Ruysdael Jacob van

1628-1629-1682
Ruysdael vu par Fromentin
«On ne se figure Ruysdael ni très jeune, ni très vieux; on ne voit pas qu'il ait eu une adolescence, on ne sent pas davantage le poids affaiblissant des années. Ignorât-on qu'il est mort avant cinquante-deux ans, on se le représenterait entre deux âges, comme un homme mûr ou de maturité précoce, fort sérieux, maître de lui de bonne heure, avec les retours attristés, les regrets, les rêveries d'un esprit qui regarde en arrière et dont la jeunesse n'a pas connu le malaise accablant des espérances. Je ne crois pas qu'il eût un cœur à s'écrier: Levez-vous, orages désirés! Ses mélancolies, car il en est plein , ont je ne sais quoi de viril et de raisonnable où n'apparaissent ni le tumultueux enfantillage des premières années ni le larmoiement nerveux des dernières; elles ne font que teinter sa peinture en plus sombre, comme elles auraient teinté la pensée d'un janséniste.

Que lui a fait la vie pour qu'il en ait un sentiment si dédaigneux ou si amer? Que lui ont fait les hommes pour qu'il se retire en pleine solitude et qu'il évite à ce point de se rencontrer avec eux, même dans sa peinture? On ne sait rien ou presque rien de son existence, sinon qu'il naquit vers 1630, qu'il mourut en 1681, qu'il fut l'ami de Berghem, qu'il eut Salomon Ruysdael pour frère aîné et probablement pour premier conseiller. Quant a ses voyages, on les suppose et l'on en doute: ses cascades, ses lieux montueux, boisés, à coteaux rocheux, donneraient à croire ou qu'il dut étudier en Allemagne, en Suisse, en Norvège, ou qu'il utilisa les études d'Everdingen et s'en inspira. Son grand labeur ne l'enrichit point, et son titre de bourgeois de Harlem ne l'empêcha pas, parait-il, d'être fort méconnu. On en aurait même la preuve assez navrante, s'il est vrai que, par commisération pour sa détresse plus encore que par égard pour son génie, dont personne ne se doutait guère, on dut l'admettre à l'hôpital de Harlem, sa ville natale, et qu'il y mourut. Mais avant d'en venir là que lui arriva-t-il? Eut-il des joies, s'il eut certainement des amertumes? Sa destinée lui donna-t-elle des occasions d'aimer autre chose que des nuages, et de quoi souffrit-il le plus, s'il a souffert, du tourment de bien peindre ou de vivre? Toutes ces questions restent sans réponse, et cependant la postérité s'en occupe.

Auriez-vous l'idée d'en demander autant sur Berghem, Karel Dujardin, Wouwerman, Goyen, Terburg, Metzu, Pierre de Hooch lui-même? Tous ces peintres brillants ou charmants peignirent, et il semble que ce soit assez. Ruysdael peignit, mais il vécut, et voilà pourquoi il importerait tant de savoir comment il vécut. Je ne connais dans l'école hollandaise que trois ou quatre hommes dont la personne intéresse à ce point Rembrandt, Ruysdael, Paul Potter, Cuyp peut-être, et c'est déjà plus qu'il n'en faut pour les classer.» (voir ce texte)

EUGÈNE FROMENTIN, Les maîtres d'autrefois: Belgique, Hollande, Paris, Plon, 14e éd. 1904

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