Virchow Rudolf
Plus que ses nombreuses découvertes, ce sont ses travaux théoriques sur la pathologie cellulaire qui ont fait de Virchow un immense personnage. Dans Die Cellularpathologie, paru en 1858, il soutint que c'est dans la cellule qu'il faut chercher l'explication ultime des processus normaux aussi bien que des maladies. Il affirma en outre que toute cellule était produite par une autre cellule, omnis cellula e cellula. Il devenait évident par là qu'on ne pouvait comprendre l'action des bactéries que par la réaction des cellules par rapport à elles.
On note avec intérêt qu'au même moment, la théorie atomique s'est imposée comme base de la physique. Par deux chemins parallèles, biologistes et physiciens accédaient à la connaissance des particules élémentaires de la vie et de la matière. À la même époque également, Mendel introduisit une sorte d'atomisme dans la science de l'hérédité en démontrant que les caractères se transmettent séparément.
L'originalité de Virchow tient aussi au fait qu'il alla également à l'autre extrémité du spectre des causes, définissant la médecine comme une science sociale. C'est dans une feuille hebdomadaire lançée en 1848, la Medizinische Reform, que Virchow avait présenté la médecine comme une science sociale. Cette feuille, écrite avec chaleur et clarté, contient tous les arguments qu'on utilisera par la suite quand on parlera du droit à la santé. À propos d'une épidémie survenue en Silésie, Virchow s'indigne de ce que le ministre responsable «n'ait rien su faire d'autre que d'en appeler à l'aide, à la compassion, à la charité chrétienne». C'est l'État, soutient-il, qui aurait dû intervenir.
Naissance de l'État-providence
C'est pour des raisons tenant à la dimension sociale du génie de Virchow que l'Allemagne sera le premier pays à se doter d'un système complet d'assurance-maladie étatique. La grande loi votée par Bismarck en 1883 peut en effet être considérée comme l'acte de naissance de l'État-providence. Les soins médicaux furent dès ce moment gratuits pour les ouvriers d'abord, et ce privilège fut ensuite étendu progressivement à l'ensemble de la population.
À cette époque, en Allemagne surtout, l'État apparaît comme l'instrument par excellence du progrès. «Est-il si difficile, écrit Virchow, de concevoir que l'État n'est rien d'autre que la conscience scientifique du temps et que la science d'aujourd'hui combat le dogme et reconnaît le droit naturel plutôt que le droit historique». Sous-entendu: les riches ont des droits historiques, les droits naturels s'appliquent à tous les hommes.
Au même moment, en Allemagne toujours, les philosophies régnantes sont celles de Kant et de Hegel. Dans la première de ces philosophies, l'État apparaît comme la clé de voûte de la civilisation, dans la seconde, il est le moteur de l'histoire. Ces idées font partie de l'air que respire Virchow, lequel précisera que la responsabilité à l'égard de la santé publique relève de la définition même de l'État. Virchow ne se contenta toutefois pas de dire que la médecine est une science sociale, il ajouta que la politique n'est rien d'autre que la médecine en grand: Die Medicin ist eine sociale Wissenschaft, und die Politik ist weiter nichts, als die Medicin im Grossen. Phrase lourde de sens et de conséquences dans un pays qui connaîtra cinquante ans plus tard la dictature médicale.