Le bruit
On n'a pas le droit de vous toucher sans votre permission, et fussiez-vous la femme de Sganarelle, on vous empêcherait d'être battue.
On pense à vos yeux. C'est à leur intention que les personnes délicates protègent les paysages et veillent, sans y réussir bien souvent, que les monuments s'élèvent selon d'agréables lignes Mais l'intention y est.
On a soin des papilles de votre bouche et l'on veille à ce que leur inconscience ne subisse pas de trop frauduleux contacts.
Votre nez est l'objet de constantes sollicitudes, que la chaleur contrarie souvent, mais les rues sont à peu près nettoyées à votre intention, et purgées de leurs odeurs. Seule, l'oreille a été oubliée.
Contre elle, on dirait que tout est permis. Contre elle on a mis en liberté tous les bruits, qui comme autant de furieux dogues, montent à l'assaut de sa tranquillité. Les pianos, les autos, les gramophones et les cris humains emplissent les rues et les maisons, où le point d'orgue est donné par des tuyauteries qui ont pour but d'amener l'eau, mais surtout de faire de la musique. Il n'y a plus de silence. Les hommes, qui le détestent, ont fini par le tuer. Pour inexplicable que soit cette haine, elle est. Même quand il est seul, l'homme fait du bruit. Il chante. C'est une hantise. Mais peut-être que s'il demeurait silencieux, il s'entendrait penser et qu'il aurait honte. Si parfois on a un instant de répit, le soir, ce n'est qu'un instant. Bientôt monte une voix en dents de scie avec laquelle vient alterner un délicieux solo de phonographe qui imite la foire de Neuilly. Sacrum silentium, disait le vieux moine de jadis, ô silence sacré, où es-tu ? Et dire que si tout le monde était comme moi, on entendrait voler les mouches !