Luther Martin

1483-1546
«Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a produits, celui dont le caractère était le plus allemand, sa fermeté avait quelque chose de rude; sa conviction allait jusqu'à l'entêtement; le courage de l'esprit était en lui le principe du courage de l'action: ce qu'il avait de passionné dans l'âme ne le détournait point des études abstraites; et quoiqu'il attaquât de certains abus et de certains dogmes comme des préjugés, ce n'était point l'incrédulité philosophique, mais un fanatisme à lui qui l'inspirait.

Néanmoins la Réformation a introduit dans le monde l'examen en fait de religion. Il en est résulté pour les uns le scepticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des vérités religieuses: l'esprit humain était arrivé à une époque où il devait nécessairement examiner pour croire. La découverte de l'imprimerie, la multiplicité des connaissances, et l'investigation philosophique de la vérité, ne permettaient pas plus cette foi aveugle dont on s'était jadis si bien trouvé. L'enthousiasme religieux ne pouvait renaître que par l'examen et la méditation. C'est Luther qui a mis la Bible et l'Évangile entre les mains de tout le monde; c'est lui qui a donné l'impulsion à l'étude de l'antiquité; car en apprenant l'hébreu pour lire la Bible, et le grec pour lire le Nouveau Testament, on a cultivé les langues anciennes, et les esprits se sont tournés vers les recherches historiques.

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Quand Luther a paru, la religion n'était plus qu'une puissance politique, attaquée ou défendue comme un intérêt de ce monde. Luther l'a rappelée sur le terrain de la pensée. La marche historique de l'esprit humain à cet égard, en Allemagne, est digne de remarque. Lorsque les guerres causées par la Réformation furent apaisées, et que les réfugiés protestants se furent naturalisés dans les divers États du Nord de l'Empire germanique, les études philosophiques, qui avaient toujours pour objet l'intérieur de l'âme, se dirigèrent naturellement vers la religion, et il n'existe pas, dans le dix-huitième siècle, de littérature où l'on trouve sur ce sujet une telle quantité de livres que dans la littérature allemande.»

Mme de Staël, chapitre "Du protestantisme", De l'Allemagne, in Œuvres complètes, Paris, Firmin Didot, 1871. Texte intégral



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Propos de Luther sur l'éducation
«Quand il n'y aurait ni âme, ni ciel, ni enfer, encore serait-il nécessaire d'avoir des écoles pour les choses d'ici-bas, comme nous le prouve l'histoire des Grecs et des Romains. J'ai honte de nos chrétiens, quand je les entends dire: "L'instruction `est bonne pour les ecclésiastiques, mais elle n'est pas nécessaire aux laïques." Ils ne justifient que trop, par de tels discours, ce que les autres peuples disent des Allemands. Quoi ! il serait indifférent que le prince, le seigneur, le conseiller, le fonctionnaire fût un ignorant ou un homme instruit, capable de remplir chrétiennement les devoirs de sa charge? Vous le comprenez, il nous faut en tous lieux des écoles pour nos filles et nos garçons, afin que l'homme devienne capable d'exercer convenablement sa profession, et la femme de diriger son ménage et d'élever chrétiennement ses enfants. Et c'est à vous, seigneurs, de prendre cette oeuvre en main, car si l'on remet ce soin aux parents, nous périrons cent fois avant que la chose se fasse. Et qu'on n'objecte pas qu'on manquera de temps pour instruire les enfants: on en trouve bien pour leur apprendre à danser et à jouer aux cartes! Si j'avais des enfants et des ressources pour les élever, je voudrais qu'ils apprissent, non seulement les langues et l'histoire, mais encore la musique et les mathématiques. Je ne puis me rappeler sans soupirer qu'il m'a fallu lire, non les poètes et les historiens de l'antiquité, mais les livres de sophistes barbares, avec grande dépense de temps, avec dommage pour mon âme, en sorte qu'aujourd'hui encore j'ai grand'peine à me débarrasser l'âme de ces souillures et de cette lie. Certes, je ne veux plus d'écoles semblables à celles d'autrefois, où l'enfant perdait plus de vingt ans à apprendre par cœur Donat et les vers insupportables d'Alexandre (frigidissimi versiculi), ne devenant pas même plus habile au jeu de paume. Nous vivons dans des temps plus heureux. Je demande que l'enfant aille à l'école, au moins une heure ou deux par jour, et il faut qu'on prenne les plus capables pour en faire des instituteurs et des institutrices 4. Assez longtemps nous avons croupi dans l'ignorance et la corruption; assez et trop longtemps nous avons été "les stupides Allemands", il est temps qu'on se mette au travail. Il faut, par l'usage que nous ferons de notre intelligence, prouver à Dieu que nous sommes reconnaissants de ses bienfaits.

«Les jeunes filles, elles aussi, ont assez de temps pour qu'on exige d'elles qu'elles aillent chaque jour à l'école, au moins une petite heure (saltem ad unius horulœ spatium). Elles emploient bien plus mal leur temps lorsqu'elles passent plusieurs heures à danser, à conduire des rondes, ou à tresser des couronnes.»

MARTIN LUTHER, extrait du Libellus de instituendis pueris; magistratibus et senatoribus civitatum Germaniœ Martinus Luther. Cité par Gabriel Compayré, in Histoire critiques des doctrines de l'éducation en France depuis le XVIe siècle, Paris, Hachette et cie, 1883, 4e édition, tome I. Voir ce texte sur le protestantisme et l'éducation.

Articles


Luther

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La Diète de Worms

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Deuxième partie de l'article biographique que consacrait à Luther, Frantz Funck-Brentano, dans une édition de 1934 de la Revue de Paris.

Les dîableries

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Quatrième partie de l'article biographique que consacrait à Luther l'historien Frantz Funck-Brentano dans une édition de 1934 de la Revue de Paris.

Biographie de Luther

Frantz Funck-Brentano
Première partie de l'article biographique que consacrait l'historien Frantz Funck-Brentano dans une édition de 1934 de la Revue de Paris.

Séjour à la Wartburg - La traduction de la Bible

Frantz Funck-Brentano
Troisième partie de l'article biographique que consacrait Frantz Funck-Brentano à Luther dans une édition de 1934 de la Revue de Paris.



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