Biographie de Spinoza
La lumière commence à repoindre dans le livre quatrième. À la vérité, les passions ne peuvent être directement anéanties; mais on peut les entraver au moyen d'autres passions plus fortes. Ceci reconnu, il s'agit de faire de la connaissance du bien, c'est-àdire des conditions de la conservation de notre être, une force psychique, et cela est possible parce que cette connaissance même engendre en nous le plaisir, car elle nous montre le but et elle est en même temps elle-même une activité de l'esprit, une manifestation de notre force. Cette connaissance nous unira à des individus de même essence, car nous verrons que nous sommes soumis à des conditions communes et que l'effort commun peut seul conduire chacun de nous au terme. Par là, le drame incline pour la deuxième fois vers la conclusion. Mais une question subsiste: comment l'individu peut-il conserver sa personnalité pleine et entière s'il unit la connaissance scientifique, dont les deux premiers livres démontrent la possibilité, au développement pratique, à l'éducation par la lutte pour l'existence, que décrivaient le troisième et le quatrième livres? Dans le cinquième livre, il est montré comment la claire intelligence des rapports naturels de nos passions nous élève au-dessus d'elles, et se combine avec tout le reste de notre connaissance de la nature dans l'intuition immédiate de notre être conçu comme l'une des formes individuelles sous lesquelles la Divinité éternelle, qui agit à la fois dans le monde de l'esprit et dans le monde de la matière, développe son essence. En nous contemplant ainsi nous-mêmes — et tout — «sous le point de vue de l'éternité», toute l'inquiétude et toutes les ténèbres du temps et de la nature finie disparaissent, et à la liberté de l'esprit, dont le quatrième livre décrivait le développement, s'associe dès lors le sentiment profond que nous ne faisons qu'un avec l'être éternel et infini. — Spinoza peut ainsi faire entrer dans les limites d'un seul cadre la philosophie de la religion, la physique, la théorie de la connaissance, la psychologie, l'éthique; de même le développement du réalisme au moyen de la rigoureuse application de la loi de causalité n'empêche pas chez lui l'union mystique de l'homme avec la Divinité, il la facilite bien plutôt. Ajoutons que ce grand et divers enchaînement de pensées est exposé à la façon des mathématiques (more geometrico), sous la forme de théorèmes et de preuves, et nous aurons l'image d'une œuvre unique en son genre. Il n'est pas étonnant que les contemporains ne l'aient pas comprise, et même que l'époque où elle devait être comprise, en ce qui concerne le côté idéaliste, n'ait commencé que cent ans après son apparition, et soit arrivée de nos jours seulement, en ce qui concerne le côté réaliste. Pour l'histoire de la philosophie, le premier devoir sera, en présence d'une œuvre comme celle-ci, d'examiner comment elle est née, sur quels postulats historiques elle repose. On dirait un cristal taillé; nous voudrions si possible découvrir quelque chose du processus de cristallisation. La personnalité de Spinoza, les détails de sa vie, et son développement philosophique pourront peut-être nous y aider. On ne saurait guère douter que le contenu varié qui est rassemblé dans ce cadre si original, ne soit surtout maintenu dans son ensemble par la personnalité de l'auteur. Ensuite une analyse du système nous montrera comment les conceptions et les éléments que l'auteur s'assimila, furent mis à profit par lui, et s'il a atteint son but et comment.
Baruch Spinoza naquit le 24 novembre 1632 à Amsterdam où ses parents, juifs espagnols, avaient trouvé un refuge contre l'Inquisition. L'enfant, bien doué, fit ses premières études à la Haute école juive de cette ville, où il fut initié au Talmud et à la philosophie juive du Moyen Âge. Ainsi était posé le fondement d'une des tendances essentielles de sa pensée: la tendance à soutenir et à développer la pensée de la Divinité considérée comme l'être unique infini, ainsi que cette idée apparaît dans les religions supérieures populaires, et spécialement dans le Judaïsme. Cette tendance orientale et mystique forma chez lui la base constante et lui donna l'orientation nette, la direction fixée sur un point unique qui caractérisent sa pensée. Il commença de bonne heure à douter de la théologie mosaïque, ce qui lui attira la méfiance des théologiens juifs, et par contrecoup l'éloigna de la synagogue. Il éprouvait le besoin d'agrandir son horizon intellectuel et se mit à étudier les humanités'et la science de la nature. En latin, il reçut des leçons de van Ende, un médecin qui avait la réputation d'être libre penseur. La source la plus importante de la biographie de Spinoza, le pasteur Colerus, qui — malgré sa grande aversion pour la doctrine de Spinoza — a recueilli avec un grand amour de la vérité des renseignements sur sa vie, déclare que Spinoza a dû apprendre autre chose encore que le latin dans cette «école de Satan». D'après le récit de Colerus, Spinoza aurait éprouvé de l'amour pour la fille de van Ende, jeune fille de talent du reste, mais il aurait été dédaigné pour un camarade qui s'entendait mieux à faire sa cour. On a constaté par la suite que Clara van Ende ne pouvait avoir que douze ans au moment dont il est question ici, en sorte que cette information devient un peu invraisemblable (on a fait observer, il est vrai, que Béatrice n'avait que neuf ans, lorsque Dante l'aperçut pourla première fois). — Colerus dit qu'à cette époque Spinoza délaissa la théologie pour s'adonner complètement à la «physique». Parmi les auteurs qu'il étudiait pour connaître la nouvelle conception de la nature, Giordano Bruno était probablement un des plus importants. Bruno n'est cité nulle part par Spinoza; mais son premier ouvrage (en particulier un petit dialogue qui est incorporé au Court Traité de Dieu, de l'homme et de sa béatitude) rappelle nettement Bruno. Il y trouva une conception philosophique qui lui permit de combiner ce qui lui semblait l'essence des idées religieuses avec une intelligence scientifique de la nature. La doctrine de Bruno sur l'infinité et la divinité de la nature permit à Spinoza d'allier étroitement l'idée de Dieu 'à l'idée de nature. Cette influence de la philosophie de la Renaissance n'est devenue probable que depuis que l'on a découvert son premier ouvrage (il y a une trentaine d'années): auparavant on se contentait de la remarque de Colerus, qu'après avoir délaissé la théologie pour la «physique», Spinoza était resté longtemps indécis dans le choix du maître à suivre; mais les œuvres de Descartes lui étant tombées sous la main, elles l'attirèrent par leur tendance à appuyer tout sur des raisons claires et distinctes. On a penséé que Spinoza avait commencé en philosophie par être Cartésien et que c'est seulement peu à peu qu'il a tourné sa critique contre Descartes. Cela est contredit par le premier ouvrage que nous avions de la main de Spinoza, et où il critique le Cartésianisme en quelques points essentiels. Spinoza n'a jamais été Cartésien; mais il a beaucoup appris de Descartes; il a utilisé plusieurs de ses idées, de même qu'il a employé en partie sa terminologie. Mais pendant cette période de transition, alors que son propre système ne s'était pas encore dessiné à ses yeux en lignes bien arrêtées, il a dû également étudier les auteurs scolastiques récents qui dominaient alors l'enseignement de la philosophie en Allemagne et aux Pays-Bas avant le triomphe de la philosophie de Bacon et de Descartes. Quantité d'expressions et de propositions contenues dans les œuvres postérieures de Spinoza ainsi que dans ses premières œuvres révèlent cette influence scolastique, Spinoza renvoie même en plusieurs passages aux Scolastiques. En rapprochant tout cela, on voit que pendant son évolution philosophique Spinoza a parcouru des horizons très vastes et très différents et une littérature qui n'est certes pas insignifiante. Malgré toute la fermeté et la netteté de lignes avec laquelle son chef-d'œuvre s'impose à nous, ses racines n'en plongent pas moins en une multitude de sens dans le sol de la tradition philosophique. Mais cela ne retranche rien à son originalité: plusque tout autre, c'est un signe distinctif du génie que de pouvoir assimiler et remanier. La valeur singulière et l'originalité d'un édifice ne souffrent pas de ce que les pierres ont été prises en une foule de lieux.
Sous l'influence de tous ces motifs intellectuels qui affluaient sur lui de toute part; Spinoza s'éloignait de plus en plus de la synagogue dans ses manières de voir. On prévoyait son apostasie évidente et — pour l'empêcher — on chercha à le retenir en lui offrant un traitement annuel. Mais ni cette offrande, ni la tentative d'assassinat faite par un fanatique ne purent l'empêcher de poursuivre la marche de sa pensée. Alors il fut exclu solennellement de la communauté juive (1656). On obtint même — le clergé protestant le tenant aussi pour un homme dangereux — son expulsion temporaire d'Amsterdam. Il élut provisoirement domicile chez un ami qui demeurait à la campagne dans les environs de cette ville. Il gagnait sa vie en taillant des verres d'optique, art qu'il devait à son éducation rabbinique, chaque rabbin débutant devant apprendre un métier. Ses amis de la ville venaient chercher ses verres et les vendaient pour lui. Il semble qu'il se soit déjà formé alors un cercle de jeunes gens autour de lui et de ses pensées. C'est à cette époque que fut composé son ouvrage De Dieu et de l'homme (le court traité) et peut-être la première esquisse du Traité théologico-politique qui parut plus tard. Spinoza se détourna avec indignation du fanatisme des confréries des Églises positives. Il vit avec un sentiment de plus en plus profond et une intelligence de plus en plus complète de luimême quelle était la tâche de sa vie, à savoir de former par son seul secours un ordre de pensées capables de jeter une vive lumière sur la nature de l'homme et sur la place qu'il occupe dans l'existence. L'expérience lui avait appris (ainsi qu'il dit au commencement du traité inachevé De la Réforme de l'entendement) que ni la richesse, ni la jouissance sensuelle, ni les honneurs ne peuvent être pour l'homme un vrai bien, que la seule chose capable de remplir sans cesse l'esprit d'une satisfaction nouvelle, c'est la recherche constante de la connaissance, qui attache l'âme à ce qui subsiste, alors que tout le reste change. La pensée de Spinoza avait un mobile nettement personnel et pratique — bien qu'elle ait revêtu des formes spéculatives et abstraites, et qu'elle ait pu s'écarter en apparence de l'ordinaire de la vie humaine. La clarté complète de l'intelligence était pour lui un besoin vital.
En 1661 il alla habiter Rhynsburg, petite ville des environs de Leyde. C'est là qu'il commença à composer son célèbre chef-d'œuvre. Il en fait mention dans les lettres à ses amis (notamment à Oldenburg et à Vries). Il y eut de bonne heure des copies de la partie de l'ouvrage qui était rédigée, et de jeunes amis de Spinoza, habitant Amsterdam, pour la plupart médecins, lisaient le livre en commun, et dans les cas douteux s'adressaient au maître pour avoir des éclaircissements. Sa vie n'était pas aussi solitaire qu'on l'a souvent dépeinte. Sa correspondance, que l'on a appris seulement à connaître de plus près, après la découverte faite du Court Traité [vers 1860], nous le montre en contact avec un groupe qui n'est certes pas insignifiant, d'hommes de conditions et de tendances d'esprit différentes. L'étude de cette corres pondante offre un intérêt considérable pour qui veut com prendre Spinoza et ses pensées, ainsi que l'état d'esprit qu régnait à cette époque. Il avait plusieurs amis à Leyde, la ville universitaire voisine. C'est ainsi qu'il noua des relation d'amitié avec Niels, Stensen (Nicolas Steno), savant naturaliste danois, qui étudiait à cette époque à Leyde. Plus tard, après sa conversion au catholicisme, Stensen adressa dans une missive (Epistola ad novae philosophiae reformatorem) l'invitation à Spinoza, qu'il appelle son ancien ami, son ami intime (admodum familiaris), de le suivre dans le giron de l'Église hors de laquelle il n'y a pas de salut. A.-D. Jorgensen, archiviste royal danois, biographe de Niels Stensen, explique le silence gardé par Spinoza vis-à-vis de l'invitation de son ancien ami en disant: «L'inquiet esprit de charité propre au christianisme poussa Steno à tenter de faire partager par son ami le bonheur de cet esprit; l'indifférence infinie de la philosophie pour les désirs et les soucis de la personnalité individuelle fit comprendre à Spinoza que cet homme était perdu sans retour pour la connaissance de la vérité et que le silence était la réponse qui convenait à son apostrophe.» Je crois que l'excellent historien (qui a le premier dégagé les intéressants rapports de Steno et de Spinoza) est ici fort injuste envers Spinoza ainsi qu'envers la philosophie. J'ai un grand respect pour la figure de Steno, pour sa personnalité religieuse aussi bien que pour son individualité scientifique. Mais cela ne m'empêche pas de croire que quelque noble que soit le nom pris par cette propagande, l'esprit de charité (à supposer qu'il soit toujours intéressé là-dedans) n'est pas le seul ressort qui soit en action; en tous cas, cet esprit de charité n'empêchait pas Steno, comme tant d'autres, de se réjouir d'une félicité, dont, à ce qu'ils croyaient savoir, un très grand nombre seraient exclus. Il est en tous cas injuste de refuser à Spinoza l'esprit de charité parce qu'il ne voulait pas imposer ses idées aux autres. Sa foi, pleine d'amour, avait pour objet l'homme et il trouvait l'humanité sous des formes confessionnelles très différentes. Un témoin impartial, le pasteurColerus, rapporte tout l'intérêt qu'il portait à autrui; il consolait ou égayait ses voisins quand ils étaient frappés par le chagrin ou par la maladie. Son hôtesse de la Haye lui ayant demandé si elle pouvait être sauvée par la religion qu'elle professait, il répondit que sa religion était bonne, qu'elle n'en devait pas chercher d'autre . elle serait sûrement sauvée, si elle menait une vie de piété et de paix. Il sympathisait surtout avec les tendances libérales du protestantisme. Il avait une tout autre idée de l'importance du protestantisme que Bruno, son compagnon parl'esprit; c'était du reste fort naturel; il vivait dans le pays le plus libre d'Europe, dans un État où la lutte pour la liberté religieuse se manifestait dans tous les domaines. Un jeune homme qui avait habité la même maison que Spinoza et avait passé au catholicisme, Albert de Burgh, ayant renouvelé la tentative de conversion faite par Steno, Spinoza lui répondit par une lettre où il défendait la légitimité de la libre connaissance et où il déclare reconnaître et aimer l'essence de toute vraie religion. Il ne faut pas oublier que Steno se formalisa surtout de voir Spinoza préconiser la liberté religieuse. Travailler pour la liberté religieuse, c'était pour Steno compromettre le salut de son âme! La conviction de Spinoza, qu'une vraie foi ne s'impose ni par l'oppression, ni par la violence, et sa délicatesse à ne pas ébranler la foi d'autrui, pourvu qu'elle soit sincère, ne témoignent-elles pas d'un intérêt plus grand et plus vrai pour la personnalité individuelle que celui qui s'exprime par une propagande passionnées?
Après un séjour de plusieurs années à Rhynsburg, Spinoza alla (1663) à Voorburg dans les environs de La Haye, et plus tard (1670) à La Haye même. Ici encore il avait beaucoup d'amis, dont les uns occupaient de hautes situations, comme les frères de Witt. Sa vie était simple, et dans les affaires d'argent il faisait preuve d'un grand désintéressement envers ses parents et ses amis. Sa façon de prendre la vie était caractérisée par une humeur enjouée et joyeuse. «Pourquoi, demandet-il dans son Éthique, plutôt apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie? Je suis convaincu-qu'aucune divinité, et d'une façon générale que tout être qui n'est pas envieux, ne peut se réjouir de mon impuissance ou de mon malheur, ou penser que les larmes, lek sanglots ou la peur me seront un bien; au contraire, plus est grande la joie que nous éprouvons, et plus est grande la perfection à laquelle nous passons, c'est-àdire, plus nous participons à la nature divine. Voilà pourquoi le sage réconfortera et fortifiera son corps en mangeant et en buvant; il aimera également les parfums, les fleurs, la musique, les vêtements pleins de goût, les exercices du corps et les spectacles.» Malgré sa veine mystique, Spinoza n'était pas un ascète. Dans sa vie comme dans sa philosophie, la tendance à se fondre en une pensée unique marchait de pair avec le sens de la réalité diverse dont la loi intérieure est justement, d'après sa conception, exprimée par cette pensée. On commet une erreur lorsqu'en caractérisant sa vie et sa philosophie on n'a pas continuellement sous les yeux les divers courants qui s'agitaient positivement en lui, bien que peut-être il n'ait pas trouvé (comme il le croyait) la parole magique qui devait satisfaire entièrement toutes ces tendances et les concilier mutuellement.
Le premier ouvrage publié par Spinoza fut un exposé de la philosophie cartésienne (1663), d'abord destiné à un jeune homme (le jeune Albert de Burgh) qu'il ne voulait pas encore initier à sa propre philosophie. Il est caractéristique qu'il ait ainsi considéré le Cartésianisme comme introduction à sa propre doctrine. Il travaillait à l'Éthique qu'il limait sans cesse. Il n'en faisait part à autrui qu'avec beaucoup de circonspection; avant de permettre à ses disciples de montrer le manuscrit à des étrangers, il puisait des renseignements exacts sur leur caractère et leur position. C'est ainsi qu'il refusa à son ami Tschirnhausen la permission de montrer l'Éthique à Leibniz; ce n'est qu'après des relations personnelles plus longues avec Leibniz qu'il lui montra lui-même son œuvre capitale.
D'après l'hypothèse de Tonnies, les deux premiers livres de l'Éthique formaient un tout indépendant; la psychologie réaliste du troisième livre, qui trahit l'influence de Hobbes, laquelle se fait également sentir dans la politique, semble n'avoir été composée que plus tard. On s'expliquerait ainsi plusieurs contradictions de forme entre le deuxième et le troisième livres. Comparée au Court traité, l'Éthique dénote un progrès. Spinoza ne conçoit plus les rapports de l'esprit avec la matière comme un rapport de causalité, mais comme. un rapport d'identité. Spinoza se disposa à différentes reprises à publier son œuvre capitale, mais il' y renonça, en voyant la grande émotion causée par le seul bruit de la publication. Depuis l'apparition du Traité théologico politique (1670) il était mal noté, bien qu'il n'y eût pas encore développé son système proprement dit. Le livre défendait la liberté religieuse comme un droit de l'homme; il montrait en particulier que la divergence des personnalités devait nécessairement entraîner la divergence des croyances. Il contenait en outre un examen exclusivement historique des Saintes Écritures (surtout de l'ancien Testament, reporté pour sa date à une époque postérieure), et une caractéristique psychologique des auteurs. Il distingue nettement la religion, dont le but est pratique, puisqu'elle vise à mener l'esprit des hommes à l'obéissance ét à la moralité, de la science, qui a un but purement théorique; et faisant fond sur cette différence, il adjuge à la science liberté pleine et entière. Il termine par une polémique contre la croyance aux miracles les lois de la nature sont les lois de l'essence même de Dieu. — Cet ouvrage, qui contenait tant de pensées d'avenir, fut considéré comme le résumé de toute impiété. Les expériences que fit Spinoza en cette occasion l'engagèrent non seulement à garder son Éthique, mais encore à refuser une chaire de professeur à Heidelberg; il craignait — malgré toutes les promesses qu'on lui fit — de n'avoir pas une liberté d'enseignement suffisante. Une maladie de poitrine héréditaire qui depuis de longues années avait miné sa santé, amena sa mort (21 février 1677). Sur sa mort, ainsi que sur sa vie, étaient répandus des bruits barbares que Colerus, en fidèle ami de la vérité, a réfutés après un examen scrupuleux; il est à la vérité étonné lui-même de voir qu'un libre penseur puisse mener une aussi belle vie et mourir d'une mort aussi calme; il trouve scandaleux que le coiffeur de Spinoza, dans une note adressée à la masse mortuaire, appelle son client «le bienheureux Spinoza!»
Dans le développement de la personnalité de Spinoza nous voyons donc poindre de divers côtés les divers éléments de son système. Notre tâche sera done d'examiner au moyen de l'analyse du système définitif comment il a combiné ces éléments et dans quelle mesure cette combinaison lui a vraiment réussi.