Le bouddhisme de Çâkya-mouni

Charles Renouvier

La légende de Çâkya-mouni

Au point de vue philosophique de l'histoire, ainsi que de l'esprit des religions comparées, il est facile de séparer l'étude du bouddhisme d'avec les questions, restées douteuses pour la critique, touchant l'origine, le développement et les principaux rapports des croyances rattachées au nom de Çakya-mouni, le Bouddha, révélateur de la voie de salut pour les hommes. On peut en effet poser les points suivants comme certains, dont l'importance dépasse infiniment celle des problèmes plus particuliers de chronologie, de géographie et d'histoire sur lesquels diffèrent les orientalistes.

1° Le bouddhisme est né dans l'Inde; il est postérieur au brahmanisme, ce qui ne veut pas dire à toutes les sectes nées dans la société brahmanique, et il a été banni de l'Inde centrale par les persécutions des brahmanes à une époque historiquement déterminée: le VIIIe siècle de notre ère, en ne tenant pas compte des restes qui ont pu s'y perpétuer jusqu'au XIIe.

2° Les livres qui composent la vaste littérature du bouddhisme et qui appartiennent aux régions de langues différentes, éloignées les unes des autres, dans lesquelles cette religion se propagea et règne encore, ces livres, y compris les plus anciens d'entre eux, dont on peut croire les sources voisines de l'époque du révélateur, mêlent constamment ce qu'ils nous apprennent de sa vie à des légendes miraculeuses, et souvent du genre le plus extravagant, comme il convient à l'esprit indien. Ils ne laissent pas de se rencontrer sur des traits d'un genre entièrement humain et positif, dont le contraste avec le caractère merveilleux des circonstances imaginaires, ajoutées par la foi dans le miracle, assure la crédibilité. Le miracle accompagne partout les origines religieuses, mais nulle part il n'est aussi facile à séparer que dans le bouddhisme de la détermination strictement humaine du personnage autour duquel s'est formée la légende.

3° Ce caractère du bouddhisme, à son origine, s'est conservé dans la suite de son histoire. Le Bouddha n'a jamais été tenu pour Dieu, ni pour un dieu, mais toujours pour un homme; et quand les bouddhistes ont admis l'existence de plusieurs Bouddhas, — de Bouddhas innombrables, comme ils l'ont fait, — ou quand Çakya lui-même a cru peut-être à des prédécesseurs et à des successeurs semblables à lui, au cours des révolutions du monde, ces Bouddhas ont été réputés de nature humaine, encore bien que supérieurs de toute manière, en dignité et en pouvoir, aux dieux du panthéon védique et brahmanique. Il serait difficile de rapporter de pareilles croyances à une doctrine religieuse qui ne devrait pas son origine à un révélateur, à un homme de l'histoire. Rien n'était plus contraire à la fiction brahmanique des incarnations de leurs dieux comme agents de salut: procédé habituel dans l'Inde, en dehors du bouddhisme, et qui a été appliqué au Bouddha lui-même par l'esprit éclectique de certains Pouranas.

4° Le bouddhisme a annoncé l'abolition des castes, non cependant dans l'ordre politique. Il n'a pas laissé, presque partout où il a régné et duré, d'atteindre ce résultat par voie indirecte, de la même façon que le christianisme a favorisé l'affranchissement des esclaves sans condamner l'esclavage. Il l'a obtenu tout d'abord dans la religion, en appelant les hommes de toute naissance et de toute profession à la parfaite connaissance et à la pratique de l'unum necessarium pour le salut. Cette formule qui est bouddhique: «Ma loi est une loi de grâce pour tous» déclarait l'affranchissement de l'esprit par rapport aux privilèges des brahmanes, à leur monopole de la science, et aux cultes qu'ils prescrivaient au nom de la religion védique.

5° La science du salut, dans le bouddhisme, n'a peut-être pas différé beaucoup, pour un philosophe, de celle qu'enseignaient les brahmanes de l'école Sankhya, ou du moins la divergence ne portait que sur le problème métaphysique de la réalité et de l'éternité de la nature, de l'existence des kalpas, de la permanence nécessaire de l'âme. Mais cette science mise à la portée de tous devenait un principe de religion nouvelle dès qu'elle se formulait en termes simples et clairs, et que, sans protester contre le principal fondement des croyances populaires, elle remplaçait la loi et le culte par une foi et des observances morales profondément distinctes de celles de la tradition. Ces termes simples et clairs sont ceux des «quatre vérités sublimes», unanimement regardées comme l'expression la plus ancienne de la foi bouddhiste.

6° Le renoncement absolu et ce qu'on peut nommer aussi la charité absolue, c'est-à-dire l'absence d'irritation et de réaction contre la douleur qui nous vient d'autrui, sont les préceptes moraux rattachés à cette science. Là, comme dans la grande religion occidentale, les préceptes deviennent en peu de temps un pur idéal pour les personnes qui n'ayant pas en eux la force de la sainteté, s'arrêtent à la simple condition de croyants et de fidèles, et font ce qu'ils peuvent, beaucoup moins que ce qu'ils pourraient, le plus souvent.

7° Quand le renoncement est vraiment absolu, c'est-à-dire quand il est porté jusqu'à la croyance et à la pratique, autant que possible, de l'évanouissement de l'existence consciente, on a le nirvana, qui est l'accomplissement de la doctrine tant théorique que pratique du bouddhisme. L'interprétation de cet état est la vraie source de la métaphysique des sectes spéculatives issues de cette religion, parce qu'elle tient essentiellement à l'idée qu'on se fait de la nature ou réelle ou illusoire des phénomènes, et de l'âme qui en est la spectatrice.

Parcourons ces différents chapitres afin de nous rendre compte de l'état mental des populations qui se sont fixées dans les croyances bouddhistes, des ouvertures qui leur sont laissées sur la vie morale et sur la destinée humaine, et de comparer leur condition psychique à celle des nations élevées dans une religion différente et chez lesquelles nous voyons maintenant s'introduire des doctrines de la même nature. Ces doctrines font suite à un développement de l'esprit scientifique et spéculatif dont le dernier mot est ce qu'il fut dans l'Inde brahmanique avant le Bouddha: la conception panthéiste de l'univers.

L'homme qui donna son nom de religion (le Bouddha, Celui qui sait) à la perfection de sainteté, et à l'objet idéal du culte d'une très grande partie des habitants du globe, était, suivant des traditions concordantes, le descendant d'une lignée de rois (la grande race des Çakyas) régnant sur une province de l'Inde. Ce prince renonça au monde en sa vingt-neuvième année, passa six ans dans la solitude, livré à des exercices ascétiques, commença alors et poursuivit pendant quarante-cinq ans sa prédication du salut pour tous, forma de nombreux disciples qu'il chargea de propager sa doctrine et mourut, entrant dans le nirvana parfaitement accompli, à l'âge de quatre-vingts ans1 La plus caractéristique des légendes de la vie de Çakya-mouni est celle de sa station sous l'arbre bodhi (l'arbre de l'intelligence — ficus religiosa) à l'ombre duquel il se livra aux méditations prolongées qui devaient le conduire de l'état de Bodhisattva à celui de Bouddha parfaitement accompli. Les bodhisattvas sont les êtres qui, de transmigration en transmigration, sont arrivés au point où ils n'ont plus qu'une seule existence, — existence humaine dès lors, — à parcourir pour devenir des bouddhas, atteindre le nirvana et en montrer le chemin à d'innombrables créatures du monde où ils sont nés. La méditation suprême, selon la légende 2, est précédée par la dernière tentation, comme cela est naturel, et cette tentation, ce qui ne l'est pas moins, prend la forme mythologique. C'est Mara le pécheur, personnification de l'amour et de la mort, qui rassemble et conduit contre le Bodhisattva les armées de la terreur, sous mille formes monstrueuses, et les armées de la séduction, aidées de tous les prestiges de la grâce et de la beauté féminines. On trouve là le fond commun et bien connu des compositions de cet ordre, mais avec l'excès de développement et aussi les fortes, les pittoresques et saisissantes images familières à ta littérature indienne. L'univers des dêvas de toutes les catégories est intéressé dans la lutte, de l'issue de laquelle dépend l'établissement du bouddhisme dans ce inonde par la consécration d'un Bouddha. Celui-ci, qui a lui-même provoqué l'épreuve, parce qu'elle est une condition de sa mission, conserve une sérénité inaltérable en présence de tout ce qui peut éveiller dans l'âme l'émotion de la crainte ou du désir. «Le démon dit: Je suis le seigneur du désir, le maître de ce monde entier. Les dieux, la foule des Danavas, les hommes et les bêtes, assujettis par moi, sont tous tombés en mon pouvoir. Venu dans mon domaine, lève-toi et parle en conséquence. Le Bodhisattva dit: Si tu es le seigneur du désir, tu ne l'es pas de la lumière. Regarde-moi, je suis bien le seigneur de la Loi... Assis sur ce siège, vainqueur de l'orgueil ainsi que de ton armée, après t'avoir défait et avoir obtenu ici l'intelligence exempte de trouble, je montrerai à cet univers l'origine et la production, ainsi que l'état de calme du nirvana qui apaise la douleur.»

Ces derniers mots se rapportent à la théorie des quatre vérités sublimes, et les précédents, sur l'origine et la production, à la théorie des douze causes, deux sujets que nous aborderons tout à l'heure et qui résument la doctrine du Bouddha, née de sa méditation suprême.

Un dernier assaut est livré au bodhisattva, menacé de mort par des monstres venus des quatre points de l'espace, et déployant à ses regards des pouvoirs terrifiants. «A la vue de cette armée du démon, horrible dans ses transformations, l'être pur juge que c'est l'effet de l'illusion; qu'il n'y a là ni démon, ni force, ni univers, ni de soi-même; que, comme (l'image) de la lune dans l'eau, roulent les trois mondes; qu'il n'y a ni œil, ni homme, ni femme, ni personnalité. L'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher, ainsi que le créateur de cette substance (universelle, tous) privés de perception, sont nés en s'appuyant (sur une cause). Au dedans est le vide, au dehors le vide.» Les obscurités que le traducteur parait avoir rencontrées dans la fin de ce morceau n'empêchent pas que la signification nihiliste n'en soit claire, et nous verrons quelle est cette dernière cause sur laquelle s'appuient toutes les apparences auxquelles les hommes prêtent l'existence. Nous en avons pris ci-dessus une première idée dans la doctrine philosophique du Sankhya.

Une autre légende, d'un caractère différent en ce qui concerne la tentation 3, nous initie également à l'esprit de la méditation bouddhique et présente sous un autre jour l'intervention du démon dans le dernier acte de l'avènement de Çakyamouni à la science parfaite. Il semblerait, à cet endroit, que le démon a renoncé à la lutte, et ne met plus son espoir que dans l'anéantissement définitif du Bodhisattva, dont le séjour prolongé dans la vie et les prédications opéreraient trop de conversions fatales à l'empire du désir.

«Mara le pécheur se rendit au lieu où se trouvait Bhagavat 4 et y étant arrivé il lui parla en ces termes: Que Bhagavat entre dans l'anéantissement complet: voici venu pour le Sugata le temps de l'anéantissement complet? — C'est que voici, ô bienheureux, le moment même (tel que l'a fixé) Bhagavat, se trouvant à Uruvilva, sur le bord de la rivière Nairamdjana, assis sous l'arbre Bodhi, au moment où il venait d'atteindre à l'état de Bouddha parfait. Quant à moi, je me suis rendu au lieu où se trouve Bhagavat, et, y étant arrivé, je lui parle ainsi: Que Bhagavat entre dans l'anéantissement complet; voici venu pour Bhagavat le temps de l'anéantissement complet. Mais Bhagavat répondit: Je n'entrerai pas, pécheur, dans l'anéantissement complet tant que mes auditeurs ne seront pas instruits, sages, disciplinés, habiles, tant qu'ils ne sauront pas réduire par la Loi tout ce qui s'élèvera contre eux d'adversaires, tant qu'ils ne pourront pas faire adopter aux autres tous leurs raisonnements, tant que les Religieux et les Dévots des deux sexes n'accompliront pas les préceptes de ma loi en la propageant, en la faisant admettre par beaucoup de gens, en la répandant partout jusqu'à ce que ses préceptes aient été complètement expliqués aux Dêvas et aux hommes. — Mais aujourd'hui, ô respectable, les auditeurs de Bhagavat sont instruits, etc. (répétition des formules ci-dessus). Voilà pourquoi je dis: Que Bhagavat entre dans l'anéantissement complet: voici venu pour le Sugata le moment de l'anéantissement complet. — Pas tant de hâte, ô pécheur, tu n'as plus maintenant beaucoup de temps à attendre. Dans trois mois, cette année même, aura lieu l'anéantissement (du Tathagata) dans l'élément du Nirvana où il ne reste plus rien de ce qui constitue l'existence. Alors Mara le pécheur fit cette réflexion: Il entrera donc dans l'anéantissement complet, le Çramana Gautama 5! Et ayant appris cela, content, satisfait, joyeux, transporté, plein de plaisir et de satisfaction, il disparut en cet endroit même.»

Mara le pécheur n'est ainsi apparu que par la volonté de Çakya-mouni, parvenu à la dignité de Bouddha, et celui -ci n'a fait venir ce démon que pour l'instruction d'Ananda, son principal disciple, qui n'a pas compris, à ses paroles, que le moment de l'accomplissement était venu. Çakya-mouni avait dit à Ananda après lui avoir fait admirer, comme par un dernier et contradictoire regret, la beauté de la ville et du paysage qu'ils avaient sous les yeux: «L'être, quel qu'il soit, ô Ananda, qui a recherché, compris, répandu les quatre principes de la puissance surnaturelle peut, si on l'en prie, vivre soit durant un kalpa (la durée d'une période du monde), soit jusqu'à la fin du kalpa. Or, Ananda, les quatre principes de la puissance surnaturelle appartiennent au Tathagata. Ce sont:1° la faculté de produire telle ou telle conception pour détruire la méditation du désir; 2° la puissance surnaturelle de l'esprit; 3° celle de la force; 4° celle qui est accompagnée de la conception propre à détruire la méditation de tout exercice de la pensée.» Le sens de ces quatre principes se résume évidemment dans le pouvoir mental de s'appliquer à une pensée unique et de diriger cette pensée de telle manière qu'il y ait inhibition voulue à la production d'un désir quel qu'il puisse être. «Les quatre principes de la puissance surnaturelle, ô Ananda, ont été recherchés, compris, répandus parle Tathagata. Il peut donc, si on l'on prie, vivre soit durant un kalpa entier, soit jusqu'à la fin du kalpa.»

Deux fois et trois fois ces mots mystérieux sont adressés au disciple qui ne comprend pas et garde le silence. C'est là que se placent l'apparition de Mara et la décision du Bouddha, touchant le jour où il doit entrer dans le nirvana complet. Après cela les deux ascètes demeurent à quelque distance l'un de l'autre, plongés dans le recueillement. L'auteur de la légende nous fait assister à un exercice préparatoire de l'entrée dans le nirvana définitif. Mais celui ci n'est que temporaire:

«Bhagavat fit cette réflexion: Pourquoi n'entrerais-je pas dans une méditation telle, qu'en y appliquant mon esprit, après s'être rendu maître des éléments de sa vie, il abandonne l'existence? Ensuite Bhagavat entra dans une méditation telle qu'en y appliquant son esprit, après s'être rendu maître des éléments de sa vie, il abandonna l'existence. A peine se fut-il rendu maître des éléments de sa vie qu'un grand tremblement de terre se fit sentir; des météores tombèrent (du ciel); l'horizon parut tout en feu. Les timbales des Dêvas retentirent dans l'air...» Suit la description d'une foule de prodiges, où l'on voit des centaines de milliers de dieux, de richis, et tous les ordres d'êtres des mondes, affluer de tous côtés, recevoir l'enseignement de la Loi, contempler l'état de sainteté, être eux-mêmes introduits dans la vie religieuse par les exhortations du Bouddha. A la suite de ces miracles qui se renouvellent encore en d'autres occasions, Ananda est initié par le maître aux causes des tremblements de terre liés aux manifestations bouddhistes miraculeuses. Comprenant le sens des paroles dont l'évocation de Mara le pécheur a procuré l'éclaircissement, il demande au maître de rester «durant ce kalpa, jusqu'à la fin de ce kalpa» et reçoit en réponse un blâme pour sa «mauvaise action», c'est-à-dire apparemment pour avoir manqué d'intelligence et de confiance. Il faut que le nirvana s'accomplisse pour le Bouddha; il ne s'accomplirait pas si la vie de l'ascète était prolongée jusqu'à la dissolution du inonde. Tel est probablement le sens de cet obscur passage. Ananda réunit, d'après l'ordre du Bouddha, l'assemblée générale des disciples, auxquels ce dernier adresse ses dernières recommandations pour la propagation de sa doctrine.

«Il s'adressa ainsi aux religieux: Tous les composés, ô religieux, sont périssables; ils ne sont pas durables; on ne peut s'y reposer avec confiance; leur condition est le changement; tellement qu'il ne convient pas de concevoir rien de ce qui est un composé et de s'y plaire. C'est pourquoi, ô religieux, ici ou ailleurs, quand je n'y serai plus, les lois qui existent pour l'utilité du monde temporel, pour le bonheur du monde temporel, ainsi que pour son utilité et son bonheur futurs, il faut qu'après les avoir recueillies, comprises, les religieux les fassent garder, prêcher et comprendre, de manière que la loi religieuse ait une longue durée, qu'elle soit admise par beaucoup de gens, qu'elle soit répandue partout, jusqu'à être complètement expliquée aux dêvas et aux hommes 6»Le discours se termine par un rappel des formules usuelles de la loi. Le Bouddha se retire de l'assemblée, et jetant un dernier regard sur la ville qu'il ne doit plus revoir, annonce à Ananda sa mort prochaine: «C'est la dernière fois, ô Ananda, que le Tathagata regarde Vaiçali», — nom d'une ville anciennement célèbre de l'Inde centrale, et qui était en ruines au VIIe siècle, à l'époque où le pèlerin chinois Hiouen Thsang la visita. — «Le Tathagata, ô Ananda, n'ira plus à Vaiçali; il ira, pour entrer dans le nirvana complet, au pays des dallas, dans le bois des deux Çalas 7.» Peut-être convient-il de signaler un trait pittoresque, dans l'adieu de Çakya-mouni à la belle ville; car il est caractéristique: c'est «en tournant son corps tout d'une pièce sur la droite, et regardant de la manière dont regardent les éléphants» que Bhagavat prend en quelque sorte congé du monde en se dirigeant vers la forêt. Et «ce n'est pas sans cause, ce n'est pas sans motif, dit le texte, que les Tathagatas parfaitement et complètement Bouddhas tournent leur corps d'une pièce à droite, et regardent de la manière dont regardent les éléphants». Cette cause, le texte ne la dit point. Une interprétation de physiologie populaire, si toutefois elle n'est pas ironique, admettait qu'un Bouddha a, comme les souverains, le col formé d'un os unique; mais, pour un psychologue, il est clair qu'un Bouddha doit regarder les choses qui sont derrière lui, d'un mouvement qui suppose réflexion, lenteur, absence de passion, et non sans une marque de mépris, là même où il pourrait entrer de l'attendrissement.



Notes

1. L'année du nirvana de Çakya-mouni est fixée à l'an 543 avant notre ère, par la plus cohérente des traditions bouddhistes: celle de Ceylan, consignée dans un livre, le Mahavamsa, où sont recueillies les plus anciennes annales de cette île jusqu'à l'époque où vivait le compilateur (Ve siècle de notre ère). Les données chronologiques admises dans les livres du bouddhisme septentrional font remonter plus haut l'époque du Bouddha, mais ont beaucoup moins d'autorité. Les traditions de Ceylan mentionnent des voyages de Çakya à Langka (c'est l'ancien nom de l'île), et même la conversion du pays au bouddhisme dès ce temps-là. Ce dernier point est d'autant plus improbable que la véritable époque de cette conversion est rapportée dans le même ouvrage avec des détails cette fois authentiques. Elle se place au temps où régnait dans l'Inde le grand roi bouddhiste Açoka (ou Dharmaçoka, l'Açoka de loi) dont les inscriptions découvertes à notre époque ont rendu le règne et l'action religieuse (fin du IVe siècle avant notre ère) entièrement historiques. L'historicité de l'établissement du bouddhisme dans l'Inde a reçu un très important supplément de confirmation positive par la publication et la traduction des voyages des pèlerins chinois Fa Hien et Hiouen Thsang. Ces bouddhistes zélés visitèrent dans l'Inde tous les lieux que la tradition rattachait à la vie et à la mission du Bouddha, personnage humain, toute mythologie a part, et qui étaient consacrés à sa mémoire (vers 380, et plus tard en 632 de notre ère).
2. Lalita Vistara, traduction de P.-E. Foucaux, chap. XXI
3. Le Soutra de Mandhatri, légende népalaise, traduite par Eugène Burnouf dans l'Introduction à l'histoire du bouddhisme indien.
4. Bhagavat (le bienheureux) et plus loin Sugata (l'heureusement venu) et Tathagata (celui qui est parti, qui a marché pour atteindre la fin d’un Bouddha), sont des noms du Bouddha.
5. Gautama, nom patronymique d'une race dont Çakya-mouni était dit descendre. Les Çramanas sont, sans distinction de sectes, les ascètes qui ont dompté leurs sens, les Sarmanes des auteurs grecs et latins qui ont parlé des choses de l'Inde.
6. Eugène Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien.
7. Cette dernière station parait être située au pied de l'Himalaya dans la partie orientale de l'Indoustan, où restent encore des traces de l'ancienne domination du bouddhisme. Il ne parait pas exister de légende spéciale relative à la mort de Çakya-mouni, à l'âge de quatre-vingts ans selon la tradition unanime. Au reste, tout démontre que, dans les idées bouddhistes, l'entrée dans le nirvana complet et définitif ne peut être que la mort naturelle pour les ascètes qui ont connu l'état du nirvana volontaire et passager dont le fragment cité ci-dessus nous offre un exemple.

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