L'espérance, selon saint Thomas d'Aquin et Félicien Rousseau, théologien québécois

Georges-Rémy Fortin
Enseignant en philosophie au collège de Bois-de-Boulogne.

Il n’est pas facile d’espérer. La difficulté d’espérer tient à ce que l’avenir est une dimension qui nous échappe en bonne partie. La tradition catholique voit dans l’espoir une passion humaine qui, par un travail d’éducation, peut être disciplinée vertueusement. Dans sa Somme Théologique, Thomas d’Aquin consacre de longs développements à l’espoir et aux vertus qui l’humanisent. Quant à l’espérance, il s’agit d’une vertu théologale, une vertu qui dépend d’un don de Dieu. Il y a donc l’espoir humain, et l’espérance divine.

L'humanisme scientifique et démocratique a tenté d'humaniser entièrement l'espérance en rendant l'humain maître de son avenir. Le progrès technologique et politique devait ouvrir des perspectives de bien-être et de liberté sans cesse accrus. Pourtant, les années 70 à 80 ont connu l'angoisse de la guerre nucléaire. Nous connaissons l'angoisse écologique, climatique. L'angoisse nucléaire elle-même est revenue, avec la guerre en Ukraine. On pourrait allonger la liste de ce qui nous fait peur : terrorisme, extrémisme politique, précarité économique. Notre jeunesse est transie d'angoisse : elle éprouve la crainte de ne pas réussir à la hauteur des attentes parentales, celle de ne pas être socialement valorisé, de ne pas être populaire, et bien d'autres encore.

La plupart de ces craintes sont en fait générées par le progrès lui-même. On l'a réalisé depuis longtemps. Auschwitz et le Goulag ont sonné le glas d'une confiance naïve dans le progrès humain, aussi bien technique que politique. Le réchauffement climatique rend maintenant difficile la fuite dans un hédonisme technologique béat, puisque les enfants sont conditionnés à l'écoanxiété dès la garderie. L'avenir est ressenti plus comme une menace que comme une promesse. L'espérance technique et politique, si forte au siècle des Lumières et jusqu'au XXe siècle, semble aujourd'hui être un échec.

L'espoir selon Thomas d'Aquin et le Pape François

Nous redécouvrons, dans le désespoir contemporain, le caractère surhumain de l'espérance. Pour Thomas d'Aquin, l'espoir est une passion de l'irascible, c'est-à-dire une passion tournée vers ce qui est difficile[1]. Son objet est un bien futur, dont l'atteinte est ardue, mais néanmoins possible : « […] on n'espère pas ce qu'on ne peut absolument pas obtenir »[2]. La ligne de partage entre l'espoir humain et divin est donc ce qui est possible, ou non, à l'humain. L'espérance théologale consiste à espérer un bien qui vient d'autrui, de Dieu, parce que ce bien dépasse toute mesure humaine[3]. Le progrès technopolitique a déplacé la ligne de partage entre les deux types d'espoir, mais ne l'a pas fait disparaître.

Il en va d'une juste appréciation de soi-même. Il y a un espoir humain, qui s'étend aussi loin que nos capacités le permettent. Mais celles-ci, il faut l'avouer, sont limitées. Espérer au-delà de ce que permet la finitude humaine n'est possible qu'en plaçant notre confiance en un être supérieur. Or cette confiance, tout comme la Foi, échappe à toute décision, à tout volontarisme. On peut la chercher, la demander, mais on ne peut simplement décider d'avoir confiance dans l'avenir.

On ne peut même espérer recevoir l'espérance : on ne peut que le désirer. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre l'énigmatique formule de saint Paul « espérer contre toute espérance ».

On ne peut même espérer recevoir l'espérance : on ne peut que le désirer. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre l'énigmatique formule de saint Paul « espérer contre toute espérance ». L'espérance donnée par Dieu va au-delà, et même à l'encontre de l'espoir humain. Plus exactement, la parole de saint Paul se rapporte à Abraham, et se lit comme suit : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d'une multitude de peuples »[4]. Alors qu'à un âge avancé, Abraham désespérait que son épouse Sarah puisse enfanter, il a pourtant eu confiance dans la promesse divine d'une descendance nombreuse.

Le Pape François, dans son audience du 28 décembre 2016, nous rappelle que cette espérance donna à Abraham le courage de se mettre en marche, et de quitter sa terre comme l'en enjoignait Dieu. D'un point de vue rationnel, cette entreprise paraissait vaine. Du point de vue du bon sens, la promesse divine semblait impossible. Et pourtant, elle se réalisa. François nous explique que l'espérance permet même d'élargir le champ de ce que nous pouvons nous simplement nous représenter : « L'espérance ouvre de nouveaux horizons, rend capable de rêver ce qui n'est même pas imaginable »[5].

La plainte d'Abraham

Selon l'interprétation de François, le don divin de l'espérance n'est pas tombé du ciel tout d'un coup, comme par magie, mais au terme d'un dialogue avec Dieu dans lequel Abraham lui a exprimé sa déception, son découragement :

« La scène se déroule la nuit, dehors règne l'obscurité, mais dans le cœur d'Abraham aussi règne l'obscurité de la déception, du découragement, des difficultés pour continuer à espérer en quelque chose d'impossible. Le patriarche est désormais trop âgé, il semble qu'il n'y a plus de temps pour un fils et qu'un serviteur le remplacera pour tout hériter.

Abraham s'adresse au Seigneur, mais c'est comme si Dieu, même s'il est présent et parle avec lui, s'était désormais éloigné, comme s'il n'avait pas tenu sa parole. 

Abraham se sent seul, il est vieux et fatigué, la mort menace. Comment continuer à avoir confiance?

Pourtant, le fait qu'il se plaigne est déjà une forme de foi, c'est une prière. Malgré tout, Abraham continue à croire en Dieu et à espérer que quelque chose puisse encore arriver. Autrement, pourquoi interpeller le Seigneur, se plaindre de Lui, lui rappeler ses promesses? »

Abraham avait la conviction que tout était perdu, parce que sa lignée s'éteindrait avec lui. Il a confié son angoisse à Dieu, et il a reçu le don de l'espoir. Aujourd'hui, de jeunes adultes se font stériliser par désespoir écologique. À qui peuvent-ils confier leur angoisse?

Contre toute espérance, de Bernard Émond : l'espérance de la justice sociale

On trouve dans l'œuvre cinématographique de Bernard Émond une tentative de laïciser l'espérance chrétienne. Deuxième volet d'une trilogie sur la relecture que fait Émond des vertus théologales, Contre toute espérance montre la difficulté d'espérer dans la société contemporaine. Le film nous montre Réjeanne, une femme moralement et physiquement poussée à bout par la perte de son emploi et l'invalidité de son mari, victime d'un AVC. La descente infernale de Réjeanne dans la pauvreté et la dépression est causée par l'inhumanité d'une économie axée sur le profit individuel et d'un État dont les services sociaux, insuffisants, laissent à elles-mêmes des personnes dans le besoin. L'œuvre d'Émond est d'une beauté dure, très sombre. Elle montre le besoin d'espérance plutôt qu'elle ne donne des raisons d'espérer.

Même si Émond a puisé dans ses souvenirs du petit catéchisme de son enfance l'inspiration pour son film, ce dernier n'est pas un plaidoyer pour la Foi en Dieu ni un retour au bercail de ceux qui ont quitté l'Église catholique. Il soutient toutefois que, si la sortie du catholicisme par la société québécoise était justifiée, il faudrait tout de même conserver ce qu'il y a de bon en lui, notamment la vertu d'espérance. Une certaine continuité avec le passé est nécessaire, selon Émond :

« Je ne m'ennuie pas de Duplessis, et il y a eu un rejet de la religion pour d'excellentes raisons. Mais on peut se dire qu'il y a dans cet héritage-là des choses à conserver, plaide le réalisateur. On est en train de vivre une véritable déculturation, une véritable rupture avec le passé, qui fait de nous non plus des citoyens, mais des consommateurs encadrés par leurs cartes de crédits et leur poste de télévision »[6].

Selon Émond, il faut cesser d'être fataliste face aux marchés économiques. L'espérance qu'il appelle de ses vœux consisterait ainsi à reprendre confiance dans notre capacité à défendre politiquement la justice sociale. Si la modernité technologique et démocratique n'a pas tenu ses promesses, ce serait à cause de l'individualisme libéral et d'autres dérives politiques qui nous éloignent de la justice et de la solidarité.

Pourtant, la solidarité et la justice ont bien suscité, par le passé, de vastes réformes qui ont mené à la social-démocratie d'aujourd'hui. Bien que celle-ci soit imparfaite, incomplète, on ne saurait sous-estimer l'immense progrès accompli depuis le début de l'époque industrielle. Or l'espérance politique en la justice semble aujourd'hui éteinte. La justice économique est en panne, ou du moins, dans une période de stagnation.

La mutation de l'espoir théologal en un espoir laïc, social-démocrate, a été une réalité pendant plusieurs décennies, mais ce n'est plus le cas.

La mutation de l'espoir théologal en un espoir laïc, social-démocrate, a été une réalité pendant plusieurs décennies, mais ce n'est plus le cas. Longtemps portée par la vague idéologique du socialisme et du communisme, la social-démocratie apparaissait aux uns comme une étape vers une justice intégrale, universelle, et aux autres comme un compromis permettant d'éviter les affres de la Révolution. L'effondrement du bloc de l'est a pu susciter un certain enthousiasme libéral, voire néo-libéral, mais les peuples démocratiques se sont montrés trop attachés aux filets sociaux de leurs États pour que le capitalisme triomphe intégralement. On est ainsi arrivés au statu quo, dans lequel ni l'individualisme libéral, ni la justice socialiste, ni d'ailleurs le nationalisme ne soulèvent une réelle espérance politique. L'espérance politique semble donc tout aussi révolue que l'espérance théologale.

Félicien Rousseau : enraciner l'espoir dans la nature

Le théologien néothomiste québécois Félicien Rousseau nous met en garde contre la tentation de passer directement de l'espoir théologal à l'espoir politique. Selon lui, les projets philosophiques grandioses de Marx et Nietzsche sont la réponse au vide laissé par l'effondrement de l'espérance théologale, après que la modernité eut largement renoncé à la foi. Si on laisse ici de côté l'aristocratisme nietzschéen, contradictoire avec les aspirations à la justice sociale évoquées précédemment, il faut bien admettre un certain triomphalisme, pour reprendre une expression chère à Rousseau, dans les aspirations socialistes à une solidarité humaine universelle.

Lorsque Marx a remis l'idéalisme hégélien sur ses pieds, comme il le dit, il a réorienté la philosophie de la terre vers le ciel. Le ciel, ici, c'est l'espoir en une justice humaine intégrale, en lequel consiste le communisme. Selon Rousseau, le projet de Marx était intrinsèquement totalitaire, à cause de l'incapacité de son matérialisme à prendre en compte la valeur intrinsèque de la personne humaine, et à cause de son incapacité à humaniser les passions irascibles comme l'espoir, mais aussi la colère et l'audace.

Ces passions, naturellement tendues vers ce qui est grand et difficile, sont intrinsèquement agressives. Marx a assumé sans aucun complexe cette agressivité, en mettant de l'avant un projet révolutionnaire ouvertement violent. Or, nous dit Rousseau, l'agressivité n'est pas naturellement violente. La combativité, le désir de surmonter des défis et de vaincre des obstacles peut être humanisé par les vertus classiques du courage, de la modération et de la prudence, soit la phronésis aristotélicienne.

Le tournant machiavélien vers une rationalité instrumentale - ou « raison productive », selon l'expression de Rousseau – a rendu à proprement parler impensable une agressivité constructive, motivée par l'amour de la vie, de l'humain et de Dieu.  La raison instrumentale est productive: elle produit un objet extérieur à l'agent, contrairement à la raison pratique, éthique ou politique, qui porte sur l'action de celui qui agit. On retrouve ici la différence entre avoir et être. Rivée à la recherche d'efficacité et disponible pour l'exécution de toute fin arbitrairement choisie, la rationalité instrumentale est aveugle aussi bien à la fluidité de la vie concrète qu'au bien commun véritable. Pendant des siècles, les peuples se sont ainsi trouvés devant un faux dilemme : ou bien la résignation face à la domination, ou bien la révolution violente.

Selon Rousseau, ce ne sont pas tant les vertus théologales qui manquent au projet socialiste, que les vertus naturelles, humaines, qui permettent d'humaniser l'espoir, en l'enracinant tout à la fois dans l'amour et dans la réalité. 

Incapable de penser à une justice concrète qui ne peut être que le fruit d'un compromis social sur le bien commun, comme l'a montré Aristote, Marx ne pouvait envisager qu'une justice abstraite réalisée par la force. L'échec de ce projet nous laisse aujourd'hui sans espoir d'une justice meilleure que celle que nous avons. Ainsi, selon Rousseau, ce ne sont pas tant les vertus théologales qui manquent au projet socialiste, que les vertus naturelles, humaines, qui permettent d'humaniser l'espoir, en l'enracinant tout à la fois dans l'amour et dans la réalité. La vertu de prudence, notamment, qui consiste à faire preuve de finesse et de polyvalence dans la réalisation concrète d'une fin, implique la compréhension que la réalité sociale ne sera jamais à la hauteur de l'idéal. La terre ne peut monter directement au ciel.

Gravir un échelon à la fois

Le ressourcement de l'espoir politique dans les vertus traditionnelles ne doit donc pas sauter d'étapes. La politique ne peut prendre la place de l'espoir théologal, qui est l'espoir d'une charité infinie, absolue. L'espoir politique doit être refondé sur les vertus humaines du courage, de la modération, de la prudence, qui supposent une éducation morale soutenue et orientent vers un engagement réaliste envers le bien commun et la justice. Or l'abandon d'une conception humaine de l'espoir n'est pas premièrement le fait de l'utopie socialiste ou du virage machiavélien vers la rationalité instrumentale, mais avant tout d'une tendance chrétienne au triomphalisme qui, bien avant l'époque moderne, a systématiquement dévalorisé la nature.

Rousseau cite à plusieurs reprises le grand historien de la philosophie et penseur néo-thomiste René Antoine Gauthier qui, dans son ouvrage classique Magnanimité, L'idéal de la grandeur dans la philosophie classique et dans la théologie chrétienne[7], déclare que l'augustinisme a triomphé du thomisme à la fin du moyen âge, et ainsi empêché l'avènement d'une véritable modernité chrétienne. Une spiritualité de l'adhésion immédiate à Dieu et l'absorption de la Cité dans l'Église ont empêché, selon Gauthier, le développement d'une spiritualité humaniste, laïque, dans laquelle les facultés humaines se réalisent, au plan individuel, dans la magnanimité, soit la grandeur d'âme, et au plan communautaire, dans la justice sociale[8].

Dans la mesure où l'espoir est intrinsèquement porté par une certaine aspiration à la grandeur, il doit être éduqué par la vertu de la magnanimité, qui consiste en quelque sorte à faire preuve de réalisme quant aux plus grands accomplissements dont on est capable. Il s'agit d'une vertu humaine, fondée sur la raison, et non d'une vertu théologale. Inspiré par Gauthier, Rousseau déclare que la magnanimité n'est rien de moins que la possibilité du « triomphe de la liberté humaine » dans l'histoire[9]. Pour Rousseau, le triomphe humain est indissociable de la réalisation des droits humains fondamentaux, à commencer par les « droits créances » qui garantissent à toute personne le nécessaire à la vie, et qui font encore aujourd'hui cruellement défaut aux plus démunis, comme le montre le film de Bernard Émond.

Le divin, surplus de vie

C'est donc dire que la vertu théologale de l'espoir, qui porte sur l'aide de Dieu, n'est pas en aval, mais en amont de l'espoir humain. Une théologie chrétienne qui prend au sérieux l'incarnation doit, selon Rousseau, suivre la voie thomiste qui affirme la complémentarité des vertus humaines et des vertus divines, de l'espoir humain et de l'espoir divin. L'espoir humain, nous dit Rousseau en citant Thomas, est même plus stable que la grâce divine. Il est plus stable parce que « naturel », au double sens de physique, incarné dans la vue concrète, et essentielle, faisant partie de notre identité métaphysique, de notre définition. La finitude humaine est une limite, mais elle a sa solidité propre.

L'espoir naturel est consubstantiel à l'humain. Comme tout potentiel humain, il doit être éduqué et discipliné pour parvenir à une vie vertueuse. C'est cette éducation à la vertu qui nous fait défaut, éducation qui était au cœur de la philosophie antique de Platon, d'Aristote et des stoïciens. Le triomphalisme chrétien du moyen âge a mené à l'abandon des vertus classiques, philosophiques, ce qui a eu pour résultat de l'affaiblir, et de priver ceux qui en avaient le plus besoin, les pauvres, les faibles, les exclus, d'un espoir terrestre. Il leur fallait, pour espérer en l'au-delà, renoncer à toute amélioration de leur sort ici-bas. L'assistance qu'on doit leur porter doit consister à les renforcer, les solidifier, renforcer leur autonomie, et non à les conditionner à se résigner à la souffrance et à l'humiliation.

Rousseau résume la chose ainsi : « L'affaiblissement du sens de l'incarnation qui ferma, d'une certaine façon, le christianisme à la première tâche terrestre qui découle de l'accueil du don inouï de l'espérance : à savoir, de susciter chez les démunis une espérance humaine, laissa un grand vide »[10]. L'affaiblissement du sens de l'incarnation laissa un grand vide. L'espoir divin ne peut rejoindre les démunis que s'il s'incarne, et il ne peut s'incarner que dans une nature qui a sa consistance propre. L'Église doit se tourner vers le monde, la société, non pour la soumettre à un mode de vie monacal et à une morale aussi éthérée qu'étriquée, mais pour offrir un supplément d'âme qui vivifie le progrès humain. L'ascétisme, sous toutes ses formes, prive l'humanité de ce supplément d'âme.

C'est ce vide que tentèrent de combler les utopies politiques. Faute d'un développement guidé par les vertus naturelles, qui donnent la juste mesure, les passions humaines ne peuvent qu'être excessives ou insuffisantes. C'est ainsi que, faute d'une éducation classique, les passions humaines se sont d'abord déchaînées, ce qui mena au totalitarisme, avant de sombrer par contrecoup dans la dépression actuelle.

La force d'admettre nos limites

La première étape pour faire revivre l'espoir est donc de se réenraciner dans la philosophie classique des vertus. L'éprouvant dialogue d'Abraham avec Dieu suppose que le patriarche ait poussé ses facultés humaines jusqu'à leurs limites. Il ne s'agit toutefois pas de revenir à un certain aristocratisme de la philosophie antique, dans lequel seuls quelques Sages se montreraient dignes du don divin de l'espérance théologale. Il s'agit plutôt de penser que le don divin ne demande pas le sacrifice des forces humaines et du bonheur terrestre, mais au contraire leur développement. C'est-à-dire que l'aide de Dieu est offerte à tous, et même, selon la parole du Christ, en priorité aux plus faibles, mais que cette aide vise l'épanouissement de ce qu'il y a de meilleur en chacun.

La première étape pour faire revivre l'espoir est donc de se réenraciner dans la philosophie classique des vertus. L'éprouvant dialogue d'Abraham avec Dieu suppose que le patriarche ait poussé ses facultés humaines jusqu'à leurs limites.

Le catéchisme de l'Église catholique définit l'espérance ainsi : « L'espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit »[11]. Comme nous l'avons vu, l'espérance du Royaume des cieux prend son sens, selon Thomas d'Aquin et Félicien Rousseau à sa suite, comme complément à l'espoir humain. Il en va de même pour le bonheur éternel.

Les vertus humaines, le progrès économique et technique, les services de l'État peuvent nous donner du bonheur, mais ce ne sera jamais qu'un bonheur fini, soumis à la condition humaine de la temporalité et de la mort. Placer notre confiance, non dans nos forces, mais dans la grâce du Saint-Esprit signifie ainsi que, pour faire face à ce qui dépasse infiniment nos forces, nous aurons toujours besoin du secours divin. Comme Abraham, nous devons avoir la lucidité de constater les limites de nos forces, et l'audace d'adresser une plainte à un être supérieur.


[1] ST I, Q. 81

[2] ST Ia IIae, Q. 40, a. 1

[3] ST IIa IIae, Q.17

[4] Rm 4, 18

[5] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2016/documents/papa-francesco_20161228_udienza-generale.html

[6] https://www.lapresse.ca/cinema/nouvelles/201207/17/01-4555940-contre-toute-esperance-pour-la-beaute-et-la-dignite-des-gens-de-peu.php

[7] Publié chez Vrin en 1951.

[8] Gauthier, Magnanimité, pages 495-496, cité dans Félicien Rousseau, Courage ou résignation et violence, Éditions Bellarmin, 1985, pages 147 à 149.

[9] Félicien Rousseau L'avenir des droits humains, P.U.L., 1996, p. 91

[10] Félicien Rousseau, Courage ou résignation et violence, Éditions Bellarmin, 1985, p. 169

[11] Catéchisme de l'Église catholique, Cerf, 1998, p. 386

Extrait

La première étape pour faire revivre l'espoir est donc de se réenraciner dans la philosophie classique des vertus. L'éprouvant dialogue d'Abraham avec Dieu suppose que le patriarche ait poussé ses facultés humaines jusqu'à leurs limites. Il ne s'agit toutefois pas de revenir à un certain aristocratisme de la philosophie antique, dans lequel seuls quelques Sages se montreraient dignes du don divin de l'espérance théologale. Il s'agit plutôt de penser que le don divin ne demande pas le sacrifice des forces humaines et du bonheur terrestre, mais au contraire leur développement.

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