Charte de la laïcité du Québec

Yves Martin

Premièrw version 2014

Un document appelé charte des valeurs a été déposé  à Québec le 10 septembre 2013. Certains l'ont appelé charte des valeurs québécoises. Il s'agit d'une charte de la laïcité. Le document ne porte pas sur l'ensemble des valeurs québécoises, mais uniquement sur celles qui ont trait à la tolérance à l'endroit des diverses religions représentée sur le territoire québécois.

Nous reproduisons ici un article signé Yves Martin, sociologue et ancien conseiller politique, paru dans Le Devoir  du 15 février 20014, sous le titre: Il faut revenir à la «convergence culturelle»

«Au stade où en est présentement le débat sur le projet gouvernemental de la charte de la laïcité, il apparaît de plus en plus nettement que ce débat renvoie à une question fondamentale, sinon à la question fondamentale pour le " devenir de la société québécoise, celle de la direction à donner à l'ouverture, unanimement souhaitée, à la diversité culturelle. Faut-il l'orienter dans le sens d'une convergence axée sur la pérennité et l'enrichissement de la culture qui donne au Québec son caractère distinctif ou dans le sens de la dissolution de cette culture dans le multiculturalisme enchâssé dans la Constitution Canadienne de Pierre Elliott Trudeau?

Naguère inspiratrice notamment des orientations de la politique québécoise de l'immigration, la notion de «convergence» a subrepticement cédé la place à une conception de «l'intégration» moins affirmative de la distinction québécoise qui a finalement pris le nom d'«interculturalisme» dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor, à défaut pour celle-ci d'entériner la notion bien proche parente, mais honnie au Québec, de «multiculturalisme» [...]. La prise de position du chef du Parti libéral du Québec sur le projet de charte de la laïcité a le mérite d'être claire; s'il évite soigneusement le terme impopulaire de «multiculturalisme», Philippe Couillard se fait presque sans réserve le propagandiste de la politique canadienne en la matière.

Dans le cadre de la réflexion qu'il poursuit, à la lumière privilégiée des consultations menées à l'Assemblée nationale, le gouvernement aurait avantage à revenir explicitement à l'objectif de convergence culturelle [...]. Pour ma part, m'en tenant à ce qui fait l'objet de divergences très marquées à propos du projet gouvernemental, il m'apparaît ainsi tout à fait cohérent en fonction de cet objectif d'interdire le port de signes religieux ostentatoires chez les personnes qui représentent directement l'État dans son triple rôle de pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, y compris dans les institutions municipales qui en sont l'émanation, quitte à assortir l'interdiction d'une clause de droits acquis (aisément gérable, faut-il le souligner) pour éviter les pertes d'emplois controversées à juste titre. L'interdiction serait tout aussi justifiée dans les institutions vouées à la transmission des valeurs chez les enfants et les jeunes, dans les établissements publics et privés subventionnés d'enseignement primaire et secondaire et les centres de la petite enfance. Dans les sociétés d'État et les agences gouvernementales, une approche au cas par cas pourrait être adoptée, les organismes de contrôle exerçant des pouvoirs autoritaires au nom de l'État, comme l'Agence du revenu ou l'Autorité des marchés financiers, étant par exemple visés par l'interdiction, mais non des organismes " comme la Société des alcools ou Loto-Québec.

Deux critères essentiels guideraient ainsi les choix en matière d'interdiction des signes religieux ostentatoires: la manifestation de la laïcité de l'État dans les institutions et chez les personnes qui incarnent celui-ci directement (ce qui permet de statuer sur l'opportunité de ne pas maintenir le crucifix à l'Assemblée nationale, soit dit en passant) et l'expression de cette valeur de société dans les lieux de formation initiale des jeunes. C'est en fonction de ces critères qu'il ne m'apparaît pas nécessaire d'étendre la mesure indistinctement, à toutes les sociétés ou agences de l'État, ni aux collèges et universités, ni aux établissements de santé et de services sociaux ou aux garderies en milieu familial, où les objectifs de convergence évoqués plus haut laissent place, en raison de leur environnement communautaire, à l'expression de particularités culturelles ou religieuses. Bien entendu, il y a là matière à discussion, mais on admettra que chacun tirerait profit d'un encadrement clair des choix de société à adopter, dans le respect de l'option fondamentale — si on y adhère vraiment — qu'est l'affirmation de la spécificité de la société québécoise. Ce n'est pas sans pertinence qu'on établit un parallèle entre le débat sur la laïcité et le débat des années 1970 sur la Charte de la langue française. C'est au nom de la convergence culturelle que le Québec a fait du choix du français comme langue commune l'expression d'un droit collectif; c'est dans la même perspective qu'il y a lieu de situer le débat d'aujourd'hui sur la laïcité.»

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