Debray Régis

"À l'heure où la mode au sein de l'extrême-gauche parisienne consistait à faire du tourisme militant à Cuba, Debray s'engageait physiquement dans l'aventure guévariste qui se termina pour lui dans les prisons boliviennes. Comme le prouve une de ses lettres de captivité adressée à Philippe de Saint-Robert, ses réflexions sur l'échec de la révolution internationale l'incitent dès 1969 à se rallier à «une certaine idée de la France» et à l'Etat-nation comme cadre de résistance à l'impérialisme américain. Ainsi sa «conversion» au gaullisme n'est pas si récente que certains le prétendent. De retour en France en 1973, «avec dans la tête un grand roman inachevé : le gaullisme d'extrême-gauche», il croit trouver en la personne de François Mitterrand l'homme capable d'incarner ce rêve ; il le servira donc et sera déçu. En 1978, Debray publie un petit essai : Modeste contribution aux discours et cérémonies du dixième anniversaire, dans lequel il affirme que le rôle historique de Mai 68 consista à faire sauter les derniers obstacles que rencontrait le capitalisme pour envahir tous les domaines de la vie. Voilà aussi ce que lui reprochent aujourd'hui les libéraux-libertaires : avoir le premier dénoncé l'imposture de «leur révolution», mythe fondateur de la modernité politique.

Les historiens contemporains pensent que le XXè siècle fut un «siècle court», commencé en 1914 avec la Première Guerre mondiale et clos en 1989 avec la chute du Mur de Berlin. De fait, les changements survenus durant cette dernière décennie laissent à penser que nous avons changé d'époque. Ce monde nouveau, Régis Debray l'a empoigné à bras le corps dans ses nombreux écrits politiques et médiologiques. A travers tous les événements - Guerre du Golfe, Traité de Maëstricht, révolte zapatiste au Mexique, guerre de Yougoslavie - et toutes les mutations technologiques - informatique, médias, communication - il s'emploie à définir les nouvelles problématiques, à dégager les nouvelles lignes de ruptures idéologiques, à imaginer les nouvelles stratégies de résistance au néoliberalisme qui, selon l'expression du sous-commandant Marcos, a déclaré la guerre à l'humanité. Ainsi, Régis Debray ne s'est pas renié mais a eu l'intelligence d'évoluer pour une meilleure compréhension de notre époque. Au terme de cette évolution, il s'explique : «Tentons de lever un malentendu devenu stéréotype qui oppose les «nationalistes» bêtes et méchants et les «européens» jeunes et dynamiques. Nous sommes un certain nombre, orphelins sans représentation, à ne nous reconnaître ni dans les premiers ni dans les seconds. J'endure volontiers, modeste témoin d'un troisième terme possible, qu'on me colle l'étiquette de national-républicain.»

Alors, archaïque Debray ? Au contraire : visionnaire. En effet, qui est archaïque, qui est réactionnaire ? Ceux qui vantent la Démocratie de Marché ou celui qui prône la République sociale ? Ceux qui nous incitent à nous résigner à la mondialisation capitaliste et à la tribalisation ethnique ou celui qui voit dans une nation rénovée le cadre nécessaire de la citoyenneté, de l'intégration et de l'accès à l'universel ? Ceux qui nous enferment dans une Europe citadelle ou celui qui souhaite l'horizon plus large de la coopération avec le Tiers-monde ? Ceux qui veulent nous imposer une soumission confortable à l'ordre des choses ou celui qui nous appelle à une résistance difficile ?

Non, l'archaïsme ne campe pas du côté de Debray mais de ceux qui ont déclenché contre lui leur machine de guerre, de ceux qui nous vendent la régression sous les oripeaux de la modernité. Pour l'avoir dénoncé, pour avoir compris les enjeux du monde nouveau, pour avoir donné à notre jeunesse des raisons de combattre et d'espérer, il apparaîtra peut-être comme l'un des premiers hommes du XXIè siècle."

Xavier Perez, "Régis Debray - L'incendiaire", Immédiatement, no 12, octobre 1999

https://web.archive.org/web/20030501124826/http://www.immediatement.com/numeros/immed12/debray_l.htm

 

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