Plaisir

Marcher, une philosophie. Dans «ce livre inclassable dont les idées sont illuminées par la lumière rasante du matin», (L'Express)  FrédéricGros s'abandonne, en marchant bien entendu, à des réflexions aussi fraîches qu'originales sur les sujets les plus rassis et les plus éculés : le plaisir, la joie, la sérénité et le bonheur. Fruit de rencontres, le plaisir, dit-il, ne souffre pas la répétition

«Le plaisir est une ques­tion de rencontre. Il est une possibilité de sentir trouvant son accomplissement par la rencontre d'un corps, d'un élément, d'une substance. Il n'est question que de cela dans le plaisir : des sen­sations agréables, douces, inouïes, délicieusement inconnues, sauvages. [...]Le plaisir, c'est la ren­contre du bon objet : celui qui fait s'épanouir une possibilité de sentir.

La particularité maudite du plaisir, très sou­vent relevée, c'est que la répétition en décroît l'intensité. Le bon objet qui m'a comblé, je le consomme avec un plaisir renouvelé une seconde fois, et peut-être même plus fort parce que, m'y préparant, je me mets en posture d'apprécier : je m'attache à ne manquer aucune dimension, à le goûter dans toute sa plénitude. Une troisième fois, quatrième : les sillons sont tracés, et cela devient du connu, du reconnu. C'est la même chose, le même fruit, le même vin, le même contact, mais il a trouvé sa place en pointillés dans mon corps : il ne le creuse plus en le traversant. Car ce qui est recherché dans le plaisir, c'est bien cette intensité : ce moment où les facultés de sen­tir sont débordées, éveillées, bousculées, prises à parti. Avec la répétition, tout devient plat : c'est du réchauffé, rabâché, toujours pareil.

D'où une double stratégie : la diversité ou la quantité. Soit on change les types, on trouve des variétés diffé­rentes, on passe à des genres autres. Soit on aug­mente les doses. Ces stratégies fonctionnent un peu, surtout les premières fois qu'elles sont mises en œuvre : on retrouve une part de l'intensité / perdue. Mais les effets sont trop escomptés, espérés, traqués : il y a cette attente trop précise du plaisir qui le tue.

Dans la marche, on trouve ces moments de plaisir pur, au détour de rencontres. La saveur de framboises ou de myrtilles, la douceur d'un soleil d'été, la fraîcheur d'un ruisseau. On n'avait jamais connu cela. La marche ainsi permet, comme des flambées brillantes, ce frayage d'une possibilité de sentir, par quantités discrètes : quelques ren­contres au fil des sentiers.»

Contrairement au plaisir, la joie augmente avec la répétition. Voire notre dossier Joie.

Essentiel

Fragments d"Héraclite

4. Si la félicité résidait dans les plaisirs du corps, nous dirions que les bœufs ont la félicité quand ils trouvent du foin à brouter.

111. La maladie fait trouver du plaisir dans la santé, le mal dans le bien, la famine dans l'abondance, l'épuisement dans le repos.

Articles





Articles récents