Un grand écrivain catholique
En lisant Le Ciel de Québec, en ruminant cette grande chronique, je me suis rappelé la foi de ma jeunesse sans la considérer comme contraire à la modernité, à vingt-cinq ans j'ai abandonné l'Église à cause du sentiment qu'elle renforçait l'aliénation de l'individu au lieu de travailler à sa libération, je me suis souvenu qu'il y a eu dans ma vie un Monseigneur Camille qui était un abbé lettré: son défaut n'était pas dans le domaine religieux mais dans le domaine littéraire: nourri par les œuvres françaises, son maître était Valéry, il dédaignait les oeuvres d'ici. Un abbé lettré qui réussissait à vivre dans un équilibre fragile entre la foi et la raison, un abbé qui s'est toujours moqué comme Ferron des Monseigneur Cyrille qui voient l'enfer partout, qui a toujours préféré un petit péché à un grand malheur («Seigneur, ne vous en déplaise, il me paraît plus simple de l'imaginer saoûl que mort. Entre un petit péché et un grand malheur, je choisis le petit péché.»)
Je ne l'ai pas su tout de suite, tant d'idées reçues allaient à l’encontre, la prétention même de l'auteur d'être athée, puis un bon matin j'en ai été sûr: Jacques Ferron est notre grand écrivain catholique. Décidément au Québec nous sommes bien originaux et détraqués, les contradictions partent à rire dans une même limonade (un même limon si vous préférez). Ce qu'il y a de plus beau dans Le Ciel de Québec c'est de devenir catholique alors qu'il ne reste dans les Églises que des vieux, des femmes et des enfants. Quand l'Église est forte Ferron décroche Dieu du ciel, quand l'Église est écroulée Ferron remet Dieu dans le ciel - voilà l'écrivain que j'aime, celui qui se fait l'avocat du diable, qui en toutes circonstances, rappelle à ses concitoyens qu'ils (elles) pourraient agir autrement.
À lire la bonté dans Le Ciel de Québec, j'ai envie de renouer avec l'enseignement évangélique parce que cette bonté je la met moins au crédit de l'individu Ferron qu'à celui de l'Église qui, malgré elle souvent, enseigne la charité et l'espérance, vertus auxquelles j'ai peut-être toujours eu foi. Me plaît ce Mr Turquetil, «grand personnage dans la mythologie des Oblats de Marie-Immaculée» qui se déclare la «grosse vache» d'un enfant qui lui demande s'il fait la vache, qui ne craint pas de frôler l'hérésie pour mieux aimer: «Moïse Chrétien, je suis ému; votre éloquence m'a touché. Si vous dites ce que pensent vos nations et votre peuple, en vérité, en vérité, je ne connais pas de village plus catholique que le vôtre, car tout à commencé par la Verbe et le Verbe s'est fait chair pour prendre bouche et mieux s’exprimer...» Me plaît que Ferron dès l'ouverture de son livre fasse jaser Dieu avec Mgr Camille; j'aime qu'on fasse jaser Dieu; c'est le mettre à bonne hauteur, à hauteur et saveur d'homme, il est bon que Dieu salue sont créateur (je préfère l'amour réciproque - Dieu jasait bien aussi dans les livres de Péguy, je pense encore à ce Dieu paysan qui est une bien belle invention parce qu'elle mêle bonté et rudesse, ce qui m'émeut toujours).
Les écritures fortes naissent souvent de s'inscrire contre une institution puissante qui veut fixer les identités. Le commerce de Dieu aura été ici une entreprise considérable: Ferron en témoigne dans Le Ciel de Québec. Comprendre que Garneau et Ferron en étant à côté de l'Église, en ayant des rapports difficiles avec Dieu, ont peut-être paradoxalement donné une meilleure idée de Dieu et de l'Église aux faux mécréants. Garneau et Ferron, François d'Assise et Rabelais, Bernanos et Claudel, la déchirure et la couture.
J'aimerais être un catholique communiste qui trouve Jésus correct mais n'a pas d'entretien avec Dieu.
(suite: Un homme des Lumières)