La saine ignorance

H.Gilbert Welch

C'est souvent par crainte du diagnostic que l'on se tient loin des médecins. Si irrationnel qu'il puisse sembler être, ce comportement paraît de plus en plus sage.

Je me souviens du moment où j'ai appris que lorsqu'on examine suffisamment les gens après leur décès, presque tous ont un cancer de la thyroïde. À l'époque, ma fille qui fréquentait la petite école tentait de résoudre la devinette : « Quand un arbre tombe dans la forêt et que personne ne l'entend, fait-il du bruit ? » Cette énigme m'avait échappé pendant mon enfance, mais sa redécouverte m'a fait la rapprocher du problème du dépistage du cancer : « Quand, après son décès, on trouve chez une personne des cellules anormales, ce qu'on ignorait de son vivant, cette personne-là était-elle cancéreuse ? »

Dans les deux derniers chapitres, j'ai passé en révision quelques ambiguïtés du terme cancer. Les réponses aux questions les plus élémentaires - « Combien y a-t-il de cancers ? » et « Qui en souffre ? » - dépendent du regard de l'observateur. Parce qu'il y a un réservoir considérable de cancers non détectés, le simple fait d'être examiné augmente la probabilité de vous faire dire que vous en avez un. Plus grand est le soin avec lequel on vous examine, plus il est possible que les cancers qu'on détectera fassent partie de ceux que vous auriez eu intérêt à ignorer.

Revenons sur les points forts de ce chapitre. D'abord, plus les médecins cherchent soigneusement, plus ils détectent de cancers. La plupart de ces nouveaux cancers sont de petite taille, et l'on peut penser que d'autres cancers encore plus petits sont ratés. Le réservoir des cancers est donc potentiellement sans limites. En deux mots comme en cent, on pourrait probablement nous dire à tous, à un moment ou l'autre de notre vie, que nous avons un cancer.


Vous savez que cet énoncé est insensé. Seulement une minorité de gens meurent du cancer et seulement une partie de ces gens présentent des symptômes. Se pourrait-il que l'enthousiasme pour le dépistage ait fait diagnostiquer un cancer chez des milliers de personnes qui n'auraient jamais souffert de la maladie ? Compte tenu de l'incertitude et de l'anxiété qui accompagnent toujours le diagnostic de cancer et des complications des traitements, n'est-il pas possible qu'il eût mieux valu pour plusieurs qu'ils n'en sachent rien ?

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