Les conversions littéraires
Convertis. – Je n’ai pas d’objections à faire au sentiment religieux et je ne suis pas choqué qu’un homme simple élevé dans une religion, y reste attaché par habitude. Je ne le suis pas non plus que cet homme simple, après une période d’incrédulité superficielle, revienne peu à peu, en ses vieux jours, vers les croyances de son enfance. Il en va tout autrement des conversions tapageuses que nous voyons se produire dans le monde des lettres. On me dira que ces convertis littéraires rentrent dans la classe des hommes simples. Sans doute, mais ils n’agissent pas avec simplicité. D’abord leur conversion coïncide toujours avec un livre nouveau, dont elle opère le lancement, comme par hasard. Ensuite, ce livre est quelquefois explicatif et on voit alors l’homme simple se lancer avec une incompétence rare dans l’apologétique tant générale que personnelle. Le converti littéraire narre sa conversion et c’est pitoyable, comme toutes les confessions qui ne sont pas impudentes. Il expose comme quoi il appartenait au Diable et que maintenant il est tout à Dieu. Survient l’éloge de Dieu. Survient l’éloge de la bonne Vierge, très à la mode parmi les convertis, aujourd’hui comme au quatorzième siècle. Je ne sais pas si Pascal, qui avait une intelligence d’homme, nomme une fois, avec révérence particulière, la Sainte Vierge. Les petits convertis s’accrochent comme des enfants apeurés aux jupes célestes de la bonne dame. N’est-ce pas M. Péladan qui l’appelait, aux temps verlainiens, «cette belle nymphe chrétienne»? Le paganisme catholique des symbolistes était un curieux décor littéraire. Nous en sommes loin avec la vieille grand’mère de M. Huysmans (que Dieu ait son âme!) et de ses imitateurs. Elle a trop l’air vraiment dans Les Foules de Lourdes de la concierge de ses propres sanctuaires. Triste et basse mythologie!
Mais les écrits apologétiques de M. Huysmans ont encore un peu du haut goût de sa littérature si originale. Et puis, il n’abuse pas de la confidence. Il a eu la pudeur de donner la forme romanesque à ses bonnes fortunes mystiques : c’est pour lui un prétexte comme un autre à compulser le dictionnaire analogique qu’il portait dans la tête. Autant que cela était permis à son égoïsme têtu, il a essayé de généraliser et de donner non pas l’histoire de sa conversion, mais l’histoire d’une conversion. On reste avec lui dans l’art. D’autres sont venus, hélas, et d’autres viendront, car nous sommes en pleine épidémie, qui auront d’autres soucis. Ils veulent nous édifier, tout simplement, et ils nous ennuient. Ils vivaient, nous confient-ils, une vie de banale débauche, et ils vont dorénavant, avec l’aide de Dieu, vivre une vie de banale dévotion. Cela les regarde, mais qu’avons-nous à faire de ces aveux, nous qui respirons dans l’incertitude de l’art, dans l’incertitude de la science, et qui méprisons les vérités qu’on ramasse à la pelle dans les écoles primaires ou dans les sacristies?
Pourquoi ne pas le dire, la seule conversion que je comprenne est celle qui, de la foi où le hasard nous a fait naître, nous ramène, par le travail de la vie et de l’étude, dans les voies saines et honnêtes du scepticisme. Je ne dis pas le doute, je dis la non-croyance. Le héros de la conversion, ce n’est pas saint Augustin, c’est Renan.