Il avait raison

Émile Robichaud
En 1968, Émile Robichaud publiait Adolescents en détresse (Éditions du Jour), en 1970, Ce pour quoi il faut contester (Beauchemin) et en 1971, Les éducateurs sont-ils coupables? (Beauchemin). Voici quelques extraits de ces livres.
«L'argument économie-rentabilité (à propos des polyvalentes) revient sur toutes les lèvres. [..] La préoccupation pédagogique est à peu près la dernière que l'on considère dans l'élaboration des plans d'une école. [...] Cette économie pourrait en effet fort bien s'avérer un jour n'être qu'une économie de bout de chandelle. [...] L'école de masse est un foyer de déshumanisation où l'adolescent risque de n'être plus qu'un matricule, la société aura, dans un avenir beaucoup plus rapproché qu'on ne peut l'imaginer, à solder la note de son imprévoyance sous forme de centre de rééducation, d'hôpitaux pour malades mentaux et même de prisons, sans tenir compte de la perte de potentiel humain qui résultera d'une mauvaise exploitation de nos ressources humaines »2.

L'école-usine.«[ ... ] Je ne cherche même pas à caricaturer: le président de La Commission des écoles catholiques de Montréal du temps, monsieur André Gagnon, définissant la politique qu'il entendait suivre, affirmait, entre autres choses, lors de son accession à la présidence le 6 avril 1967: «Les services de toute nature que nos écoles sont appelées à rendre exigent des constructions de grande taille, on pourrait dire de véritable usines fonctionnelles...» Depuis ce temps, harcelés par les échéances de toutes sortes, les éducateurs qui avaient la responsabilité de Maisons de formation, d'éducation, se sont enfermés dans leur bureau et se sont mis à travailler, non plus pour leur Maison, avec leurs confrères et leurs étudiants, mais avec l'Organisation scolaire3.

«L'école devenue usine engendre exactement les mêmes problèmes. Comme l'ouvrier, l'élève ne sait plus à quoi sert son travail; il va d'un étage à l'autre, d'un cours à l'autre, sans trop comprendre ni savoir où il va. Le maître n'est plus là pour faire la synthèse; il n'y a plus que les surveillants de la chaîne de production qui se contentent d'analyser le rendement »4.

«L'école de masse, l'usine fonctionnelle nous place dans un dilemme: accepter le chaos ou instaurer un régime militaire»5.

La dictature des bureaux. «Ainsi, à mesure que le monde se bureaucratise, nous assistons à l'achèvement de la métamorphose, à une véritable dégénérescence humaine. Enfermée dans ses bureaux, sans contact avec la réalité, l'administration finit par n'avoir qu'un seul but, une seule préoccupation: son propre fonctionnement. [...] L'implantation dans nos écoles du système dit des options graduées illustre bien cet état de chose: il oblige les dirigeants des maisons d'éducation à multiplier les activités de contrôle au détriment des activités à contrôler et rend ainsi impossible une véritable réforme en profondeur du système d'éducation. Encore une fois la philosophie de l'administration a imposé sa loi: organiser au lieu de transformer. [...] Une des conséquences les plus néfastes du progrès de la philosophie de l'administration est la dégradation de l'idée de service. Cette dégradation naît de l'enfermement administratif, c'est-à-dire de cette autosuffisance qui caractérise la mentalité bureaucratique 6.

L'enfant objet. L'enfant, l'adolescent assimilé à un objet scientifique reçoit l'attention désincarnée de savants (c'est-à-dire de personnes qui se pensent telles!) qui, ne sachant que faire des vrais enfants vivants, individualisés, les ont réduits à des numéros, à des cartes perforées pour simplifier l'organisation 7.

Les cadres bureaucrates. «Ces derniers, attelés à la Machine, enfermés dans leurs bureaux, ne connaissant plus les élèves que par les rapports et les statistiques, se sont entourés de spécialistes: orienteurs, travailleurs sociaux, psychologues. Ainsi naquit l'école bureaucratique. Mais si la connaissance scientifique suppose le démontage, la décomposition, le détachement de l'objet, elle suppose aussi, la distanciation, le détachement d'avec l'objet. C'est par cette porte que la Mort a pénétré dans nos écoles»8.

Le rythme individuel. «Notre nouveau système, qui valorise le rythme individuel et le choix des options au détriment de la vie de groupe, tient donc beaucoup plus du libéralisme économique et de l'entreprise privée que du socialisme dont il était censé émaner en droite ligne. On n'a jamais autant parlé de socialisation et on n'en a jamais si peu fait!»9.

A propos des éducateurs et des parents copains. «Les éducateurs doivent choisir entre l'adulation d'un enfant de quatorze ou quinze ans, immature et instable, et le respect qu'aura un jour pour eux l'adulte qu'ils formeront s'ils ont le courage d'être de véritable maîtres»10.

Grosses écoles et petites choses. «II existe encore des éducateurs qui croient à l'éducation à la volonté et attachent, par là même, de l'importance aux petites choses»11.

«En effet, la présence dans un espace relativement restreint d'un grand nombre d'étudiants rend à peu près impossible l'éducation aux petites choses qui ont pourtant tellement d'importance pour rendre la vie en société endurable. L'éducation aux petites choses, c'est l'éducation au civisme élémentaires: le respect de la propriété, le savoir-vivre, la propreté. Mais quand on vit entassés les uns sur les autres, on apprend bien vite à parler fort, à bousculer les gens, à tout laisser traîner, à ne rien respecter»12.

Sur le libre choix des parents. «Les parents ont donc le droit et le devoir de choisir pour leur enfant une école qui assume un rôle dans une optique qui leur est acceptable. D'où la nécessité pour l'école de se faire connaître, de faire connaître ses objectifs, ses méthodes, sa philosophie»13.

L'école pour la masse: oui. L'école de masse: non. «L'école pour la masse [...] c'est le droit pour tous d'accéder à un niveau de formation qui correspond à leurs aptitudes et à leurs besoins, droit fondamental et inaliénable. Il ne faudrait quand même pas croire que tous les étudiants auront la liberté d'entreprendre les études de leurs choix sans égard à leurs talents»14.

«[...] Les sections cours classique, cours scientifique et cours général ont été calomniés trop souvent à tort et à travers. [...] Restait le problème du cours général. C'était en fait le seul problème à régler. [...] L'élève du cours général n'était pas un élève du cours classique ou scientifique en miniature et répondre à ses besoins n'était pas le soumettre au même programme que les autres avec quelques chapitres en moins» [...] 15. Adolescents en détresse p.76)

Le remède: école-milieu de vie. «Or, l'école doit sortir de ce cercle vicieux, elle doit, dans la mesure de ses faibles moyens, contribuer, par sa philosophie, à instaurer une société intimiste, la seule qui réponde vraiment aux besoins fondamentaux de l'homme. Cette contribution ne doit pas être idéologique mais existentielle: l'école ne doit pas se contenter d'enseigner le droit de l'homme à vivre dans une communauté qui valorise le plaisir d'être ensemble, elle doit l'incarner, le réaliser dans ses structures mêmes. Pour ce faire, il faudra une bonne fois pour toutes accepter que l'école soit un milieu de vie»16.

Notes

1. Les éducateurs sont-ils coupables?p. 6.

2. Adolescents en détresse,p.77.

3. Les éducateurs sont-ils coupables? p.9.

4. Adolescents en détresse,p.83.

5. Ibidem,p.79.

6. Ce pour quoi il faut contester,p.38-39.

7. Les éducateurs sont-ils coupables, p.5.

8. Ibidem, p.6.

9. Les éducateurs sont-ils coupables, p.33.

10. Adolescents en détresse p. 42

11. Ibidem, p. 56

12. Ibidem, p.84

13. Ibidem, p.101

14. Ibidem, p.74

15. Ibidem, p.76

16. Ce pour quoi il faut contester p.77.

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