Contre l'inutile souffrance
Vendredi le 04 octobre 2002
Passage tiré des Mémoires du compositeur français Hector Berlioz.
J’ai perdu ma sœur aînée. Elle est morte d’un cancer au sein, après six mois d’horribles souffrances qui lui arrachaient nuit et jour des cris déchirants. Mon autre sœur, qui s’est rendue à Grenoble pour la soigner et qui ne l’a pas quittée jusqu’à la dernière heure, a failli succomber aux fatigues et aux cruelles impressions que lui a causées cette lente agonie. Et pas un médecin n’a osé avoir l’humanité de mettre fin à ce martyre en faisant respirer à ma sœur un flacon de chloroforme ! On fait cela pour éviter à un patient la douleur d’une opération chirurgicale qui dure un quart de minute, et on s’abstient d’y recourir pour le délivrer d’une torture de six mois. Quand il est prouvé, certain, que nul remède, rien, pas même le temps, ne peut guérir un mal affreux ; quand la mort est évidemment le bien suprême, la délivrance, la joie, le bonheur !… Mais les lois sont là qui le défendent, et les idées religieuses qui s’y opposent non moins formellement. Et ma sœur, sans doute, n’eût pas consenti à se délivrer ainsi si on le lui eût proposé. « Il faut que la volonté de Dieu soit faite », comme si tout ce qui arrive n’arrivait pas par la volonté de Dieu… et comme si la délivrance de la patiente par une mort douce et prompte n’eût pas été aussi bien la volonté de Dieu que son exécrable et inutile torture… Quel non-sens que ces questions de fatalité, de divinité, de libre arbitre, etc. !! C’est l’absurde infini, l’entendement humain y tournoie et ne peut que s’y perdre. En tout cas, la plus horrible chose de ce monde pour nous, êtres vivants et sensibles, c’est la souffrance inexorable, ce sont les douleurs, sans compensation possible, arrivées à ce degré d’intensité ; et il faut être ou barbare ou stupide, ou l’un et l’autre à la fois, pour ne pas employer le moyen sûr et doux dont on dispose aujourd’hui pour y mettre un terme. Les sauvages sont plus intelligents et plus humains.