base d’un squelette articulé. Les huit dernières classes sont composées des animaux qui n’ont point de colonne vertébrale, point de véritable squelette. Voici les caractères qu’il assigne à ces différentes classes.

I. LES MAMMAUX 3. — Les animaux de la 1er classe sont les plus riches en détails d’organisation et en facultés; parmi eux se trouvent ceux qui ont l’intelligence la plus développée. Pourvus de mamelles, ils sont seuls véritablement vivipares et allaitent leurs petits. Ils ont une tête mobile, avec des yeux à paupières: ils ont des poils; quatre membres articulés; un diaphragme entre la poitrine et l’abdomen: un cœur à deux ventricules et à sang chaud: des poumons libres, circonscrits dans la poitrine. A cette extrémité culminante de l’échelle animale, tous les organes essentiels sont isolés ou ont des foyers isolés. Le contraire a lieu vers l’extrémité opposée.

II. LES OISEAUX. — Ils ont, comme les mammaux, un cœur à deux ventricules et le sang chaud; mais ils manquent de mamelles, organes qui tiennent à un système de génération qu’on ne retrouve plus, ni dans les oiseaux, ni dans aucun des animaux des rangs inférieurs. Le diaphragme qui, dans les mammaux, sépare complètement la poitrine du ventre, cesse ici d’exister et ne se retrouve plus dans aucun des autres animaux. Ils ont les poumons adhérents, des plumes et sont ovipares.

III. LES REPTILES. — Ils ont le cœur uniloculaire (à un seul ventricule), et le sang froid. Le poumon est déjà fort simplifié; ses cellules sont forts grandes et proportionnellement moins nombreuses que chez les animaux des 2e et 1er classes. Dans beaucoup d’espèces, le poumon est, dans le premier âge, métamorphique, remplacé par des branchies, organes de respiration transitoires. Le nombre des membres peut descendre de quatre à deux et même devenir tout à fait nul, comme dans les serpents. Ils sont ovipares. Leur peau est nue, durcie, souvent écailleuse, sans plumes ni poils.

VI. LES POISSONS. — Les poumons sont ici remplacés par les branchies, devenues permanentes. Le squelette est incomplet et dégradé. Des nageoires. Point de bras dépendant du squelette. Plus de larynx, plus de voix, plus de paupières. Comme les reptiles, les poissons ont un cœur uniloculaire, le sang froid, un cerveau et des nerfs, et sont ovipares. Les membres ont entièrement disparu; car, excepté chez un singulier poisson d’Égypte, on ne retrouve, chez les poissons, rien d’analogue aux quatre membres des quadrupèdes.

VII. LES MOLLUSQUES. — Ces animaux, ovipares, à corps mollasse, non articulés, ni annelés, commencent la division des invertébrés. La colonne vertébrale ayant été anéantie, ils n’ont plus de vrai squelette. Leur corps est muni extérieurement de parties dures; leurs facultés sont plus bornées. Comme tous les animaux non vertébrés, ils ont l’appareil de la vision très imparfait; quand ils ont des yeux, l’iris manque. Ils respirent par des branchies, comme les poissons, et ont tous un cerveau, des nerfs, un ou plusieurs cœurs uniloculaires.

VIII. LES ANNÉLIDES.— Cette classe, créée par Lamarck d’après les données anatomiques de Cuvier, était auparavant confondue avec la classe des vers. Les animaux qu’elle renferme ont un corps allongé, mollasse, sans colonne vertébrale, sans pattes articulées, et formé d’anneaux, plus ou moins distincts, ce qui leur a valu le nom d’annélides. Ils respirent par des branchies externes ou cachées dans les pores de leur peau. Leur cœur est remplacé par deux poches distinctes, situées à la base des deux principaux troncs d’artères, ce qui indique une organisation plus parfaite que celle des vers. Ils sont ovipares et sans métamorphose.

IX. LES CRUSTACÉS. — Ces animaux, qui ont un cœur, des artères et veines, et qui respirent tous par des branchies, avaient été jusqu’alors confondus avec les insectes. Lamarck en fit le premier une classe distincte. Ils ont plus de rapports avec les arachnides qu’avec les insectes, puisque, ainsi que les arachnides, il ont, dès leur naissance, la forme qu’ils doivent conserver. Ils s’en distinguent en ce qu’ils n’ont jamais de stigmates, ni de trachées aérifères. Leur corps, recouvert d’une peau crustacée et divisé en plusieurs pièces, leur a fait donner le nom qu’ils portent.

X. LES ARACHNIDES. — Lamarck les a également séparés des insectes, avec lesquels ils avaient été confondus. «Quoique plus voisins des insectes que des crustacés, les arachnides, dit-il, n’en doivent pas moins être distingués des insectes, et les précéder dans l’ordre du perfectionnement de l’organisation; car il ont, comme tous les animaux de tous les rangs antérieurs, la faculté d’engendrer plusieurs fois dans le cours de leur vie, faculté dont presque tous les insectes sont privés. En outre, les arachnides doivent former une classe particulière, car ils ne subissent point de métamorphose, et ils ont, dès les premiers développements de leur corps, des pattes articulées et des yeux à la tête. Leurs rapports avec les crustacés forcent de les placer entre ceux-ci et les insectes.»

XI. LES INSECTES. — Ces animaux ont, à l’éclat parfait, des yeux et des antennes à la tête, six pattes articulées, des stigmates sur les deux côtés du corps, et des trachées disséminées partout. «Infiniment curieux par les particularités relatives à leur organisation, à leurs métamorphoses et à leurs habitudes, il ont, dit Lamarck, une organisation moins composée que celle des mollusques, des annélides et des crustacés, puisque le système de circulation, constitué par des artères et des veines, manque entièrement chez eux, selon les observations du citoyen Cuvier.»
Les insectes sont, suivant Lamarck, les derniers animaux qui soient vraiment ovipares. «Ici paraissent, dit-il, s’éteindre totalement toutes les traces de la fécondation sexuelle; et, en effet, dans les animaux qui vont être cités, il n’est plus possible de découvrir le moindre indice d’une véritable fécondation. Néanmoins nous allons encore retrouver, dans les animaux des deux classes qui suivent (les vers et les radiaires), des espèces d’ovaires abondants en corpuscules oviformes. Mais je regarde ces espèces d’œufs, qui peuvent produire sans fécondation, comme des gemmules internes, en un mot, comme constituant une génération gemmipare interne, faisant le passage à la génération sexuelle, dite ovipare. Leur mode de génération les constitue pour moi des gemmocipares

XII. LES VERS (intestinaux). — Composant la première classe des gemmovipares, les vers ont le corps mou, n’ayant jamais d’yeux, jamais de pattes articulées, ne subissant point de métamorphose et ne vivant que dans l’intérieur d’autres animaux. Ils présentent quelques vestiges d’une mœlle longitudinale et de nerfs. «Beaucoup de vers paraissent, dit Lamarck, respirer par des trachées, dont les ouvertures à l’extérieur sont des stigmates; mais je soupçonne que ces trachées sont aquifères et non aérifères, comme celles des insectes.»

Comme indice d’une dégradation marquée, Lamarck signale ici l’anéantissement successif de plusieurs appareils sensitifs. «Dans une partie des mollusques et des annélides, l’organe de la vue a commencé à manquer; beaucoup d’insectes en sont privés dans le premier âge; mais c’est dans les animaux de la classe des vers que cet organe, si utile aux animaux les plus parfaits, se trouve pour toujours totalement anéanti. Il en est de même de l’ouïe, sens qui cesse totalement d’exister et qu’on ne retrouvera plus dans les animaux des classes suivantes. Enfin la langue, ou ce qui en tenait lieu dans les animaux antérieurs, manque encore tout à fait ici, et ne se retrouve plus dans aucun autre.»

XIII. LES RADIAIRES. — L’organisation des radiaires, classe établie par Lamarck (deuxième classe de ses gemmovipares), présente «un corps sans colonne vertébrale, régénératif dans toutes ses parties, dépourvu de tête, d’yeux, de pattes articulées, et ayant une disposition générale dans ses parties à la forme rayonnante.» — «Quoique ces animaux, fort singuliers, soient encore peu connus, ce qu’on sait de leur organisation indique, ajoute Lamarck, évidemment la place que je leur assigne. En effet, l’organe spécial du sentiment, dont tous les animaux des classes précédentes sont doués, ne se distingue plus chez les radiaires. Il paraît qu’ils n’ont réellement ni mœlle longitudinale, ni nerfs, et qu’ils ne sont plus que simplement irritables.» Il y avait là une lacune qui devait être bientôt comblée.

XIV. LES POLYPES. — Formant le dernier échelon du règne animal (la classe des gemmipares et fissipares de Lam.), les polypes ont l’organisation la plus simple, par conséquent le moins de facultés. «Tous leurs viscères se réduisent, dit Lamarck, à un simple canal alimentaire qui, comme un conduit aveugle ou comme un sac, n’a qu’une seule ouverture, qui est à la fois la bouche et l’anus. Le toucher est le seul sens qui reste aux polypes, et, ainsi que dans les radiaires, il ne s’exerce plus par l’influence des nerfs. Tous les points de leur corps paraissent se nourrir par succion et absorption, autour du canal alimentaire. L’animal retourné comme on retourne un gant peut continuer à vivre, sa peau externe étant devenue pour lui membrane intestinale, et tous les points de son corps en étant séparés d’une manière quelconque, sont régénérateurs de l’animal entier. En un mot, on peut dire que tous les points du corps de ces animaux ont en eux-mêmes cette modification de la faculté de sentir qui constitue l’irritabilité et la nature animale… Les polypes ne sont plus que des points animalisés, que des corpuscules gélatineux, transparents et contractiles en tous sens. C’est parmi eux sans doute que se trouvent les premières ébauches de l’animalité opérée directement par la nature, en un mot par les générations spontanées

C’est donc par l’étude de ces points animalisés que Lamarck devint partisan de la doctrine des générations spontanées. Après avoir jeté un coup d’œil sur la dégradation successive des organismes de toutes les classes, que nous venons de parcourir, il se résume en ces termes: «Ce ne sont pas les organes, c’est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d’un animal, qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières; mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre, et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont avec le temps constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit.» On voit de quelle importance était pour Lamarck l’action des habitudes et du milieu ambiant.

L’ensemble de ses idées sur la nature vivante, Lamarck l’a exposé dans un livre remarquable, intitulé Philosophie zoologique, dont la première édition parut en 1809 4. Il nous apprend combien de fois il a dû retoucher sa classification des animaux. Ce fut vers le milieu de l’an III (1795) qu’un travail de Cuvier le détermina à établir la classe des mollusques. Les radiaires, il les nomma d’abord échinodermes, et c’est ce dernier nom qui a prévalu. Dans son cours de l’an VII (1799), il établit la classe des crustacés. Il nous apprend à cet égard un curieux détail.

«Alors M. Cuvier, dit-il, comprenait encore, dans son Tableau des animaux, les crustacés parmi les insectes; et quoique cette classe en soit essentiellement distincte, ce ne fut néanmoins que six ou sept ans après que quelques naturalistes consentirent à l’adopter.»

En l’an VIII (1800), Lamarck présenta les arachnides comme une classe particulière, facile et nécessaire à distinguer. Il s’étonna qu’en 1809 cette classe ne fût encore admise dans aucun autre ouvrage que dans les siens. Cuvier ayant découvert l’existence de vaisseaux artériels et de vaisseaux veineux dans différents animaux que l’on confondait, sous le nom de vers, avec d’autres animaux très différemment organisés, Lamarck profita aussitôt de cette découverte pour perfectionner sa classification, et dans son cours de l’an X (1802) il créa la classe des annélides. Elle resta plusieurs années sans être admise.

Enfin à la classification que nous venons de faire connaître et qui date de 1806, Lamarck ajouta, en 1807, les infusoires, qu’il reconnut avoir rangés à tort parmi les polypes, et il intercala entre les mollusques et les annélides une classe nouvelle, les cirrhipèdes, animaux privés d’yeux, respirant par des branchies, munis d’un manteau et ayant des bras articulés à peau cornée; fixés sur les corps marins, ils n’ont point de locomotion. Les cirrhipèdes ne comprennent que quatre genres: les anatifes, les balanites, les corônules et les tubicinelles. En tenant compte des faits nouveaux, qui ne tardèrent pas à se produire, Lamarck finit, en 1809, par avoir quatorze classes, au lieu de douze. Dans les années suivantes (1812 et 1813), il modifia encore son tableau du règne animal, en y introduisant un élément métaphysique. Ainsi, il divisa tous les animaux en trois grands embranchements: en animaux apathiques, comprenant les infusoires, les polypes, les radiaires, les vers, les épizoaires; en animaux sensibles, comprenant les insectes, les arachnides, les crustacés, les cirrhipèdes et les mollusques; et en animaux intelligents, comprenant les poissons, les reptiles, les oiseaux, les mammifères, et l’homme. L’Histoire des animaux sans vertèbres, dont l’étude avait absorbé la plus grande partie de son temps, parut de 1813 à 1822, en 7 vol. in-8°.

La philosophie du dix-huitième siècle avait sensiblement déteint sur l’esprit de Lamarck. Ainsi, dans son Système des connaissances positives de l’homme (1820, in-8°), comme dans les articles du Dictionnaires des sciences naturelles de Levrault, il s’est proposé de montrer que tout a été produit par la nature avec ordre, et que cet ordre est sériaire. A l’appui de cette thèse, il passe en revue toutes les connaissances humaines.

En chimie générale, il a cherché à prouver que tous les actes chimiques dépendent des atomes qui entrent dans la composition des corps, que ces atomes, par leur nature, leur forme et leur disposition, déterminent la différence des corps composés, et par là il arrivait à la théorie des atomes (théorie de l’atomicité) et des proportions définies.

En météorologie, il a essayé de montrer que l’atmosphère est une mer aérienne, susceptible de courants plus ou moins violents, déterminés par l’attraction de la lune à ses différentes phases 5. Les animalcules microscopiques paraissent, selon lui, devoir être considérés comme les habitants naturels de l’atmosphère.

En géologie, il a fait voir que l’appréciation des phénomènes, agissant en quelque sorte sous ses yeux, peut servir à donner l’étiologie de l’état actuel du globe, dont la surface est dans un état permanent de transformation 6.

En minéralogie, il a fait ressortir que les corps inorganiques sont séparés des corps vivants par un hiatus immense; qu’on peut les établir en séries, soit d’après l’ancienneté de leur origine, soit d’après l’état de leur structure, de plus en plus éloignée de cette des corps vivants.

En biologie (c’est Lamarck qui a créé ce mot), il a établi la distinction des nerfs rentrants, sensoriaux et périphériques, et des nerfs locomoteurs du système central. Par une fausse application de la loi de la continuité, il a admis, que tous les phénomènes biologiques, depuis le plus simple, l’absorption, jusqu’au plus élevé, la pensée, sont le résultat de l’organisation.

En phytologie, il pensait que les végétaux sont des corps vivants, non irritables; qu’ils peuvent être simples ou composés; qu’ils ne forment pas, avec l’autre branche des corps vivants, une série simple, mais une branche particulière, partant du même point, d’une masse inorganique, susceptible de s’organiser; qu’ils forment, en un mot, une série entre eux.

En zoologie, il avait le premier émis l’idée, que la distribution méthodique des animaux, distingués des végétaux par leur irritabilité, doit représenter la série croissante de leur organisation.

Avec cet ensemble de données et de conceptions, 7, Lamarck ne parvint point, malgré ses tentatives, à s’élever à la connaissance de l’homme dans ses rapports avec lui-même, avec ses semblables et avec l’Être suprême. Pourquoi? Parce qu’il était imbu de la doctrine d’Épicure, développée par le poète Lucrèce, doctrine d’après laquelle la production de tout corps est due aux seules forces de la nature. Ce n’est que par une voie détournée, contraire à la raison, qu’il essaya de s’élever à une puissance créatrice du monde. Il advint ici à Lamarck ce qui arrive à tous les savants qui, dominés par la contemplation des formes de la matière, perdent entièrement de vue le mouvement ou la fonction du plan de l’univers, qui atteste une pensée unique, une volonté suprême. Nous identifier avec cette volonté, qu’on l’appelle Dieu ou loi de la nature, ce devra être le but de tous nos efforts. 8


Notes
1. Arago, dans l’Histoire de sa jeunesse (en tête de ses Notices biographiques, raconte un détail qui mérite ici de trouver place. Nommé fort jeune membre de l’Institut (en 1809), il fut présenté à l’empereur au milieu des académiciens qui avaient des publications particulières à offrir au chef de l’État. Après quelques brèves interrogations, auxquelles avaient répondu les voisins de droite et de gauche, l’empereur passa à un autre membre de l’Institut. Celui-ci n’était pas, dit Arago, un nouveau venu: c’était un naturaliste connu par de belles et importantes découvertes, c’était M. Lamarck. Le vieillard présente un livre à Napoléon. «Qu’est-ce que cela? s’écrie celui-ci. C’est votre absurde météorologie, c’est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Matthieu Laensberg, cet Annuaire qui déshonore vos vieux jours; faites de l’histoire naturelle, et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. — Tenez!..., et il passa le livre à un aide de camp Le pauvre Lamarck qui, à chacune des paroles offensants du brutal despote, essayait inutilement de dire:», eut la faiblesse de fondre en larmes.
2. Nous avons nous-même, il y a près de quarante ans, montré ce que cette division a de défectueux. «S’il y a, disions-nous, des animaux dépourvus de vertèbres quel est le caractère propre à les distinguer des animaux vertébrés? Loin de savoir que telle chose n’est pas, nous voulons connaître ce qu’elle est positivement. Car non seulement une négation n’ajoute rien à nos connaissances, mais elle ne saurait servir de caractère distinctif.» Nous proposions alors de prendre pour base d’une classification nouvelle le squelette tout entier, ou la charpente solide à laquelle s’attachent les parties molles. Comme cette charpente est, d’une part interne, et, de l’autre, externe, nous proposâmes de diviser le règne animal en animaux à squelette ésotérique (animaux vertébrés) et animaux à squelette exotérique (crustacés, etc.) (L’Époque, Revue mensuelle, année 1835, p. 311.)
3. Ce nom fut plus tard changé en celui de mammifères.
4. Une nouvelle édition de ce livre, en 2 vol. in-8, fut publiée en 1830.
5. L’existence des marées atmosphériques, longtemps niée, a été démontrée de nos jours.
6. Cette manière de voir fut reprise et développée par Constant Provost. Voy. notre Histoire de la Géologie, p. 406.
7. Voy. Blainville, Histoire des sciences, cours fait à la Sorbonne, rédigé par l’abbé Maupied, t. III, p. 461 et suiv. (Paris, 1845).
8.. Cette idée, qui implique peut-être la plus grande révolution du monde de la pensée, a été développée par Jean l’Ermite, dans l’Homme devant ses œuvres (Paris, 1872).



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