Longus

Le roman de Longus, Daphnis et Chloé, dont la naïveté ne serait qu'apparence selon certains, présente aujourd'hui un grand intérêt parce qu'il est une réponse à cette question : quel cas ferions-nous de l'amour si nous n'en avions jamais entendu parler? Daphnis et Chloé ne savaient rien de la physiologie ni de la psychologie de l'amour au moment où ils ont éprouvé ce mal étrange qui les rapprochait l'un de l'autre. Les jeunes qui, avant même de l'avoir éprouvé, ont des raisons de se méfier de l'amour, tant ils savent de choses à son sujet, tireront grand profit de la lecture de cette oeuvre.

Extrait de Daphnis et Chloé :

"Revenus ensuite à leurs troupeaux, les ayant trouvés qui paissoient tranquillement et en bon ordre, chèvres et brebis, ils s'assirent au pied d'un chêne, et regardèrent si Daphnis étoit point quelque part blessé. Il n'y avoit en tout son corps trace de sang ni mal quelconque, mais bien de la terre et de la boue parmi ses cheveux et sur lui. Si délibéra de se laver, afin que Lamon et Myrtale ne s'aperçussent de rien. Venant donc avec Chloé à la caverne des Nymphes, il lui donna sa panetière et son sayon à garder, et se mit au bord de la fontaine à laver ses cheveux et son corps.

Ses cheveux étoient noirs comme ébène, tombant sur son col bruni par le hâle: on eût dit que c'étoit leur ombre qui en obscurcissoit la teinte. Chloé le regardoit, et lors elle s'avisa que Daphnis étoit beau; et comme elle ne l'avoit point jusque-là trouvé beau, elle s'imagina que le bain lui donnoit cette beauté. Elle lui lava le dos et les épaules, et en le lavant sa peau lui sembla si fine et si douce, que plus d'une fois, sans qu'il en vît rien, elle se toucha elle-même, doutant à part soi qui des deux avoit le corps plus délicat. Comme il se faisoit tard pour lors, étant déjà le soleil bien bas, ils ramenèrent leurs bêtes aux étables, et de là en avant Chloé n'eut plus autre chose en l'idée que de revoir Daphnis se baigner. Quand ils furent le lendemain de retour au pâturage, Daphnis, assis sous le chêne à son ordinaire, jouoit de la flûte et regardoit ses chèvres couchées, qui sembloient prendre plaisir à si douce mélodie. Chloé pareillement assise auprès de lui, voyoit paître ses brebis; mais plus souvent elle avoit les yeux sur Daphnis jouant de la flûte, et alors aussi elle le trouvoit beau; et pensant que ce fût la musique qui le faisoit paroître ainsi, elle prenoit la flûte après lui pour voir d'être belle comme lui. Enfin, elle voulut qu'il se baignât encore, et pendant qu'il se baignoit elle le voyoit tout nu, et le voyant elle ne se pouvoit tenir de le toucher; puis le soir, retournant au logis, elle pensoit à Daphnis nu, et ce penser-là étoit commencement d'amour. Bientôt elle n'eut plus souci ni souvenir de rien que de Daphnis, et de rien ne parloit que de lui. Ce qu'elle éprouvoit, elle n'eût su dire ce que c'étoit, simple fille nourrie aux champs, et n'ayant ouï en sa vie le nom seulement d'amour. Son ame étoit oppressée; malgré elle bien souvent ses yeux s'emplissoient de larmes. Elle passoit les jours sans prendre de nourriture, les nuits sans trouver de sommeil: elle rioit et puis pleuroit; elle s'endormoit et aussitôt se réveilloit en sursaut: elle pâlissoit et au même instant son visage se coloroit de feu. La génisse piquée du taon n'est point si follement agitée. De fois à autre elle tomboit en une sorte de rêverie, et toute seulette discouroit ainsi: " A cette heure je suis malade, et ne sais quel est mon mal. Je souffre, et n'ai point de blessure. Je m'afflige, et si n'ai perdu pas une de mes brebis. Je brûle, assise sous une ombre si épaisse. Combien de fois les ronces m'ont égratignée! et je ne pleurois pas. Combien d'abeilles m'ont piquée de leur aiguillon! et j'en étois bientôt guérie. Il faut donc dire que ce qui m'atteint au coeur cette fois est plus poignant que tout cela. De vrai Daphnis est beau, mais il ne l'est pas seul. Ses joues sont vermeilles, aussi sont les fleurs; il chante, aussi font les oiseaux; pourtant quand j'ai vu les fleurs ou entendu les oiseaux, je n'y pense plus après. Ah! que ne suis-je sa flûte, pour toucher ses lèvres! Que ne suis-je son petit chevreau, pour qu'il me prenne dans ses bras! O méchante fontaine qui l'as rendu si beau, ne peux-tu m'embellir aussi? O Nymphes! vous me laissez mourir moi que vous avez vue naître et vivre ici parmi vous! Qui après moi vous fera des guirlandes et des bouquets, et qui aura soin de mes pauvres agneaux, et de toi aussi, ma jolie cigale, que j'ai eu tant de peine à prendre? Hélas! que te sert maintenant de chanter au chaud du midi? Ta voix ne peut plus m'endormir sous les voûtes de ces antres; Daphnis m'a ravi le sommeil. " Ainsi disoit et soupiroit la dolente jouvencelle, cherchant en soi- même que c'étoit d'amour, dont elle sentoit les feux, et si n'en pouvoit trouver le nom."

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Eros dans Daphnis et Chloé

À une première lecture, naïve, Daphnis et Chloé apparaît à nos yeux comme le roman de l’amour innocent et on voudrait le proposer comme remède au désenchantement de l’amour par une sexualité coupée à la fois de la nature et du divin. S



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