Ingres et le souci du contour

David d'Angers
Quand on veut agacer les nerfs d’Ingres, il suffit de lui montrer un Rubens ou un Rembrandt.

Je viens de voir un portrait peint par Ingres. La couleur de la chair est, comme toujours, d’un ton qui s’éloigne le plus possible de la nature. Des êtres de cette carnation ne pourraient pas vivre. En revanche, la couleur et les détails du costume sont d’une vérité digne des Flamands. Le peintre semble dire : « Voyez ce que je pourrais faire si je le voulais pour rendre mon coloris toujours vrai, mais je méprise ce que vous appelez la vie des chairs; c’est à la vie morale que je voudrais atteindre : celle-ci survit à l’autre. »

Un soir, nous assistions, Ingres et moi, à une représentation de voltige donnée par des écuyers français à Rome. Ingres, en voyant ces beaux jeunes gens, hommes et femmes, qui développaient leurs membres pleins de souplesse, couverts d’un simple maillot très-fin, me dit : « Regardez ces contours coulants; il semblerait que les Grecs ont dû habiller ainsi leurs modèles, afin de faire disparaître les détails. » Voilà bien ce qui a trop préoccupé ce peintre! Le contour est tout pour lui, l’intérieur d’une figure presque rien. Cependant le dessin doit être cherché sur les méplats, dans les milieux comme sur les contours, mais les détails, dans ces parties médianes, demandent à être traités avec une telle finesse qu’au premier aspect ils ne laissent apercevoir que les masses et le contour d’ensemble.

Notes autographes de David appartenant à la famille (*).

(*) Au moment de la publication de cet ouvrage, soit à la fin du 19e siècle.

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